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A Lyon, l’opéra croque dans la pomme Lyon Oullins (Théâtre de la Renaissance) 03/14/2014 - et 15, 17, 18 mars 2014 Roland Auzet : Steve V (King Different) (création) Oxmo Puccino (Billy Bud), Michael Slattery (Le Cancer), Thibault Vinçon (Steve), Igor Chernov, Tyler Clarke, Bonko Karadjov, Alexandre Artemenko, Mathieu Gardon, Thibault de Damas (Les Apple Men)
Orchestre de l’Opéra de Lyon, Philippe Forget (direction musicale)
Fabrice Melquiot (livret et dramaturgie), Roland Auzet (mise en scène), Julien Avril (assistant à la mise en scène), Vincent Gadras (décors), Wilfried Haberey (vidéo), Olivier Pasquet (création électronique), Nathalie Prats (costumes), Bernard Revel (lumières)
(© Bertrand Stofleth)
« Vous n’êtes pas humain ! » lance le Cancer à Steve Jobs. Dans un décor unique aux structures minimalistes qui n’est pas sans rappeler les Apple Stores, le fondateur de la célèbre marque à la pomme, malade, a envie d’être seul pour mourir en paix, mais il est entouré en permanence d’une cour d’employés serviles qui ne lui laissent aucun répit. Il voudrait payer pour se débarrasser de sa maladie, mais il a beau être l’un des hommes les plus riches du monde, le crabe ne le lâchera pas. Diminué physiquement mais gardant sa lucidité ainsi que son cynisme et son arrogance, il n’a aucun scrupule à se séparer de collaborateurs qui ne le satisfont pas entièrement. Mais la roue tourne, et lui-même est finalement contraint d’abandonner l’œuvre de sa vie parce que, s’il a été excellent, il ne l’est plus depuis longtemps. Le doute s'installe... Au paroxysme d’une crise, il se prend pour Henry V, qui a remporté en 1415 la bataille d’Azincourt grâce à une invention technique, l’arbalète, qui a permis à ses soldats de frapper l’adversaire avant le corps à corps final.
Steve V (King Different), qui vient d’être créé au Théâtre de la Renaissance de Lyon dans le cadre de la saison de l’Opéra et de la Biennale Musiques en Scène, est un ouvrage lyrique de chambre très librement inspiré de la biographie de Steve Jobs. L’œuvre scelle la troisième collaboration entre le compositeur, Roland Auzet, et le librettiste, Fabrice Melquiot. Directeur du Théâtre Am Stram Gram de Genève, ce dernier a écrit un livret à l’humour souvent grinçant et à l’ironie mordante, mais qui n’évite pas toujours la lourdeur ni le ridicule (on pense notamment aux (trop) nombreuses scènes où l’on voit Jobs enfermé dans les toilettes pour vomir puis en ressortir en lançant un « ça fait ch... ! »). Plutôt que de raconter linéairement une vie, l’auteur a eu l’excellente idée d’élever le débat pour évoquer, en s’inspirant de la fin de l’existence de Steve Jobs, bon nombre de sujets à la portée universelle, tels que le travail, le marketing, le pouvoir, l'argent, la maladie, la solitude de l’homme et bien sûr la mort.
Musicalement, l’œuvre fait appel à une petite formation de dix musiciens, à un chœur de six chanteurs provenant du Studio de l’Opéra de Lyon et à trois solistes, sans parler de l’utilisation de bruitages et de musique électronique. Avec ses nombreuses sonorités dissonantes, la partition est plus aride et ardue que le livret, et mériterait d’être entendue plusieurs fois pour être pleinement appréciée, ce que le spectateur lambda ne peut bien évidemment pas faire... Heureusement, elle est parsemée de plusieurs collages réarrangés, plus immédiatement accessibles pour le public, dont l’un des plus réussis est le célèbre « Strawberry Fields for Ever » des Beatles. Parachuté dans l’univers lyrique, le rappeur Oxmo Puccino, qui devrait gagner en assurance au fil des représentations, incarne Billy Bud, peut-être la (mauvaise) conscience de Steve Jobs, mais le livret est avare d’explications sur son rôle exact. Thibault Vinçon campe un Steve Jobs (rôle parlé) au mimétisme impressionnant. La révélation de la soirée est le jeune ténor américain Michael Slattery, dont l’énergie et l’abattage font sensation dans le rôle du Cancer. Un nom à retenir ! On relèvera également l’excellente prestation des six chanteurs du chœur, aux vocalités très différentes, ainsi que l’intervention, sous forme de clin d’œil, de Siri, l’assistant vocal des appareils Apple. En résumé, un ouvrage intéressant et original tant sur la forme que sur le fond, même si la musique ne convainc pas entièrement. Tout le mal qu’on peut désormais souhaiter à King V, c’est de survivre aux quatre représentations prévues à Lyon.
Claudio Poloni
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