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Händel à contre-pied

Versailles
Opéra royal
11/21/2013 -  et 3, 6 (Lorient), 11, 12 (Brest), 16, 17, 19, 21 (Rennes) octobre, 10, 12, 14, 16 (Toulouse), 22*, 24 (Versailles) novembre 2013
Georg Friedrich Händel : Orlando, HWV 31

David DQ Lee (Orlando), Adriana Kucerová/Sunhae Im (Angelica), Kristina Hammarström (Medoro), Sunhae Im (Dorinda), Luigi Di Donato (Zoroastro), Sébastien et Grégoire Camuzet (acteurs)
Ensemble Matheus, Jean-Christophe Spinosi (direction)
Eric Vigner (mise en scène, scénographie, costumes), Jutta Johanna Weiss (collaboration artistique), Kelig Le Bars (lumières), Olivier Dhénin (assistant à la mise en scène), Vivien Simon (assistant à la scénographie), Anne-Cécile Hardouin (assistante aux costumes)


D. DQ Lee, G. & S. Camuzet (© Jean-Louis Fernandez)


Il serait intéressant – l’étude a d’ailleurs peut-être déjà été faite – de dénombrer et de se demander pourquoi des œuvres comme les Métamorphoses d’Ovide ou le poème épique Orlando furioso (1516) ont servi aussi souvent de source d’inspiration pour les artistes, à commencer par les musiciens. Car, si l’on s’en tient au seul Georg Friedrich Händel (1685-1759), ce sont au moins trois opéras, Alcina, Orlando et Ariodante qui se fondent sur des intrigues puisées au sein de l’œuvre-phare de L’Arioste (1474-1533).


Orlando, opéra en trois actes dont la partition est achevée le 20 novembre 1732 sur un livret de Carlo Sigismondo Capece, est un ouvrage à part dans l’œuvre de Händel. Point de richesse orchestrale (seules des cordes avec, de temps à autre deux flûtes ou deux hautbois, deux cors intervenant pour un seul air au premier acte), point de «Tout est bien qui finit bien» (puisque le héros tourne le dos à l’amour pour lui préférer la gloire et les combats guerriers), point de virtuosité vocale conférée au héros (Orlando se voyant même réduit à la portion congrue, les rôles féminins que sont Angelica et Dorinda étant tout aussi importants pour l’action, sinon davantage), une originalité dans le chant (le rôle important attribué à une basse, Zoroastro, registre peu usité à l’époque sauf pour incarner les méchants et les Enfers) et, enfin, un fait marquant dans l’équipe de chanteurs qui a créé l’opéra (puisqu’il s’est agi de la dernière collaboration entre Händel et le fameux castrat Senesino qui a préféré ensuite collaborer avec des compositeurs comme Hasse et Veracini). Bref, Orlando est donc un opéra original à bien des égards.


L’intrigue est assez complexe bien que les amours décrites soient simples: Angelica, reine de Cathay, est aimée d’Orlando tandis que le prince Medoro est aimé d’une bergère, Dorinda. Or, Angelica, qui a trouvé (on ne saura jamais comment...) Medoro blessé sur un champ de bataille, le soigne et suscite ainsi la jalousie d’Orlando. De son côté, Dorinda reproche à Medoro sa passion pour Angelica tandis qu’Orlando accuse cette dernière de le fuir pour Medoro, Angelica accusant en retour Orlando d’être amoureux d’une certaine Isabella, princesse qu’il a libérée à la suite de durs combats. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait: Medoro et Angelica s’enfuient, laissant notamment Dorinda seule et triste. Orlando part à la recherche des deux amants et, ivre de rage, s’apprête à tuer Angelica, geste arrêté in extremis par le sage Zoroastre. Après de nouvelles péripéties où Orlando sombre dans la folie, Zoroastre parvient à sauver Orlando de ses hallucinations; finalement, celui-ci tourne le dos à l’amour et s’en va vers de nouvelles victoires guerrières, non sans avoir pardonné à Angelica et Medoro qui peuvent ainsi filer un parfait amour, la pauvre Dorinda restant seule pour ce qui la concerne.


La représentation de ce soir, la deuxième des trois devant être données à l’Opéra royal du Château, clôt une tournée entamée au début du mois d’octobre, qui a emmené l’équipe à Lorient, Brest, Rennes et Toulouse.


La mauvaise nouvelle de la soirée fut annoncée par Laurent Brunner, directeur de Versailles-Spectacles, au début de la représentation: Adriana Kucerová est aphone. Et c’est donc Sunhae Im, qui doit pourtant déjà supporter le lourd rôle de Dorinda, qui a été choisie pour la remplacer dans les airs (se plaçant à cette occasion sur le bord de la scène), Adriana Kucerová ayant néanmoins tenu à jouer scéniquement son rôle en play-back, sauf pour les récitatifs qu’elle a également souhaité déclamer avec, effectivement, un simple filet de voix. On sourira en songeant que cette mésaventure était déjà arrivée en mars 2011 à Jean-Christophe Spinosi lorsqu’il avait dirigé un autre Orlando, l’Orlando furioso de Vivaldi cette fois-ci, où Marie-Nicole Lemieux, privée de sa voix, avait également joué formellement son rôle sur la scène du Théâtre des Champs-Elysées, Delphine Galou ayant tenu le rôle depuis la fosse. On sourira moins en constatant que cette absence se traduit par l’omission d’un des plus beaux numéros de l’œuvre, le trio entre Orlando, Angelica et Dorinda qui conclut le premier acte (scène 12).


