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Tours rend justice à Magnard

Tours
Grand Théâtre
04/04/2014 -  et 6*, 8 avril 2014
Albéric Magnard : Bérénice, opus 19
Catherine Hunold (Bérénice), Jean-Sébastien Bou (Titus), Nona Javakhidze (Lia), Antoine Garcin (Mucien), Mickaël Chapeau (L’officier), Yvan Sautejeau (Le chef de la flotte), Sylvain Bocquet (L’esclave)
Chœurs de l’Opéra de Tours, Emmanuel Trenque (chef de chœur), Orchestre Symphonique Région Centre-Tours, Jean-Yves Ossonce (direction musicale)
Alain Garichot (mise en scène), Nathalie Holt (décors), Claude Masson (costumes), Marc Delamézière (lumières)


A. Garcin, C. Hunold, J.-S. Bou (© François Berthon)


Si Paris a quasiment oublié de célébrer le centenaire de la mort de Magnard, tragiquement disparu au début de la Première Guerre mondiale en refusant d’obtempérer aux Allemands qui encerclaient sa propriété isarienne, Tours offre bien davantage qu’une consolation: une splendide réhabilitation, au travers de trois représentations d’une nouvelle production de Bérénice (1905-1909). Et cette initiative, si elle ne surprend certes pas de la part d’une maison qui a ressuscité Le Pays de Ropartz voici six ans et qui est dirigée par Jean-Yves Ossonce, lui-même signataire voici quelques années d’une intégrale des Symphonies à la tête de l’Orchestre symphonique de la BBC écossaise (Hyperion), ne s’arrête pas là, puisque le Trio avec piano et la Sonate pour violoncelle et piano sont par ailleurs au programme de la saison de musique de chambre.


Nullement découragé par l’impossibilité de monter Guercœur, sa précédente «tragédie en musique» («condamnée [...] à moisir sur les rayons de ma bibliothèque»), qui dut attendre 1931 pour sa création scénique, Magnard trouva le sujet de son troisième et dernier opéra dans l’histoire antique – mêlant, pour le rôle-titre, la fille d’Hérode Agrippa mentionnée par Suétone et Tacite à son homonyme, reine d’Alexandrie, chantée par Callimaque et Catulle (qui «coupa sa chevelure et l’offrit à Vénus Aphrodite») – et la tragédie classique – Racine («Je le relus avec délices») mais pas Corneille («J’allais m’assoupir lorsque l’éruption du Vésuve me réveilla»). Auteur du livret – «Quel musicien serait assez téméraire pour ajouter des notes à ces alexandrins?» –, il travailla quatre ans à son œuvre, dédiée à son ami Ropartz. La première fut donnée à l’Opéra Comique en 1911, mais malgré les éloges de Fauré et Koechlin, ce fut un échec et Bérénice, après une exécution de concert en 1990 à Montpellier, ne retrouva la scène qu’en 2001 à Marseille et n’a pas encore été enregistrée à ce jour.


Elève de Dubois, Massenet et d’Indy, le compositeur avait choisi de donner la priorité à la musique sur ses études de droit après avoir vu Tristan à Bayreuth: «Ma partition est écrite dans le style wagnérien». Rien de surprenant, par conséquent, à ce que dans un flux ininterrompu (mais n’abusant pas des leitmotivs), l’orchestre, qui se voit en outre confier une importante Ouverture (plus de 10 minutes) et un Prélude au troisième acte, soutienne et enrichisse sans cesse un chant qui paraît plus soucieux de servir l’intelligibilité du texte – souvent pompier, mais pas exempt, ici ou là, d’étranges sous-entendus grivois – que de cultiver la veine mélodique, sans que des airs ou des ensembles se détachent à proprement parler. Plus proche du Roi Arthus et de Fervaal que de Pelléas ou Ariane et Barbe-Bleue, pour rester en France, et dans un univers totalement différent de ceux de Madame Butterfly, Jenůfa, Salomé, pour se référer à de grands ouvrages contemporains, Bérénice remonte par ailleurs à la tradition de Gluck et de Berlioz.


