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Les dix commandements de Scarlatti La Roque Lourmarin (Temple) 07/29/2013 - Domenico Scarlatti : Sonates K. 3, K. 213, K. 214, K. 535, K. 211, K. 135, K. 44, K. 87, K. 517, K. 423, K. 185, K. 552, K. 144, K. 124 et K. 151
Bertrand Cuiller (clavecin)
B. Cuiller (© Jean-Baptiste Millot)
De longue date, l’un des lieux d’élection du festival de La Roque d’Anthéron est le temple de Lourmarin, à seulement 15 kilomètres par la route, en passant dans le Vaucluse, après avoir franchi la Durance, et en montant vers l’un de ces villages typiques du Luberon – vieilles pierres, cyprès et montagnes. Le cadre est idéal pour le marathon Scarlatti de Bertrand Cuiller (né en 1978), consistant en deux récitals successifs, à 18 heures et 21 heures – le lendemain en l’abbaye de Silvacane, c’est le piano d’Alice Ader qui en fera entendre dix-huit.
Le choc aurait pourtant pu être frontal entre l’univers baroque et foisonnant, méditerranéen, du Napolitain émigré dans la péninsule ibérique, et le rigoureux édifice (début XIXe), dont la chaire, au pied de laquelle est installé le clavecin, est entourée de deux grands panneaux reproduisant les tables de la Loi. C’est que le claveciniste français veille, lui aussi, à respecter dix commandements.
1. Un choix personnel tu effectueras. Trente sonates, c’est exactement le nombre des Essercizi de 1738 – les premières publiées des 555 sonates – mais de la K. 3 à la K. 552, Cuiller préfère parcourir toute la chronologie de ce corpus né en deux décennies seulement et choisir des pages généralement peu connues.
2. La facilité tu éviteras. S’ils comprennent chacun quinze sonates, les deux programmes sont entièrement différents et ne recoupent que rarement celui de son récital enregistré voici quatre ans pour Alpha.
3. De la musicologie tu t’accommoderas. Le parcours parmi le catalogue est libre, ignorant presque totalement les groupes de deux ou trois sonates de même tonalité que Ralph Kirkpatrick s’était efforcé de reconstituer en procédant au classement de l’œuvre de Scarlatti – seule la paire constituée par les K. 213 et K. 214 fait exception. De même, les reprises ne sont pas systématiquement respectées.
4. Les caractères tu varieras. La sélection assure une représentation équitable de tous les climats scarlattiens, condition sine qua non pour que cette succession de formes identiques (AABB) ne suscite pas l’ennui, entre pyrotechnie (K. 535) et cantabile (K. 144), de la furie latine (K. 517) à la profondeur germanique (K. 87) en passant par la danse (K. 214).
5. Ton instrument soigneusement tu choisiras. Comme pour l’enregistrement susmentionné, il s’agit d’un clavecin de Philippe Humeau (2007), au grave sonore et à l’aigu cristallin, qui s’épanouit raisonnablement dans le volume du temple.
6. Ton effort tu géreras. Car c’est bien d’un marathon qu’il s’agit: une très grosse heure de musique, que l’interprète aborde en laissant paraître davantage de concentration que d’effort ou de fatigue.
7. Aux imprévus tu resteras insensible. Ainsi d’un combat – perdu – contre une mouche et de la nécessité de régler le ventilateur posé sur son côté.
8. Ta technique tu travailleras. Bertrand Cuiller n’est pas davantage pris en défaut de respect de ce commandement: les quelques accrocs pourront sans doute être attribués à la chaleur et, pour le reste, la réalisation se révèle d’une redoutable précision – les notes répétées de la K. 211.
9. Ton jeu tu diversifieras. Sans céder à la facilité d’accentuer les frottements et surprises, le discours se montre toujours souple et fluide, quel que soit le contexte – rebond (K. 3) ou legato (K. 213), simplicité (K. 44) ou densité (K. 185).
10. Un bis tu offriras. Ce sera, évidemment, une seizième sonate, la K. 450 (en sol mineur), toujours aussi maîtrisée, toujours aussi peu soucieuse d’épater la galerie.
Simon Corley
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