About us / Contact

The Classical Music Network

Strasbourg

Europe : Paris, Londn, Zurich, Geneva, Strasbourg, Bruxelles, Gent
America : New York, San Francisco, Montreal                       WORLD


Newsletter
Your email :

 

Back

Un cri pour la paix

Strasbourg
Opéra national du Rhin
03/17/2013 -  et 19, 21 mars (Colmar), 7, 9, 11 avril (Mulhouse), 4*, 6 juillet (Strasbourg) 2013
Benjamin Britten : Owen Wingrave, opus 85
Laurent Deleuil (Owen Wingrave), Sévag Tachdjian (Spencer Coyle), Jérémy Duffau (Lechmere), Mélanie Moussay (Miss Wingrave), Sahara Sloan (Mrs. Coyle), Kristina Bitenc (Mrs. Julian), Marie Cubaynes (Kate), Guillaume François (Général Sir Philip Wingrave et Le Narrateur)
Maîtrise de l'Opéra national du Rhin, Petits Chanteurs de Strasbourg, Orchestre symphonique de Mulhouse, David Syrus (direction)
Christophe Gayral (mise en scène), Eric Soyer (décors et lumières), Cidalia Da Costa (costumes), Renaud Rubiano (vidéo)


L. Deleuil (© Alain Kaiser)


En 1996 l’Opéra du Rhin s’offrait le luxe d’une création française d’un ouvrage de Benjamin Britten (comme ce fut le cas naguère, pour Le Songe d’une nuit d’été (1965) et Peter Grimes (1949), présentés ici pour la première fois en France). A l’époque, c’était Pierre Barrat qui mettait en scène cet Owen Wingrave, dans un style dépouillé, classique, efficace : une production dont on se souvient bien des ambiances, d’une étrangeté réaliste à la Hitchcock, et dont on avait d’ailleurs totalement oublié, captivé sur le moment par la réussite de cette création, que les chanteurs s’y exprimaient dans une traduction française.


Cette fois c’est la version originale anglaise qui a été logiquement retenue, ce qui pose malheureusement de vrais problèmes à une distribution de jeunes chanteurs tous aguerris déjà, mais dont la voix s’adapte mal à un idiome rebelle. Faut-il être un native speaker pour rendre correctement justice à Britten et à l’opéra anglais en général ? Ici en tout cas la musicalité naturelle de la langue de Shakespeare paraît comme émoussée, et la tension dramatique qui naît du traitement même de la voix chez Britten s’en ressent. Ceci n’enlève rien à la valeur intrinsèque d’une véritable équipe (issue de l’Opéra Studio), où l’on discerne beaucoup de talents en devenir. Mais la magie qui naît si souvent chez Britten de presque rien, d’une intonation, d’une syllabe parfois, nous parvient ici un peu brouillée. On notera cependant l’extrême implication scénique de tous, excellents comédiens pour la plupart, même si certains sont loin d’avoir l’âge requis par leur rôle (les maquillages, parfois violemment «vieillissants» sont très réussis). Grâce à l’excellente direction d’acteurs de Christophe Gayral on parvient en tout cas constamment à y croire, et l’étau psychologique dans lequel Britten sait si bien enfermer progressivement ses personnages, et le public avec eux, se resserre sans aucune pitié.


Histoire tout à fait typique de son auteur que celle d’Owen Wingrave, fils de famille d’une juvénilité fragile, promis à une carrière militaire brillante, comme du reste tous ses ascendants depuis plus de dix générations, mais qui tout à coup refuse net un tel avenir. Des convictions pacifistes voire anti-militaristes qui conduiront le rebelle jusqu’à l’anéantissement, comme phagocyté par une famille qui ne peut en aucun cas tolérer un tel écart et se fait finalement justice coûte que coûte, fût-ce par fantômes interposés. D’une autre manière encore que dans Le Tour d’Ecrou, Britten se révèle ici un maître du suspense, au prix d’un relatif assèchement de la matière mélodique qui rend aussi l’ouvrage un peu plus difficile d’accès. Davantage que l’étrangeté du propos c’est bien l’horreur de la guerre telle que Britten a toujours pu la ressentir qui fait constamment surface, l’ouvrage devenant bien ici une sorte de symétrique du War Requiem, dans un registre plus intimiste.


Un minimalisme qui dessert l’Orchestre de Mulhouse, réduit à une petite formation où chaque imperfection s’entend comme grossie par un impitoyable amplificateur. Ceci rajoute encore de l’âpreté à une partition dont le dépouillement devrait paraître couler davantage de source. Cette rugosité, le chef David Syrus, spécialiste reconnu de l’œuvre lyrique de Britten, ne peut rien y changer. Au moins essaie-t-il de s’en accommoder et de préserver dans sa lecture la lisibilité d’un maximum de messages. Mission globalement accomplie.


Très beaux aspects visuels aussi, avec un décor astucieusement réduit à quelques parois coulissantes dont les mouvements enferment et oppressent. Projections vidéos économes, superbement évocatrices, de Renaud Rubiano. Costumes sobres qui paraissent situer l’action au milieu du siècle dernier. Aucun accessoire inutile, rien que la force d’une œuvre dans son impitoyable dépouillement. Owen Wingrave a été conçu initialement comme un opéra pour la télévision, vision filmique princeps dont cette production retrouve avec aisance l’instantanéité. Un très beau travail collectif, pour une fin de saison trop confidentielle mais psychologiquement marquante.



Laurent Barthel

 

 

Copyright ©ConcertoNet.com