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Pâques à Baden-Baden, An 2

Baden-Baden
Festspielhaus
04/13/2014 -  et 18 avril 2014
Johann Sebastian Bach : Johannes-Passion, BWV 245
Camilla Tilling (soprano), Magdalena Kozená (mezzo-soprano), Mark Padmore (ténor, l’Evangéliste), Topi Lehtipuu (ténor, airs), Roderick Williams (baryton, le Christ), Christian Gerhaher (baryton, Pilate, Pierre, airs)
Rundfunkchor Berlin, Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle
Peter Sellars (présentation scénique)


04/14/2014
Anton Webern : Six pièces pour orchestre, Opus 6
Ludwig van Beethoven : Concerto pour piano n° 5 «Empereur», Opus 73
Richard Strauss : Ein Heldenleben, Opus 40
Yefim Bronfman (piano)
Berliner Philharmoniker, Zubin Mehta (direction)


04/20/2014
György Ligeti : Atmosphères
Richard Wagner: Lohengrin: Prélude de l’acte I
Edward Elgar : Concerto pour violoncelle, Opus 85
Igor Stravinsky : Le Sacre du printemps
Sol Gabetta (violoncelle)
Berliner Philharmoniker, Sir Simon Rattle


M. Padmore, C. Tilling, S. Rattle (© Monika Rittershaus)


Deuxième Festival de Pâques consécutif à Baden-Baden pour l’Orchestre philharmonique de Berlin, avec cette fois des conditions printanières idéales qui magnifient les atours fleuris de la cité thermale badoise, atmosphère conviviale à même de faire oublier les rigueurs d’une Salzbourg volontiers revêche à cette époque de l’année. Les musiciens berlinois ont pu à nouveau se déployer non seulement pour des concerts symphoniques de prestige et trois soirées lyriques (Manon Lescaut de Puccini), mais aussi pour de multiples projets satellites (musique de chambre, concerts à géométrie variable, récitals, opéras à petits effectifs...) qui ont peuplé la ville d’autres centres d’intérêt musicaux. La phalange berlinoise a fermement établi ses quartiers printaniers en pays de Bade désormais, sans regrets inutiles.


Trois grands programmes symphoniques restaient cependant, outre Manon Lescaut, les principaux pôles d’attraction de ces Osterfestspiele 2014. Avec pour le premier d’entre eux une atmosphère particulière : une mise en espace scénique de la Passion selon saint Jean de Bach par Peter Sellars, sous la direction musicale de Simon Rattle. On devait déjà à ces deux complices une mémorable Passion selon saint Matthieu à la Philharmonie de Berlin et à Salzbourg, en 2010 et 2013. Pourtant Peter Sellars se défend d’avoir voulu mettre ces Passions en scène, et parle plutôt de «ritualisations» à propos de ces sortes de méditations chantées où le langage des corps vient dialoguer avec le jeu musical et choral pour en exacerber la spiritualité.


Dispositif instrumental conventionnel (contrairement à ce qui se passait à la Philharmonie de Berlin deux mois plus tôt, où il fallait tenir compte d’un placement du public tout autour de l’orchestre): une vingtaine de cordes de l’orchestre alignées devant une paroi de bois au fond du plateau, un podium sur la droite pour un continuo assez touffu (orgue, violoncelle, contrebasson, cordes pincées...), sur la gauche un dispositif en larges marches d’escaliers pour le choeur et au milieu un espace laissé vide pour l’évolution des solistes, centré par le halo lumineux d’une lampe suspendue à un mètre du sol. Quelques pupitres instrumentaux se répartissent à divers autres endroits, appelés à se déplacer selon les moments. Rien de vraiment étranger au monde du concert et pourtant l’affaire prend une tournure différente dès l’arrivée des choristes, en tenues noires dépareillées, sans aucune partition à la main, et... allongés immédiatement par terre, sur le dos. Simon Rattle prend place discrètement à un emplacement excentré, et le «rituel» peut commencer.


