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Vienne au sommet

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
01/19/2014 -  et 14 (Genève), 15 (Basel), 16 (Köln) janvier 2014
Jean Sibelius : Finlandia, opus 26 – Concerto pour violon en ré mineur,
opus 47

Anton Bruckner : Symphonie n° 6 en la majeur

Christian Tetzlaff (violon)
Wiener Philharmoniker, Riccardo Chailly (direction)


R. Chailly


Un concert de l’Orchestre philharmonique de Vienne n’est jamais un concert comme les autres. Car, au-delà de la venue de celui qui est réputé comme étant l’un des trois ou quatre meilleurs du monde, c’est surtout une institution qui se déplace, une institution avec son formalisme, ses codes, son aura... Ainsi, c’est toujours par l’entrée sur scène du Konzertmeister (cette fois-ci, Rainer Honeck) que commence la cérémonie musicale, tous les musiciens restant ensuite debout jusqu’à l’entrée du dernier d’entre eux (ou d’entre elles, l’orchestre accueillant ce soir plusieurs femmes, notamment parmi les pupitres de violons). C’est toujours le Konzertmeister qui, imperceptiblement mais sûrement, fait signe à l’orchestre de s’asseoir après les saluts d’entrée du chef. C’est également vers le Konzertmeister que, souvent, les musiciens regardent, à l’image du jeune chef d’attaque des seconds violons, Christoph Koncz, dont les yeux étaient fréquemment tournés vers sa droite pour vérifier les départs, les impulsions et peut-être même certains coups d’archet. C’est également ce poids de l’institution sûre d’elle-même et de sa supériorité que l’on ressent en regardant certains visages hautains, à la limite de la morgue, de ceux qui n’ont rien à prouver et auquel le public vient rendre hommage à chacun de ses déplacements...


Mais comment ne le seraient-ils pas, fiers et honorés, lorsqu’ils réussissent un concert du niveau de celui qu’on a entendu ce soir? Car ne tergiversons pas: la deuxième prestation parisienne de la saison des Wiener Philharmoniker, qui concluent ainsi une tournée européenne de presque dix jours, aura tout bonnement été superlative.


Bien que s’étant frottés au compositeur finlandais il y a quelques décennies (sous la direction notamment de Bernstein et de Lorin Maazel, qui a gravé avec eux une excellente intégrale des Symphonies), Jean Sibelius (1865-1957) ne fait pas partie des compositeurs de prédilection des Philharmoniker (souvenons-nous néanmoins de cette Première Symphonie donnée sous la direction de Valery Gergiev, voilà près de cinq ans). Pourtant, en entendant ces premiers accords de Finlandia (1899), on est ébloui. Une ampleur et une richesse sonores incroyables conduites d’une main de fer par Riccardo Chailly: d’emblée, on rend les armes. Comment, par exemple, ne pas succomber à ce solo de flûte – magnifique Walter Auer – qui survient juste après le premier grand tutti orchestral?


La suite du programme, qui obéissait en fait au triptyque classique ouverture/concerto/symphonie, était consacrée au Concerto pour violon de Sibelius, créée en février 1904, avant d’être revu puis créé dans sa forme définitive au printemps 1905. Costume noir sur chemise noire sans nœud papillon ni cravate, Christian Tetzlaff en était le soliste, Leonidas Kavakos n’ayant assuré que les deux représentations viennoises et celle d’Amsterdam. Là encore, à l’image de la prestation du Philharmonique, le violoniste allemand a été du plus haut niveau. Son entrée, sur le célèbre tremolo de cordes de l’orchestre, fut exemplaire de finesse (rejoint en cela par la clarinette idoine de Daniel Ottensamer), Tetzlaff se jouant des difficultés techniques d’une partition qui est moins un dialogue entre le soliste et l’orchestre qu’une confrontation parfois violente, que soulignent certains accents âpres où s’estompe la frontière entre pur folklore et romantisme tardif. Tout en étant attentif à parfaitement guider son soliste (qui, de toute façon, jouait les yeux fermés), Chailly dirige avec soin un orchestre toujours en excellente forme où, d’un seul mouvement de baguette, le pupitre de violoncelles conduit par Tamás Varga s’emporte, les contrebasses vrombissent, la flûte s’amuse... Après le rêveur Adagio di molto, c’est avec une rage sourde que tous entonnent ce troisième mouvement que le musicologue britannique Sir Donald Tovey qualifiait de «polonaise pour ours blancs». Là encore, Tetzlaff parvient à rester sur le sommet de la crête, trouvant le subtil équilibre entre les acrobaties mélodiques et les passages purement techniques de cet «Allegro ma non tanto». En bis, le Largo de la Troisième Sonate de Bach apporte un apaisement bienvenu après les tornades finlandaises qui l’avaient précédé.


