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Miroir, ô miroir...

Strasbourg
Opéra National du Rhin
06/19/2013 -  et 21, 23, 25*, 27 juin (Strasbourg), 5, 7 juillet (Mulhouse)
Giacomo Puccini : Tosca
Amanda Echalaz (Floria Tosca), Andrea Carè (Mario Cavaradossi), Franck Ferrari (Baron Scarpia), Kurt Gysen (Cesare Angelotti, Frédéric Goncalves (Un Sacristain), John Pumphrey (Spoletta), Alexander Schuster (Sciarrone)
Chœurs de l’Opéra national du Rhin, Petits Chanteurs de Strasbourg, Maîtrise de l’Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Daniele Callegari (direction)
Robert Carsen (mise en scène), John La Bouchardière (réalisation de la mise en scène), Anthony Ward (décors et costumes), Davy Cunningham (lumières)


A. Echalaz, A. Carè (© Alain Kaiser)


Puccini se raréfie au répertoire. On peut le regretter mais c’est un fait. Et pourtant que de beautés et d’intelligence dans cette musique de fin compositeur de théâtre ! On se retrempe dans cette Tosca avec un étonnement ravi, comme dans un vieux décor familier dont on avait perdu la perception des contours et dont la splendeur nous revient d’un seul coup. La subtilité harmonique, l’art des transitions, le pragmatisme quasi-diabolique de l’orchestration, tout cela le chef italien Daniele Callegari le fait ressortir sans peine, tant cette partition reste fondamentalement bien écrite. On peut simplement regretter que l’Orchestre philharmonique de Strasbourg, après un premier acte plutôt impressionnant, retrouve quelques vieux démons en cours de soirée, avec un tendance certaine à la perte d’homogénéité. Puccini supporte aussi ce type de routine, mais ressort tellement mieux quand on lui donne vraiment toutes ses chances de grand compositeur...


Clairement aussi, de grandes voix sont requises, pas nécessairement en parfait état d’ailleurs, mais avec à l’intendance des possibilités évidentes de toucher, de percuter, bref de crever l’écran. Et ces qualités, force est de constater que ce soir-là seul le jeune ténor Andrea Carè les possède. Le timbre est beau, les aigus claironnent juste, de vrais atouts sont là. Manque simplement une plus grande maîtrise technique qui permettrait de nuancer, au lieu de simplement esquisser des changements de dynamique un peu timides. Un vrai travail de consolidation reste à fournir et il n’est pas certain que ce soit au programme (la lecture de l’agenda du chanteur laisse perplexe : Don José, Pinkerton, Riccardo, Samson... tout ça ? vraiment ? si tôt ?). Mais au moins André Carré nous fait-il de l’opéra, du vrai.


En revanche Franck Ferrari nous fait de la répétition générale, paraissant davantage marquer le rôle de Scarpia que le chanter à fond. Parfois l’impression que l’interprète gère les affaires courantes en attendant de tourner la page devient vraiment pénible. Méforme passagère ou manque d’atomes véritablement crochus avec le rôle ? Quant à la Tosca d’Amanda Echalaz, splendide d’allure en scène, on chercherait en vain chez elle ce grain théâtreux un peu trivial, cet histrionisme de bon aloi qui sont quand même le fond de commerce du rôle. On a davantage l’impression d’une Pamina qui aurait grandi et forci, femme-enfant pleine de bons sentiments qui se laisse broyer par la machination ambiante en poussant de longues plaintes impuissantes. Musicalement c’est juste (encore que pas toujours : la Cantate hors-scène, oh là là!), mais le portrait reste gentiment exigu, quant aux mots du drame on les devine au mieux. Heureusement que nos temps modernes ont inventé le surtritrage pour clarifier ce genre de bouillie !


A propos de surtitrage... parlons en. Quant le texte vous envoie directement au cerveau des notions telles que la présence sur scène d’une église et d’une madone, d’une victoire récente de Bonaparte ou encore des tendances voltairiennes de l’un des rôles principaux, ledit cerveau souhaiterait que sur scène se passent des choses compatibles. La production de Robert Carsen choisit de placer l’intégralité de Tosca dans un théâtre à l’italienne dans les années 1950 du siècle dernier, c’est un choix, mais encore faudrait-il modifier le surtitrage en conséquence. Or personne n’ose s’y risquer. Pourquoi ? Sans doute parce qu’ici on toucherait à l’écrit, on censurerait net. Alors que sur scène, finalement, laisser flotter une Tosca dans un espace indéfini et fumeux, ce n’est pas si grave... La défiguration de l’œuvre reste en surface, comme un maquillage inapproprié mais qui n’empêche personne de respirer.


Encore que... On avoue, à titre personnel, être resté de marbre devant cette production - reprise d'un spectacle qui date de plus de vingt ans déjà - tant son imaginaire sophistiqué tape à côté de la plaque. En pratique: le plateau représente une scène de théâtre à l’italienne s’ouvrant de biais vers une salle imaginaire. Donc avec une fosse d’orchestre devant (la vraie) et une fosse au fond (la fausse), abîme obscur au-dessus duquel Tosca fera le saut de l’ange à la fin. Thématique théâtrale renforcée par la présence d’un rideau rouge au I, d’un rideau de fer baissé au II, et d’un vide angoissant laissé vers la (fausse) salle au III.


Vous suivez ? Vu de la (vraie) salle, en tout cas, le dispositif est bien lisible. L’omniprésence du théâtre est d’ailleurs tellement prégnante et soulignée que les vrais lieux de l’action sont complètement gommés, et avec eux tous les réflexes pourtant essentiels qu’ils sont censés susciter chez les principaux personnages. Au I (des chaises rouges partout, une représentation lyrique en préparation, des petits rats en lieu et place des enfants de chœur, une Tosca en sosie de Maria Callas qui signe même un autographe à un jeune admirateur rougissant...) le hiatus est total, l’embarras paralysant, l’échec globalement cuisant. Au II les rouages fonctionnent mieux. Et au III une intrigue normale peut enfin s’imposer. Mais cette amélioration correspond aussi exactement, tiens donc, à l’affaiblissement du concept initial, cette Tosca finissant par s’imposer globalement comme toutes les autres, avec les mêmes ressorts, le reste n’étant plus que placage sans réelle incidence. Et c’est peut-être ce qui agace le plus dans cette production où l’accumulation de miroirs psychologiques disposés face à face finit par renvoyer un opéra virtuel qui n’est plus rien… sinon un peu d’intellectualisme raffiné et beaucoup d’impuissance autour. Alors que Tosca offre quand même un vrai sujet qui ne demande qu’à être traité, respecté. Puccini, oui certainement. Mais comme ça ? Honnêtement, à quoi bon ?



Laurent Barthel

 

 

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