Sur le premier mot du chœur «Herr, unser Herrscher», tous se redressent d’une énergique contraction des abdominaux, bras tendus vers le ciel en signe d’imploration. On comprend qu’il ne s’agit pas là d’une simili-chorégraphie, ni même d’une gestion du chœur minutieusement organisée à l’avance. Chaque choriste suit son chemin, en quelque sorte mû par sa propre conscience de l’importance humaine de l’événement. Chacun a été invité à trouver en son for intérieur sa propre gestuelle, ou du moins celle qu’il est apte à reproduire avec une sincérité maximale. Sellars ne fait ensuite que travailler ce matériau expressif, pour transformer le chœur en un groupe imprévisible dont les affects s’expriment avec une prodigieuse diversité. Chaque chœur et choral devient ainsi un microcosme d’émotions à chaque fois renouvelé. Un exemple parmi des dizaines : la restitution de «Wir haben ein Gesetz» («Nous avons une loi»): gestes d’abord impérieux, yeux focalisés sur la lecture d’une paume de main dressée, et puis les mains hésitent, le geste devient évasif, fuyant, lâche... Soulignons aussi l’extraordinaire travail de mémorisation sur lequel repose cette performance chorale, d’une précision musicale jamais prise en défaut et qui dépasse même en exactitude beaucoup d’exécutions conventionnelles partition en main. Simon Rattle est d’ailleurs invité à ne pas rester statique, à venir solliciter au plus près du chœur telle ou telle intonation, parachevant l’intégration subtile du geste instrumental dans l’exécution. Quant aux solistes, Sellars les pousse eux aussi dans d’insoupçonnables retranchements, attitudes simples d’implication, de compassion, de méditation d’une extrême intériorité: tout devient significatif, même la plus banale station assise sur une chaise en position d’attente. On notera aussi l’absence de référence chrétienne vraiment explicite: il s’agit d’une approche humaniste mais non religieuse. L’agonie du personnage principal sera ainsi simplement évoquée par son corps couché sur le plancher, les bras en croix, sous la petite lampe qui vient éclairer les attitudes de déploration dans un beau et très simple clair-obscur.



M. Padmore, R. Williams, T. Lehtipuu (© Monika Rittershaus)


Musicalement, les effectifs sont fournis mais la précision d’articulation, tant instrumentale que vocale, constamment sollicitée au plus exact par Simon Rattle, est pleinement convaincante. Quant à l’émotion distillée par tous, de l’Evangeliste absolument souverain de Mark Padmore, au moindre soliste issu du chœur, elle bouleverse comme rarement. Les souvenirs se bousculent en mémoire. Magdalena Kozená, en robe de lainage rouge qui ne cache rien d’un heureux événement à venir, aux prises avec des airs de mezzo qu’elle détaille d’un timbre trop clair peut-être, mais avec quelle intensité! Camilla Tilling très simple dans une robe du soir qui met en valeur des ports de bras de toute beauté. Et la sobriété d’intonation de la voix est à l’envi! A Christian Gerhaher, tourmenté et méditatif dans le personnage de Pilate, incombe aussi d’incarner des airs de basse traités comme autant de points d’interrogation, portes laissées ouvertes vers l’indicible. Seul Topi Lehtipuu déçoit un peu par un timbre trop grêle et serré, mais peut-être l’implication scénique forte demandée par Peter Sellars en est-elle partiellement responsable. Roderick Williams a la lourde tâche de remplacer Thomas Quasthoff, bouleversant Christ dans la Saint Matthieu, et endosse le rôle avec une belle humilité. Ultime choral d’espoir à la fin, comme suspendu vers un avenir qui reste à écrire: lente extinction des projecteurs avec juste la rémanence du petit lumignon central... et long silence avant l’explosion des applaudissements. Un événement exceptionnel, assurément.



Z. Mehta (© Monika Rittershaus)


Retour à un concert conventionnel deux soirs plus tard. Zubin Mehta est au pupitre: silhouette toujours droite, gestique altière et économe, énormément de présence sur le podium et pourtant une impression diffuse d’implication pas forcément forte dans ce qui se passe. La qualité sonore de l’orchestre n’est pas en reste mais l’ensemble garde des allures de lecture survolée, d’affaires courantes menées à un très haut niveau. Seul le début émerge nettement, exécution très détaillée des Pièces Opus 6 de Webern. Grande minutie instrumentale, beau silence du public pendant ces pages cursives et moyennement aisées d’accès, et puis surtout l’impression magique de la présence immanente d’un potentiel sonore énorme alors que l’orchestre géant présent sur scène n’est utilisé le plus souvent qu’à doses homéopathiques. L’impression se confirme pleinement pendant le crescendo de la quatrième pièce, impeccablement dosé par Zubin Mehta, toujours très inspiré par ce type de musique.


Dans le Concerto «Empereur» de Beethoven, Yefim Bronfman attaque sur un mode uniformément grandiose et somme toute brutal. Ce piano énorme est à même de se mesurer à un orchestre qui paraît surchargé en cordes et il est évident que ce concerto archi-rebattu ne pose aucun problème technique particulier, à l’exception de quelques pailles techniques du côté soliste (fatigue?) et de quelques attaques douteuses des cordes graves. S’agit-il pour autant d’une exécution passionnante? Les nuances de Yefim Bronfman sont bien là mais paraissent davantage préméditées que naturelles, et l’instrument soliste sonne assez uniformément tranchant et dur, sauf dans certains pianissimi soudains. Reste donc à se contenter d’admirer le professionnalisme d’une exécution où l’orchestre s’acquitte très convenablement de son accompagnement, au besoin infléchi de temps à autre par la belle gestique du chef, et d’un jeu pianistique de haut lignage mais qui exécute l’œuvre davantage qu’il ne l’investit émotionnellement. Somme toute, l’impression ressentie ne serait pas très différente si tout ce beau monde jouait le Deuxième Concerto de Rachmaninov.


