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Un Capriccio de belle tenue Lyon Opéra 05/07/2013 - et 7, 9, 11, 13, 15*, 17, 19 mai 2013 Richard Strauss : Capriccio, opus 85
Emily Magee (La Comtesse), Christoph Pohl (Le Comte), Lothar Odinius (Flamand), Lauri Vasar (Olivier), Victor von Halem (La Roche), Michaela Selinger (Clairon), François Piolino (Monsieur Taupe), Elena Galitskaia (Une chanteuse italienne), Dmitry Ivanchey (Un chanteur italien), Christian Oldenburg (Le Majordome)
Orchestre de l’Opéra de Lyon, Bernhard Kontarsky (direction)
David Marton (mise en scène), Barbara Engelhardt (dramaturgie), Christian Friedländer (décors et costumes), Hennig Streck (lumières)
E. Magee, L. Vasar (© Jean-Pierre Maurin)
De la primauté du théâtre ou de la musique à l’opéra – sujet du Capriccio straussien créé à Munich en 1942 –, le jeune metteur en scène allemand d’origine hongroise David Marton semble avoir tranché, ce sera le théâtre! Ainsi le rideau se lève-t-il, après le sublime sextuor d’ouverture, sur une salle de théâtre à l’italienne faisant penser au Palais Garnier, vu en coupe, dans un procédé de mise en abyme qu’affectionne tant un Robert Carsen, auquel fait penser le travail de Marton, plutôt sage au demeurant pour un metteur en scène considéré comme un trublion adepte du Regietheater. Tandis que la Comtesse et son frère portent des costumes XVIIIe, ceux du reste de la distribution s’inscrivent dans l’époque où l’œuvre a été écrite, la Seconde Guerre mondiale, ce que nous précise, par exemple, la caractérisation de Monsieur Taupe, le souffleur officiel, transformé ici en délateur zélé du régime nazi: on le voit – scène qui fait froid dans le dos – inspecter les caractéristiques physiques de certains personnages, à la recherche d’une éventuelle judaïté. Quant à la fameuse scène finale, sans atteindre la splendeur de celle concoctée par Robert Carsen pour son égérie Renée Fleming au Palais Garnier en 2004 , elle s’avère émouvante, montrant la Comtesse à mi-chemin de son enfance et de sa vieillesse, symbolisée sur scène par une ballerine adolescente et une comédienne âgée.
Côté fosse, le chef allemand Bernhard Kontarsky fait une fois de plus preuve d’un grand savoir-faire dans la subtile alchimie des timbres instrumentaux, mais, comme souvent en pareil cas, il se laisse emporter et transforme le commentaire orchestral en fleuve puissant dont les remous wagnériens engloutissent les voix.
Sur ce plan là, pas de personnalités d’exception peut-être, mais la cohérence s’affirme néanmoins à un niveau élevé. Il serait vain de comparer la Comtesse d’Emily Magee à quelques illustres devancières. Reconnaissons lui une vraie présence scénique et vocale, ainsi que quelques moments de beau chant. Un plus longue fréquentation du rôle lui donnera certainement la noblesse qui lui fait encore défaut. Le baryton estonien Lauri Vasar campe un Olivier presque déjà désabusé, mais admirable par son chant contrôlé aux inflexions enjôleuses et suffisamment souples pour conférer au texte l’inimitable mélange des tons nécessité par cette partie. Superbement timbrée, la voix du ténor allemand Lothar Odinius ne lui cède en rien, et possède toute la projection et la puissance requises pour transmettre les convictions musicales et la flamme amoureuse du compositeur.
Christoph Pohl est tout aussi persuasif dans son portrait du Comte, philosophe parfois morose que transfigure son ambition de plaire à Clairon, incarnée ici par la mezzo autrichienne Michaela Selinger, qui trace de l’actrice un portrait autoritaire auquel manque pourtant un rien de panache. En La Roche, le vétéran Victor von Halem accuse des signes de fatigue se faisant particulièrement sentir dans la fameuse scène apostrophe, qui se transforme en tour de force à l’arraché, mais le comédien, lui, est prodigieux. Enfin, les chanteurs italiens (Elena Galitskaya et Dmitry Ivanchey) exécutent leur numéro avec une certaine verve, tandis que le délicieux ténor français François Piolino, en Monsieur Taupe, fait preuve de finesse et d’émotion dans la scène du majordome, lui aussi campé avec relief par Christian Oldenburg.
Le voilà donc bien l’esprit de Strauss, cette classe, cette sensibilité, cette ironie à peine marquée. Par leur manière de se tenir en scène et de jouer si parfaitement avec les paroles et la musique, tous les chanteurs-comédiens réunis ce soir apportent tous la meilleure des réponses au débat esthétique de Capriccio.
Emmanuel Andrieu
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