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Traînés dans la boue

Antwerp
Vlaamse Opera
03/21/2014 -  et 23*, 26, 29 mars, 1er, 3, 6 avril 2014
Dimitri Chostakovitch: Lady Macbeth du district de Mtsensk, opus 29
Ausrine Stundyte (Katerina Lvovna Ismailova), John Tomlinson (Boris Timofeevitch Ismailov), Ludovit Ludha (Zinovy Borisovitch Ismailov), Ladislav Elgr (Serguei), Liene Kinca (Aksinya), Michael J. Scott (Un paysan miteux), Andrew Greenan (Un pope, Un vieux bagnard), Maxim Mikhaïlov (Un chef de la police), Vesselin Ivanov (Un maître d’école, Troisième contremaître, Un coursier, Un invité ivre), Thierry Vallier (Un portier, Un officier, Un policier), Kai Rüütel (Sonietka), Simon Schmidt (Un meunier), José Pizarro Alonso (Premier contremaître), Jonathan Raman (Deuxième contremaître), Onno Pels (Un gardien), Thomas Mürk (Un régisseur)
Koor van de Vlaamse Opera, Jan Schweiger (chef du chœur), Symfonisch orkest van de Vlaamse Opera, Dmitri Jurowski (direction)
Calixto Bieito (mise en scène), Rebecca Ringst (décor), Ingo Krügler (costumes), Michael Bauer (éclairage)


(© Vlaamse Opera/Annemie Augustijns)


Deux ans et demi après un mémorable Mahagonny, Calixto Bieito revient au Vlaamse Opera pour Lady Macbeth du district de Mtsensk (1934). Comme celui de Weill, l’opéra de Chostakovitch constitue un morceau de choix pour le metteur en scène espagnol. Le spectacle, aussi saisissant que celui d’octobre 2011, l’effet de surprise en moins, porte la signature d’un homme de théâtre extrêmement talentueux qui ne réduit pas son travail à de la provocation gratuite. D’une rare force de conviction, la direction d’acteur accule les chanteurs, tant les solistes que les choristes, à la limite de leurs capacités sans pour autant compromettre le chant. Obtenir un tel engagement de leur part suscite l’admiration.


Autres constantes : la cohérence absolue de la conception et la gestion efficace du temps et de l’espace. En tandem avec Rebecca Ringst, en charge du décor, Calixto Bieito imagine un univers sordide qui conserve sa logique durant le déroulement du spectacle : une usine sur le déclin, à laquelle se superpose la demeure familiale, d’une blancheur clinique, qui se transforme au quatrième acte, suite à un impressionnant changement à vue, en un bagne au climat mortifère. De la boue s’étale sur le plateau : Aksinya s’en recouvre lors de son viol, Katerina et Serguei y luttent, les bagnards s’y vautrent, l’héroïne y étrangle Sonietka avant de s’égorger. Calixto Bieito n’épargne pas les spectateurs, encore que les scènes de sexe et de violence restent tolérables, mais cet opéra, qui a de toute façon les reins solides, n’appelle-t-il pas une mise en scène jusqu’au-boutiste ? Le public de l’Opéra flamand, que plus rien ne semble devoir effrayer, ne manifeste aucune animosité, au contraire.


Ausrine Stundyte se profile d’ores et déjà comme une des grandes titulaires de ce rôle-titre écrasant qu’elle incarne pour la première fois. La soprano lituanienne s’investit corps et âme dans ce personnage dont elle restitue le profil psychologique de façon stupéfiante. L’attitude et le regard appartiennent à une actrice accomplie, la voix, enveloppante, étendue, puissante, à une chanteuse chevronnée – un nom à retenir. Malgré une voix élimée, parfois à bout de souffle, John Tomlinson incarne un Boris quasiment idéal, corpulent, cruel et vicieux. Ténor solide, bien que l’on retienne davantage l’acteur que le chanteur, Ladislav Elgr interprète un Serguei d’une mâle assurance mais détestable et imbécile. Ludovit Ludha endosse régulièrement le rôle de Zinovi dont il pourrait souligner davantage l’insignifiance. Le reste de la distribution comporte quelques maillons robustes, en particulier le paysan miteux de Michael J. Scott, le pope peu recommandable et le vieux bagnard pathétique d’Andrew Greenan, le chef de la police immoral de Maxim Mikhaïlov, l’Aksinya apeurée de Liene Kinca, la Sonietka garce et triviale de Kai Rüütel.


La fosse procure autant de satisfaction que le plateau. Dmitri Jurowski, qui manifeste une compréhension profonde de cette musique prodigieuse, dirige un orchestre sérieusement entraîné : cordes unies, bois éloquents, cuivres (quelques-uns tantôt sur scène, tantôt au balcon) incandescents. Le chef règle la mise en place, contrôle le volume, accuse les contrastes, tout en révélant l’ironie, le lyrisme et le tragique que l’œuvre recèle. Les musiciens développent une sonorité remarquable qui gagnerait toutefois à être encore plus décantée et nuancée. Préparé par Jan Schweiger, qui le dirige depuis janvier, le Chœur du Vlaamse Opera délivre quant à lui une prestation théâtralement persuasive et vocalement digne d’éloges.



Sébastien Foucart

 

 

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