Passons donc sur Adriana Kucerová et abordons le rôle de Dorinda, très bien tenu par Sunhae Im, qui l’a déjà chanté sous la direction de René Jacobs à La Monnaie en mai 2012. En dépit d’aigus souvent fragiles, elle a incarné avec une vraie justesse ce personnage de bergère un peu naïve, dotée d’un vrai caractère parfois (elle n’hésite pas à tenir tête à Angelica), bercée par ses illusions amoureuses et qui, finalement, se retrouve esseulée sans que grand monde ne fasse attention à elle. Très chaleureusement applaudie pour avoir également tenu le rôle d’Angelica, la jeune soprano coréenne, qui a d’ailleurs remplacé Veronica Cangemi, initialement annoncée dans la production, a relevé le défi avec une certaine réussite (là aussi, la voix a marqué certains signes de fatigue comme dans l’air «Se fedel vuoi ch’io ti creda» à la scène 9 du premier acte), chantant avec panache les paroles du personnage peut-être le plus important de l’opéra, princesse là aussi victime de ses sentiments.


Kristina Hammarström, que Jean-Christophe Spinosi avait déjà dirigée dans l’Orlando furioso (elle incarnait alors le personnage de Bradamante), est excellente, notamment dans le très attendu «Verdi allori» (acte II, scène 5): voix chaude parfaitement maîtrisée, agilité vocale de tous les instants, elle s’impose également par une présence scénique indéniable. On aurait pu souhaiter, car n’oublions pas qu’elle incarne le rival d’Orlando, un peu plus de sensualité dans ses confrontations avec Angelica mais la crédibilité de son personnage ne fait pour autant jamais défaut.


Dans le rôle-titre, David DQ Lee est également très bon. Même s’il apparaît parfois falot, il s’affirme lui aussi sur scène en plus d’une occasion, servi par une voix extrêmement agréable. Bien que quelques vocalises semblent lui poser problème (notamment dans l’air «Non fù già men forte Alcide», acte I, scène 3), il capte sans difficulté l’attention dans la scène très attendue de la folie au deuxième acte, semblant véritablement possédé par des forces dont il n’est que le pantin. On aurait néanmoins aimé davantage d’héroïsme chez ce chanteur, semblant souvent la proie d’événements extérieurs alors qu’en principe, c’est lui qui fait preuve de volontarisme, tous azimuts certes, mais c’est normalement lui qui souhaite déterminer son destin: en l’espèce, il se laisse plutôt porter... Mais la plus belle voix de la soirée fut certainement celle de Luigi Di Donato qui, dans le rôle-clef de Zoroastro, à la fois narrateur, moraliste, sorte de Jiminy Cricket d’Orlando, fut parfait. Bénéficiant d’une voix à la fois chaude et profonde sans pour autant être caverneuse, il affirme son personnage avec maestria et se révèle au sein de cette belle soirée.


Dans la fosse, l’Ensemble Matheus est irréprochable. Jean-Christophe Spinosi accompagne les chanteurs avec une attention de chaque instant, sait se montrer tour à tour lyrique ou en retrait, laissant toujours la voix dominer. Spinosi, qui ne peut compter là sur une partition luxuriante (nous ne sommes ni dans Giulio Cesare ni dans Ariodante), veille au rythme de l’intrigue et mène son orchestre avec un vrai sens du drame, à commencer par cette superbe ouverture, pleine de noirceur et annonciatrice des tourments qui vont survenir.


Pour la mise en scène, Eric Vigner a souhaité utiliser, comme il l’indique lui-même dans une brève notice insérée dans le programme, «l’espace du plateau [comme] un lieu irréel et incertain où nos amants pourront se dévoiler ou se perdre». Or, c’est le public qui s’est perdu... En fait de mise en scène, on doit plutôt déplorer l’absence de mise en scène pour ne pas dire l’incurie de ce qui se prétend être une mise en scène. Le décor du premier acte est un plateau de théâtre avec toute sa machinerie (des échafaudages en fer, des cordes qui pendent, ...), un écran vidéo au milieu du regard où défilent surtitres et images vidéo (dont un extrait du Mépris de Godard montrant le physique érotique de Brigitte Bardot dans le fameux passage illustré par la musique de Georges Delerue). Le décor du deuxième acte ressemble à un vaste sous-bois devant lequel prend place un rideau de perles (sorte de vaste rideau chenille censé, en été, empêcher les mouches d’entrer dans les maisons) tandis que celui du troisième acte reprend celui du premier acte, de vastes panneaux de bois étant par ailleurs déplacés par deux figurants au gré de l’action. On passera donc sur ces décors dont le principal désagrément, au deuxième acte, fut de gêner la musique, les deux figurants passant à tour de rôle agiter le rideau perlé dont le petit bruit en venait presque à couvrir l’orchestre.


Quant au jeu de scène, il est absent. Totalement absent du premier acte, un peu plus présent au deuxième (notamment lors de la scène de la folie où le jeu des lumières fut, en revanche, tout à fait inventif et approprié, permettant à l’ombre décuplée de Zoroastro de dominer celle d’Orlando), plutôt absent également du troisième et dernier acte. Globalement, le seul mérite du travail d’Eric Vigner a consisté à ne pas trop troubler la musique: c’est déjà ça.


Un spectacle de belle tenue donc, mais qui, compte tenu de la valeur de l’orchestre et des chanteurs, aurait sans doute suffi à être donné dans une simple version de concert.


Le site de David DQ Lee
Le site de Sunhae Im
Le site de l’Ensemble Matheus



Sébastien Gauthier

 

 

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