About us / Contact

The Classical Music Network

Paris

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

En elle-même enfin l’éternité la change

Paris
Amphithéâtre Bastille
11/19/2013 -  et 20 novembre 2013
Lili Boulanger : Pendant la tempête – Pour les funérailles d’un soldat – Clairières dans le ciel – Dans l’immense tristesse – Psaume CXXX «Du fond de l’abîme»

Yael Raanan Vandor (contralto), Cyrille Dubois (ténor), Florian Sempey (baryton)
Anne Le Bozec (piano)
Les Cris de Paris, Geoffroy Jourdain (direction)




Quelle place eût occupée, dans l’histoire de la musique française, une Lili Boulanger que la maladie n’aurait pas emportée en 1918, à moins de vingt-cinq ans ? Premier Prix de Rome féminin en 1913, la jeune fille eut à peine le temps de laisser quelques œuvres, mais elles sont fortes, d’une maturité surprenante, souvent des chefs-d’œuvre. Si l’on peut çà ou là trouver telle ou telle parenté, elles ne sentent jamais l’épigone, alors que beaucoup, à cet âge, ne peuvent s’empêcher de braconner. La soirée hommage de l’Amphi Bastille a suffi pour nous le rappeler.


Si Les Cris de Paris se cherchent dans « Pendant la tempête », d’après Théophile Gautier, ils se ressaisissent – heureusement – lorsque vient « Pour les funérailles d’un soldat », où Florian Sempey séduit une fois de plus par la richesse du timbre et le sens de la déclamation, donnant un sombre éclat aux vers de Musset. Mais le recueil de mélodies Clairières dans le ciel est autrement ambitieux : plus d’une demi-heure de musique d’une grande intensité, pour dire l’abandon du poète par la femme aimée. C’est un peu L’Amour et la vie d’une femme de Lili Boulanger, sur des poèmes de Francis Jammes, un des phares de la poésie française de l’époque – le titre est en réalité celui de son recueil suivant, alors que tout vient de Tristesses. Un défi pour l’interprète, brillamment relevé par Cyrille Dubois. On l’avait repéré interprétant les Sonnets de Pétrarque lors d’une soirée Liszt de l’Atelier lyrique (voir ici). Il a, depuis, fait son chemin et vient de triompher à Saint-Etienne dans Lakmé (voir ici). On ne niera pas certains défauts : modestie du grave, tendance à serrer l’aigu, à détimbrer les nuances, à accentuer parfois les langueurs « fin de siècle » du texte. Il reste une maîtrise parfaite de l’émission, notamment de la voix mixte et de la messa di voce, une exemplaire clarté de l’articulation, un art, ici aussi, de la déclamation. Autant de qualités qui pourraient en faire le ténor aigu à la française de demain, qu’on verrait aussi bien, entre autres, en Orphée de Gluck qu’en Pâris de La Belle Hélène. La déploration de « Demain fera un an », le dernier poème, a quelque chose de poignant dans l’identification du chanteur à la souffrance.


On n’est pas moins étreint par « Dans l’immense tristesse », où la musique évoque, avec des harmonies audacieuses et des sonorités de glas, un enfant qui pleure sur la tombe de sa mère, poème d’une Bertha Galeron de Calone atteinte de cécité et de surdité. L’émotion vient aussi de Yael Raanan Vandor : cette authentique voix de contralto – ce n’est pas si courant – semble descendre dans l’insondable de la douleur. On la retrouve dans Du fond de l’abîme, plus connu depuis le superbe enregistrement d’Igor Markevitch, réalisé il y a cinquante-cinq ans maintenant. Cette musique puissante, d’une grande force d’évocation, anticipant sur Honegger et Roussel, dédiée à la mémoire du père, Ernest Boulanger, autre Grand Prix de Rome, trouve d’excellents interprètes dans les choristes des Cris de Paris, qui donnent le meilleur d’eux-mêmes dans cette partition exigeante, très dramatique – Faust et Hélène, la cantate du Prix de Rome, révélait déjà cette dimension de Lili Boulanger. Mais la cheville ouvrière de cette soirée reste Anne Le Bozec, dont le piano éloquent a porté l’ensemble du programme. Un piano coloré, évocateur, techniquement très sûr, qui, dans le psaume, doit à lui seul suggérer tout l’orchestre : rude tâche, comme dans toute réduction, dont la pianiste s’acquitte non seulement avec maestria, mais en grande musicienne.



Didier van Moere

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com