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Don Leporello Paris Theâtre des Champs-Elysées 04/25/2013 - et 27, 30 avril , 3*, 5, 7 mai 2013 Wolfgang Amadeus Mozart : Don Giovanni, K. 527 Markus Werba (Don Giovanni), Miah Persson (Donna Elvira), Daniel Behle (Don Ottavio), Sophie Marin-Degor (Donna Anna), Robert Gleadow (Leporello), Serena Malfi (Zerlina), Nahuel di Pierro (Masetto), Steven Humes (Le Commandeur)
Le Cercle de l’Harmonie, Chœur du Théâtre des Champs-Elysées, Jérémie Rhorer (direction)
Stéphane Braunschweig (mise en scène)
(© Vincent Pontet/Wikispectacle)
Don Giovanni va être incinéré. Leporello revit la dernière journée d’un maître détesté mais fascinant, plus que jamais décidé à « faire le gentilhomme ». Rêvant de prendre enfin sa place – au second acte, à la faveur de l’échange de vêtements, il assouvira enfin son fantasme. De briser les tabous comme Don Giovanni, que Stéphane Braunschweig voit en figure des années sida, dopé à la pilule bleue, flambeur bravant la mort par le refus des « précautions ». De devenir enfin Don Leporello. Le metteur en scène renverse la perspective, dans un huis clos étouffant et macabre, au noir et blanc glacial, salle de massage, morgue ou chambre à coucher, avec un lit omniprésent, lieu du plaisir et de sa cuisante nostalgie : le décor tourne sur lui-même, métaphore d’un monde pris de vertige ou de la conscience du valet voyeur. Les différences sociales, qu’un Peter Brook avait effacées et qu’un Michael Haneke avait ressuscitées à sa façon, sont abolies : cela n’intéresse visiblement pas le metteur en scène. Zerline n’est plus que celle qui rêve d’un plaisir auquel elle préfère renoncer « plutôt que de se faire abuser ». Loin d’être d’une grande nouveauté, l’idée est fort bien défendue, avec une direction d’acteurs qu’on cherchait en vain dans le Ring aixois ou dans Le Son lointain strasbourgeois : le spectacle a du rythme, ça vit et ça bouge, à l’image de Don Giovanni lui-même. On n’oublie pas pour autant que le dramma reste giocoso, le rire joue perpétuellement avec la mort qu’il défie – le héros a d’emblée son masque, leitmotiv de la production, et l’on voit, dans des vitrines, les momies de ses victimes. C’est beau plastiquement, comme le bal, en costumes d’époque d’un très symbolique rouge sang – le metteur en scène évoque lui-même le Kubrick d’Eyes Wide Shut.
Ce rythme effréné se retrouve à travers la direction fouettée, abrupte, au scalpel, de Jérémie Rhorer, parfaitement maître de cette implacable mécanique. Du moins jusqu’à un certain point. Comme le héros, il se laisse en effet prendre au piège de l’urgence de l’instant : l’excessive modestie des cordes nuit à l’équilibre de l’ensemble, les lignes s’émoussent, le chef ne laisse pas assez respirer ses chanteurs. Or ceux-ci sont très inégaux et auraient souvent besoin de plus de vigilance. On ne pardonnera pas à Leporello, parce qu’il brûle les planches, un malcanto qui, à chaque instant, défait la ligne et ignore le phrasé. Sophie Marin-Degor chante une Anna scolaire, gênée aux entournures, manquant de souplesse et de nuance. Elvire a beau être là, brisée, Miah Persson déçoit, le timbre paraît froid et la tessiture a perdu son homogénéité. Plus convaincant s’avère le couple paysan : Nahuel di Pierro mûrit et s’affirme, Serena Malfi, heureusement rien moins que rossignol, a dans le timbre la pulpe sensuelle de Zerline. Daniel Behle possède la noblesse raffinée d’Ottavio, plus souple d’émission que de maintien – le metteur en scène le veut bon chic bon genre coincé. On n’entend pas toujours un Commandeur aussi bien chantant que Steven Humes. Markus Werba, beau physique et belle gueule ? Certes plutôt un – excellent – Papageno, un format assez modeste pour le « dissoluto », un timbre sans grand caractère, mais jeune et stylé, authentique mozartien, qui phrase et ne dévie pas de sa ligne, l’exact contraire de son valet.
Didier van Moere
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