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Le Ring, c’est fini

Paris
Opéra Bastille
05/21/2013 -  et 25, 30 mai, 3, 7, 12, 16, 26 juin 2013
Richard Wagner : Götterdämmerung
Torsten Kerl (Siegfried), Evgeny Nikitin (Gunther), Peter Sidhom (Alberich), Hans Peter König*/Matti Salminen (Hagen), Petra Lang*/Brigitte Pinter/Linda Watson (Brünnhilde), Edith Haller (Gutrune, Dritte Norn), Sophie Koch (Waltraute, Zweite Norn), Wiebke Lehmkuhl (Erste Norn, Flosshilde), Caroline Stein (Woglinde), Louise Callinan*/Anja Schlosser (Wellgunde)
Orchestre et Choeur de l’Opéra national de Paris, Philippe Jordan (direction)
Günter Krämer (mise en scène)


P. Lang, S. Koch (© Opéra national de Paris/Elisa Haberer)


Siegfried nous avait presque réconcilié avec le Ring de Günter Krämer. Même légèrement retouché, Le Crépuscule des dieux confirme le ratage de l’ensemble et ne change en rien l’impression – mauvaise – laissée il y a deux ans. Pas de véritable vision, plutôt une juxtaposition d’idées non abouties : on oscille entre la distanciation ironique, la mise en perspective historique, le thriller mafieux. Une salade de lieux devenus communs depuis un certain temps : Brünnhilde, bourgeoisement installée, range sa vaisselle pendant la visite de Waltraute ; un Gunther stupide se fait aider par son pote Siegfried pour le remplacer auprès de son ex ; les hommes de Hagen ressemblent à une ligue paramilitaire au milieu d’une fête de la bière ou du vin… du Rhin. La fin ressemble désormais à un jeu vidéo, ce qui pourrait replacer le Ring dans les mythologies d’aujourd’hui, dont nous sommes nous-mêmes les démiurges ; comme rien ne la justifie, elle ne semble qu’un gadget de plus – on ne sait plus du coup ce que devient la Germania, déjà en décomposition dans Siegfried. Le propos, de surcroît, se trouve encore affaibli par l’indigence de la direction d’acteurs – péché mortel dans Le Crépuscule, à commencer par le premier acte, avoisinant les deux heures. Chacun fait ce qu’il peut, presque abandonné à lui-même. Retiendra-t-on quelque chose ? Oui, malgré tout. Certes pas ce Siegfried marionnette, totalement instrumentalisé. Plutôt l’espèce de réincarnation des Nornes en Filles du Rhin. Ou, surtout, cette omniprésence d’Alberich, par lequel se boucle la boucle ouverte dans L’Or du Rhin : d’abord présent à travers la mère de Hagen, petit paralytique que la suite laissera cloué à son fauteuil, c’est lui qui tuera Siegfried et tentera de récupérer l’anneau. Fidélité au texte aussi : il ne s’agit rien moins que de dominer le monde, d’où cette mappemonde entre les mains de Hagen, simple jouet pour Siegfried, sur laquelle se focalisent les fantasmes de puissance et les incurables frustrations d’un fils victime de la rage destructrice de son père. Pas suffisant, malheureusement, pour faire un Crépuscule.


Torsten Kerl faisait parfois illusion dans Siegfried. Le Crépuscule, pourtant moins long et moins redoutable pour le Wälsung, le montre totalement défait, avec une émission de plus en plus serrée, souvent à peine audible, allant jusqu’à rater une mort où, d’habitude, les autres se rattrapent : la reprise du chant de l’oiseau est un massacre. Nouvelle venue, Petra Lang, en revanche, constitue une excellente surprise : même si, comme chez beaucoup d’anciennes mezzos, le médium peut se dérober ici ou là, elle assume l’écrasante tessiture, sans crier ses aigus, arrive à la scène finale en bon état. Sans doute veille-t-elle plus à ne pas faillir qu’à affiner sa composition, sans doute aimerait-on un timbre moins froid, mais elle parvient à porter ce Crépuscule. Bien entourée au demeurant. Beaucoup plus que son père, un Peter Sidhom fatigué et ne résistant guère à la tentation du Sprechgesang, le Hagen de Hans-Peter König incarne les abîmes de la haine et du mal, timbre noir, toujours bien chantant néanmoins. Entre des mains si ténébreuses pèsent peu le Gunther grotesque, vocalement assuré, d’Evgeny Nikitin et la Gutrune pas potiche d’Edith Haller – deux nouveaux venus encore. Moulée dans sa robe noire, Sophie Koch est toujours aussi à l’aise en Waltraute, messagère de l’impossible, impuissante figure tragique, souveraine dans la déclamation de son récit. Nornes et Filles du Rhin homogènes, même si les secondes pourraient être plus légères.


Philippe Jordan, il y a deux ans, avait suscité des réserves. Est-ce la fréquentation de la fosse de Bayreuth ? La maturation d’un chef qu’on sait si acharné travailleur ? L’intimité sans cesse entretenue avec le Ring ? Plus de baisses de tension, plus d’ambiances lissées, plus de longueurs dans cette reprise du Crépuscule : la direction est pensée, structurée, file droit jusqu’à la dernière note. Elle a gagné en théâtralité, en variété de couleurs, alors que les plans sonores se révèlent, que des lignes souvent enfouies se dégagent, à la faveur d’une lecture souplement polyphonique, jamais bruyante. Toujours pas d’épopée, sinon celle d’une humanité à la dérive, que les dieux ont désertée. C’est plastiquement aussi beau, mais dramatiquement beaucoup plus fort. Si bien que l’on garde en mémoire, d’abord, le souvenir de cet orchestre.


Fin juin, les quatre opéras du Ring seront donnés à la suite.



Didier van Moere

 

 

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