Bruckner par Vienne: un poncif, diront certains. Et le fait est que, lors de leur première venue en septembre dernier sous la direction de Lorin Maazel, c’était la grandiose Huitième Symphoniequi avait été choisie. Si l’on remonte quelque peu dans le temps, on a également pu entendre l’orchestre dans la Huitième sous la direction de Christian Thielemann en mars 2007, la Deuxième sous celle de Riccardo Muti en avril 2008 et la Neuvième sous celle de Zubin Mehta en février 2009, cette même Neuvième qui avait été d’ailleurs donnée sous la baguette de Daniel Barenboim lors de la première saison de l’Eurocycle du Philharmonique de Vienne, en 1993-1994! Un poncif donc, mais que l’œuvre choisie au cours de cette tournée soit la rare Sixième constitue une surprise, car c’est de loin la symphonie la moins connue de Bruckner, si l’on excepte les deux symphonies de jeunesse.


Chailly, excellent brucknérien (il a d’ailleurs dirigé les Berliner Philharmoniker dans cette même symphonie en janvier 2012 à Berlin), allège considérablement la pâte sonore et conduit le premier mouvement (Majestoso) avec une ligne aussi claire qu’inflexible, illustrant parfaitement la mélodie conquérante de ce mouvement qui, comme souvent chez Bruckner, se conclut par une coda grandiose. A ce jeu-là, le pupitre de cors, emmené par Ronald Janezic, est exemplaire, procurant des frissons au spectateur à la moindre de ses interventions, le timbalier Erwin Falk n’étant pas en reste pour transformer ce premier mouvement en une démonstration superlative. L’Adagio, sans être aussi poignant que pourront l’être ceux des symphonies ultérieures, revêt ici des couleurs authentiquement mahlériennes: ce n’est peut-être pas un hasard, Chailly étant par ailleurs un excellent interprète de Mahler, celui-là même qui a dirigé en 1899 la première intégrale de cette Sixième Symphonie – en 1883, seuls l’Adagio et le Scherzo avaient été donnés. Les appels désespérés du hautbois solo Clemens Horak imposèrent immédiatement le ton, les cordes du Philharmonique adoptant un soyeux là encore désespérant de beauté et confondant de naturel. Après un bref mais habituel Scherzo: nicht zu schnell, les interprètes conclurent la symphonie par un quatrième mouvement qui, tour de force de la part de Chailly, retrouvait une certaine cohérence alors que, sous d’autres baguettes, il peut paraître plutôt débridé. Même sans bis, le triomphe remporté par les Philharmoniker et leur chef ne peut que nous donner envie d’aller écouter la Huitième par les mêmes lors de l’édition 2014 du festival de Salzbourg, où sera programmée une intégrale des Symphonies de Bruckner, Riccardo Muti devant notamment y retrouver les Wiener dans la Sixième.


Enfin, comment ne pas avoir une pensée, en ce 20 janvier, date de rédaction de ce compte rendu, pour Claudio Abbado qui vient de nous quitter et qui, à la tête du Philharmonique de Vienne, a également laissé quelques témoignages brucknériens de très haute tenue. Plus que jamais, la dimension spirituelle de l’œuvre du maître de Saint-Florian, magnifiée hier soir par un autre Milanais qui fut l’assistant d’Abbado dans sa jeunesse, s’impose à nous.


Le site de Riccardo Chailly
Le site de Christian Tetzlaff
Le site de l’Orchestre philharmonique de Vienne



Sébastien Gauthier

 

 

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