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Le théâtre des illusions

Zurich
Opernhaus
01/26/2014 -  et 31 janvier, 2, 5, 7*, 9, 16, 22, 25 février 2014
Georg Friedrich Haendel : Alcina, HWV 34
Cecilia Bartoli*/Agneta Eichenholz (Alcina), Malena Ernman (Ruggero), Julie Fuchs (Morgana), Varduhi Abrahamyan (Bradamante), Fabio Trümpy (Oronte), Erik Anstine (Melisso)
Orchestra La Scintilla, Giovanni Antonini (direction musicale)
Christof Loy (mise en scène), Johannes Leiacker (décors), Ursula Renzenbrink (costumes), Bernd Purkrabek (lumières), Thomas Wilhelm (chorégraphie), Kathrin Brunner (dramaturgie)


(© Monika Rittershaus)


Attention chef-d’œuvre : l’Alcina actuellement à l’affiche à Zurich est une pure merveille, un spectacle où tout fonctionne parfaitement - qu’il s’agisse de la mise en scène, de l’orchestre et des voix - et qui procure un bonheur et des émotions rares. Mais commençons par le début : malgré le changement de direction à l’Opernhaus, Cecilia Bartoli semble vouloir rester fidèle à Zurich. C’est là en effet que la célèbre chanteuse, qui déserte les scènes lyriques, préférant désormais les concerts et les récitals, a choisi de faire ses débuts dans le rôle de la magicienne, pour sa treizième nouvelle production in loco. Haendel a composé six airs pour son héroïne, qui passe par toute la gamme des émotions, du bonheur de la femme amoureuse au désespoir de celle qui comprend finalement qu’elle a tout perdu. Cecilia Bartoli fascine par son contrôle absolu de la ligne de chant, de la moindre inflexion de sa voix et du moindre souffle, au détriment peut-être d’une certaine spontanéité. Mais qu’importe, tant l’artiste fait preuve d’une présence scénique toujours électrisante et tant elle est insurpassable dans les moments élégiaques, avec ses pianissimi éthérés et ses mezze voci à peine audibles, culminant avec un « Ah mio cor » et surtout un « Mi restano le lagrime » d’une intensité bouleversante, qui fait chavirer le public. Une prise de rôle parfaitement réussie donc, pour un magnifique portrait de femme, plus mélancolique et désabusée que foncièrement méchante, consciente à tout moment, même au plus fort de sa félicité, que le pouvoir qu’elle détient et l’amour que lui porte Ruggero sont irréels et fragiles.


Fort heureusement cependant, la soirée ne se résume pas à un « show Bartoli », grâce à une distribution de très haut niveau. On retiendra avant tout la superbe Morgana de Julie Fuchs, qui vient d’être sacrée Artiste lyrique de l’année lors des récentes Victoires de la musique classique. La jeune soprano française, en troupe à Zurich depuis le début de la saison, se déjoue sans peine des vocalises de la sœur d’Alcina, avec sa belle voix légère et cristalline, mais qui a néanmoins suffisamment de rondeur et de consistance pour vibrer d’intensité dans les passages plus lyriques, avec notamment un magnifique « Credete al mio dolore » lancé comme un appel un secours. Assurément, un nom à suivre attentivement. Bien qu’annoncée souffrante, Malena Ernman incarne un Ruggero héroïque et ardent, avec des vocalises enflammées et un grave chatoyant, sans parler d’une présence scénique indiscutable. Varduhi Abrahamyan campe une Bradamante un peu plus en retrait, mais néanmoins intense et déterminée, prête à tout pour reconquérir Ruggero et détruire Alcina. On signalera aussi l’Oronte de très belle tenue de Fabio Trümpy.


La fosse est occupée par La Scintilla, la formation sur instruments anciens de l’Opernhaus, qui a beaucoup travaillé avec Nikolaus Harnoncourt notamment. Le chef Giovanni Antonini, très attentif aux chanteurs, joue avec les contrastes et la dynamique, étirant majestueusement les « tempi » dans les passages lents puis accélérant le rythme dans les pages virtuoses ; globalement, sa lecture est plus poétique que théâtrale. Le metteur en scène Christof Loy signe une production subtile et intelligente, une de ses meilleures assurément, avec notamment une direction d’acteurs réglée au millimètre. Pour lui, le royaume d’Alcina, dans lequel tout n’est qu’illusion, est le théâtre baroque, avec ses costumes somptueux, ses personnages poudrés à l’excès et portant, pour certains, des casques à plumes colorées, ses décors de toiles peintes avec force grands nuages blancs, sans oublier ses bruits assourdissants de tonnerre. Au premier acte, la scène du théâtre se surélève pour faire apparaître le sous-sol et toute sa machinerie, où les intrigues se nouent, avec l’arrivée de Bradamante et de Melisso. Le deuxième acte nous montre les loges du théâtre, où sont entassés les amants vieillis d'Alcina, alors que la dernière partie du spectacle nous fait voir les coulisses, soit l’envers du décor. Le point fort de la soirée est sans conteste le quatuor du deuxième acte, lorsque les personnages forment des couples (Alcina-Ruggero et Morgana-Bradamante), mais ne cessent d’épier les autres par-dessus les épaules de leur partenaire, dans l’espoir peut-être de tenter de former d’autres couples, un peu comme dans Così fan tutte. Emotions garanties pour un grand moment de théâtre. Au rideau final, ovation pour tous les participants d’une production superbe à tous points de vue. Espérons qu’une reprise sera programmée très vite.



Claudio Poloni

 

 

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