Le ton est noble et exalté, la densité ne faiblit jamais et l’intrigue ne ménage ni détente ni changement de climat, le cœur de chacun des trois actes résidant dans un duo entre Titus et Bérénice, successivement celui de l’amour, de la rupture et de l’adieu. Dès lors, l’action ne constitue pas le ressort principal de cette étude psychologique, où les deux personnages principaux ne sont entourés que de deux faire-valoir – le vieux Romain (Mucien) et la suivante (Lia), tellement paradigmatiques qu’ils sont comme le miroir de l’empereur de Rome et de la reine de Judée –, de trois rôles mineurs et d’un chœur restant en coulisse: comme un Tristan presque entièrement concentré sur le seul couple impérial et royal, avec une conclusion qui s’apparente à un Liebestod symbolique, l’offrande capillaire à Vénus – Magnard venait d’achever un Hymne à Vénus pour orchestre – tenant aussi d’un sacrifice-rédemption à la manière de Brünnhilde.


Même si les thèmes de la vie privée et de l’exercice du pouvoir demeurent on ne peut plus actuels, la tâche est malaisée pour le metteur en scène, qui doit éviter l’écueil de l’oratorio ou de la cantate et s’efforcer de faire vivre, près de deux heures et demie durant, des épisodes essentiellement statiques. A cette aune, Alain Garichot résout l’équation de façon satisfaisante, même si, parfois, il recourt au catalogue périmé des postures et gestes stéréotypés de l’univers lyrique ou se contente d’un hiératisme un peu convenu. L’époque est affirmée bien davantage dans les décors de Nathalie Holt, inscrivant le drame dans une Antiquité d’une froideur à la Chirico et nantie de tous ses attributs (colonne, trône romain, tête sculptée), que dans les costumes de Claude Masson, suffisamment allusifs pour épargner le péplum au spectateur. Dans ces conditions, les lumières de Marc Delamézière revêtent une importance capitale, définissant les moments de la journée et projetant les ombres sur les hautes parois de couleur claire. Au dernier acte, la proue et la grande voile stylisent de façon convaincante la trirème sur le départ.


Hormis une Lia dont le timbre aussi protéiforme que peu agréable se conjugue à un vibrato incessant et à une prononciation légitimant à elle seule les surtitres, les protagonistes s’imposent presque sans réserve. Pour ses débuts tourangeaux, Catherine Hunold incarne une Bérénice à la fois altière et fragile, triomphant des difficultés de sa partie malgré une tendance à crier les aigus et un manque de projection dans le grave. Dans le Titus de Jean-Sébastien Bou, tout force l’admiration: la clarté de l’émission et de l’articulation, l’engagement théâtral, la puissance vocale et le sens du phrasé, qui ne fait jamais regretter l’inhabituelle absence de ténor dans la distribution. En Mucien, Antoine Garcin possède les moyens techniques et scéniques que requiert son personnage, sorte d’Arkel presque toujours immanquablement accompagné de quelque choral des cuivres.


L’Orchestre Symphonique Région Centre-Tours ne donne pas à entendre que de belles choses, mais Jean-Yves Ossonce tient fermement le cap, soutenant l’intérêt à chaque instant, aussi à l’aise pour enflammer le propos que pour en mettre en valeur la tendresse et la poésie, tout en veillant à ne pas faire sonner trop fort un effectif qui peine à tenir dans la fosse.


L’entreprise était aussi risquée que le succès se révèle éclatant et la réussite exemplaire, tant l’enjeu, lorsque de telles raretés ont de nouveau les honneurs de l’affiche, est de les servir avec la plus haute exigence artistique afin de faire en sorte que le public ne rentre pas chez lui en se disant qu’elles ne valaient pas la peine d’être tirées de l’oubli. Il serait même tentant de faire le pari que Bérénice pourra trouver une place, si modeste soit-elle, au répertoire.


Le site de Jean-Yves Ossonce
Le site de Catherine Hunold



Simon Corley

 

 

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