Même sensation d’errance stylistique, et là plus inquiétante encore, dans Une vie de héros de Richard Strauss. Les cuivres ont beau rutiler comme des carrosseries de grosses limousines, les bois s’acquitter chacun à leur tour de leur moment de gloire, les cordes soigner leur synchronisation d’archet, il ne se passe rien. Ou du moins rien de musicalement intéressant, dans ce qui ressemble surtout à une grosse enflure orchestrale à niveaux dynamiques variables. La partition, en tant que cahier des charges d’une virtuosité d’ensemble, est parfaitement respectée mais elle n’est en rien vécue, vibrante, lumineuse, amusante, émouvante... La déception est encore plus cruelle après avoir entendu quelques semaines auparavant la même œuvre, et au même endroit, par la Staatskapelle de Dresde. Très rajeunie dans ses effectifs et devenue fortement cosmopolite, la phalange berlinoise a-t-elle à ce point perdu ses racines ? En tout cas cette musique de Richard Strauss semble lui faire parler un langage qui lui est devenu étranger.


Quelle est la part de responsabilité de Zubin Mehta là-dedans? Aucune, du moins si l’on considère qu’il est simplement invité ce soir à gérer l’intendance, de la même façon qu’il le ferait ailleurs à la tête d’un autre orchestre de haut niveau. Avec une seule répétition sur place à Baden-Baden pouvait-il en définitive en être autrement? Certes Mehta et les Philharmoniker ont eu droit à cinq autres répétitions, mais c’était en janvier, à Berlin, et il y avait à ce moment-là un autre concert (Bruckner et Crumb) auquel il fallait aussi consacrer du temps...



S. Gabetta, S. Rattle (© Monika Rittershaus)


Simon Rattle est à nouveau aux commandes pour le troisième concert et il est patent que «son» orchestre devient immédiatement plus passionnant et diversifié quand c’est lui qui dirige. Cela dit le Sacre du printemps qui clôt le programme, centenaire oblige, reste relativement déroutant, avec des recherches de couleurs particulières voire de détails qui brident parfois la sauvagerie de l’ensemble. Curieux départ du basson, tortueux et languide, comme s’il s’agissait là de parodier le solo de flûte du Prélude à l’après-midi d’un faune. Beaucoup d’équilibres bizarres et de bariolages, mélange de trouvailles et de moments où la sauvagerie attendue semble trop sage (la pulsation métronomique un peu lourde des cuivres graves dans les dernières minutes paraîtrait plus en situation chez Orff que chez Stravinsky). Bref une version pleine de surprises, à moins de connaître l’enregistrement discographique récemment effectué par les mêmes, dont les particularités sont ici fidèlement reproduites. De la belle ouvrage mais pas la démonstration de modernité violente attendue. Mais peut-être est-ce ainsi que Le Sacre, avec le temps, est appelé à se civiliser.


Début de soirée sur la pointe des pieds avec Atmosphères de Ligeti, pas trop sabotée par les toux du public. Cela dit le Festspielhaus est une très grande salle et certains détails s’y perdent, ou peut-être l’exécution reste-t-elle un peu inattentive dans l’observance d’un cahier des charges technique compliqué? Globalement la pièce semble manquer du relief qu’on a pu lui connaître ailleurs ou même ici, il y a longtemps, sous la direction de James Levine. Jolie trouvaille en revanche que l’enchaînement direct avec un Prélude de Lohengrin envoûtant, techniquement somptueux, magnifique démonstration de sostenuto où brillent des cordes et des cuivres d’une infaillibilité extraordinaire.


Pour ses débuts avec l’Orchestre philharmonique de Berlin, la violoncelliste argentine Sol Gabetta a choisi le Concerto d’Elgar, qui lui convient fort bien. Une exécution toute en charmes et en nuances, mais qui n’exclut pas une prise en main de l’instrument vigoureuse quand cela s’avère nécessaire. L’œil est parfois perturbé par les constants mouvements de va-et-vient des épaules et des longs cheveux blonds de l’interprète, mais la conception d’ensemble est d’un goût irréprochable, superbement accompagnée par Simon Rattle qui déploie des trésors de subtilité post-romantique au service de cette musique d’un parfum si éminemment britannique. Rien n’échappe, tout prend un relief passionnant, même la très attendue et vétilleuse effusion finale, amenée avec un tact appréciable. Elgar est magnifiquement servi!



Laurent Barthel

 

 

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