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Salonen met Radio France et Pleyel à ses pieds

Paris
Salle Pleyel
03/14/2014 -  
Arnold Schönberg : Gurre-Lieder
Katarina Dalayman (Tove), Michelle DeYoung (Waldtaube), Robert Dean Smith (Waldemar), Wolfgang Ablinger-Sperrhacke (Klaus-Narr), Gábor Bretz (Bauer), Barbara Sukowa (Sprecher), Chœur de Radio France, Matthias Brauer (chef de chœur), Rundfunkchor Leipzig, Denis Comtet (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Radio France, Esa-Pekka Salonen (direction)


E.-P. Salonen (© Sonja Werner)


Monter et réussir les Gurre-Lieder (1913) d’Arnold Schönberg constitue toujours un exploit. Il n’y a qu’à observer ce podium qui grignote les premières rangées de sièges de Pleyel comme cette marée humaine de plus de trois cents artistes qui envahit la scène – reflétant la mobilisation maximale des forces de Radio France (rejointes par le Chœur de la Radio de Leipzig) – pour tirer un grand coup de chapeau à l’Orchestre philharmonique. En programmant cette œuvre, ce dernier se rappelle immanquablement au souvenir de l’un des derniers concerts de Marek Janowski dans la même salle, il y a déjà quinze ans.


Riches en émotions fortes, ces deux heures de musique interprétées presque sans pause souffrent peu de critiques. Si l’on met de côté la sonnerie de téléphone qui a – ironie de l’histoire! – la bêtise de résonner à son volume le plus strident entre le moment où Waldemar dit «Und meine Seele ist still» («Et mon âme est tranquille»)... et juste avant qu’il n’ajoute: «Ich seh in dein Aug und schweige» («Je lis dans tes yeux et me tais»), deux faiblesses principales – à la fois objectives et subjectives – peuvent être pointées du doigt. La première vient justifier la construction de la Philharmonie de Paris, qui continue de susciter un scepticisme compréhensible mais qui devrait constituer un écrin plus adapté que cette salle Pleyel dont l’acoustique (en dépit des améliorations décisives dont elle a bénéficié) et la physionomie frontale enferment le gigantisme d’une partition comme celle-ci dans un volume et une résonnance encore insuffisants. La musique paraît comme hurler d’étouffement.


La seconde réside dans le choix de confier la partie du Récitant à la comédienne allemande Barbara Sukowa, connue pour sa carrière cinématographique (avec Fassbinder, von Trotta et Trier notamment). Certains chefs ont, par le passé, retenu l’option féminine pour le Sprecher – de Josef Krips à Marc Albrecht, en passant par Claudio Abbado. Ce dernier a d’ailleurs sollicité cette même Barbara Sukowa, qui a interprété le rôle à diverses reprises (comme en juin 2011 à Strasbourg puis à Paris). Mais autant l’actrice est éminente, autant la musicienne manque de précision rythmique dans la prosodie. Surtout, l’amplification sonore (via un petit micro collé à sa joue) n’est pas du meilleur effet, décuplant le bruit de sa respiration et ajoutant de l’artificiel à une interprétation naïve qui s’achève sur de dernières paroles à bout de souffle («Erwacht, erwacht, ihr Blumen zur Wonne!»), ridiculement hurlées.


Cependant, c’est peu dire que d’affirmer que les motifs d’enthousiasme l’emportent très largement sur les sujets d’irritation. Les chanteurs d’abord, qui frappent par leur investissement et leur concentration. Y compris Katarina Dalayman – remplaçant Angela Denoke –, dont la Tove est à coup sûr trop monolithique et manque de douceur pour séduire. Mais l’absence de moelleux d’une voix aguerrie à Wagner est compensée par un coffre apte à passer l’orchestre et un sens de la dramaturgie qui captive souvent (sur l’emphase de «So lass uns die goldene Schale leeren ihm», dans le cri du «Wie ein flammender Kuss», dans l’extase de «ersterbend im seligen Kuss» – dont le «s» final est prononcé avec un venin et une emphase déroutants).


Comme à Strasbourg il y a dix ans, Robert Dean Smith se tire avec les honneurs de l’impossible Waldemar. On salue la performance physique de cette voix virile mais pas écrasante, à l’intonation juste, dont le vibrato est une caresse et qui possède la tessiture du rôle (quel superbe «Ruh’ aus, mein Sinn, ruh’ aus»!). La tessiture... mais pas la puissance nécessaire pour dominer l’orchestre. Des aigus laborieux (voire craqués) noient vite le ténor américain dans la tempête symphonique qui s’abat sur Pleyel. La fatigue le contraint également à détimbrer nombre de notes. Les passages pénibles ne gâchent pourtant pas une interprétation vaillamment concentrée, stylistiquement agréable et vocalement méritante – sinon envoûtante lorsque le legato peut s’exprimer pleinement (d’entêtants «Deinen lieben Namen» et «Du wunderliche Tove» dans la première partie, un timbre chaleureux à partir de «Mit Toves Stimme flüstert der Wald» dans la troisième partie).


Le reste de la distribution est digne d’éloges, à commencer par le Waldtaube de Michelle DeYoung, parfois décevante mais dont le Chant du Ramier convainc. Malgré quelques graves poussifs, des aigus tirés (notamment sur «Nach einem Blick») et un vibrato qui grandit (à partir de «Wie zwei Ströme waren ihre Gedanken»), la performance vocale est assez exemplaire et certaines phrases clouent au fauteuil (l’aigu de «Die Planken huldigend» ou de «Klage sucht’ ich den Tod!», la juste solennité sur «Wollt’ ein Mönch am Seile ziehn, Abendsegen läuten», le mystère du «zerriss» final, qui fait intelligemment écho au «Kuss» de Tove).


Se plaçant à bonne distance entre la tonitruance lyrique et le Sprechgesang, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke fait corps avec Klaus-Narr dont il livre une incarnation puissante et incontestable. La basse hongroise Gábor Bretz campe certes un Paysan trop aristocratique mais n’en constitue pas moins une belle découverte, la jeunesse et la puissance de la voix se faisant immédiatement séductrices. Quant aux chœurs, ils démontrent leur professionnalisme et leur excellence (quasiment toujours à l’unisson), investissant sans fausse pudeur l’espace sonore (jusqu’à la saturation), trouvant le ton juste (sur la pause emplie de mystère de «Nur kurze Zeit das Jagen währt!», sur les vapeurs éthérées de «Ins Grab!»).


Enfin et surtout, Esa-Pekka Salonen obtient de l’Orchestre philharmonique de Radio France une performance collective admirable, le déchaînement instrumental inouï procédant de l’extrême concentration du geste du chef finlandais (que les musiciens ovationneront comme rarement) et aboutissant à un crescendo conclusif d’une durée svetlanovienne. C’est que Salonen dirige autant en chef qu’en compositeur, obtenant des fins de phrases à la netteté soufflante, des crescendos subito tombant comme des coups de guillotine, des accalmies aux charmes tristanesques. D’une précision redoutable, l’envoûtement du tapis orchestral frappe plus spécialement dans la première partie, rehaussant la beauté brûlante des cordes et le tranchant des vents, animant une vraie danse de la mort autour du Ramier. D’une grande richesse analytique, la dernière partie resplendit de stridences, les instrumentistes étant par moments poussés dans leurs derniers retranchements.


Aussi sonore que sincère, l’ovation traduit le bonheur et la reconnaissance du public tout autant que l’amour porté à un chef qu’on souhaite entendre plus souvent encore à la tête des orchestres parisiens.



Gilles d’Heyres

 

 

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