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Haneke, le mozartien

Madrid
Teatro Real
02/23/2013 -  & 26, 28 février, 2, 4*, 6, 9, 12, 15, 17 mars 2013
Wolfgang Amadeus Mozart: Così fan tutte, K. 588
Anett Fritsch (Fiordiligi), Paola Gardina (Dorabella), Andreas Wolf (Guglielmo), Juan Francisco Gatell (Ferrando), Kerstin Avemo (Despina), William Shimell (Don Alfonso)
Chœur et Orchestre du Teatro Real, Andrés Máspero (directeur du chœur), Sylvain Cambreling (direction musicale)
Michael Haneke (mise en scène), Christoph Kanter (décors), Moidele Bickel et Dorothée Uhrmacher (costumes), Urs Schönebaum (lumières)


(© Javier del Real)


Une grande attente, que ce Così. Haneke présent à Madrid pendant trois mois, nombreuses répétitions musique-théâtre, et un silence complet sur le sens du spectacle. Cette fois-ci, l’attente d’un phénomène artistique de premier ordre était légitime. Così par Haneke, surtout par Haneke, avec, sans conteste, une très belle distribution (jeunes chanteurs compétents, voire déjà virtuoses), une illusion scénique garantie, un orchestre bien préparé, et un bon chef au service du projet. Il faut savoir que le Così de Haneke n’a pas grande chose à voir avec son Don Giovanni.


Le chœur chante, mais il joue également. On chante, on joue un rôle en tant que groupe. Le nombre de choristes est limité et les comédiens «invités» renforcent l’ensemble. Invités à voir tout cela parce que c’est la fête. Ils assistent au «spectacle» tout en chantant (le chœur chante peu dans Così fan tutte, l’original est une pièce de chambre), en fait, ils sont là pour être les témoins de la péripétie. Mais peut-être ne sont-ils pas là vraiment, et représentent-ils la «présence des absents». De la même façon que Dorabella et Fiordiligi ne sont vraiment présentes que lorsque Ferrando et Guglielmo enclenchent l’action chantée («La mia Dorabella capace non è») : elles sont avec eux, actrices, chanteuses, mais elles incarnent la présence des personnages absents. Tout comme les absents, elles sont présentes quand elles chantent leur amour envers leurs soupirants.


La tradition est très bien installée, grâce à la mémoire et grâce aux enregistrements ou autres captations : Così en tant qu’opéra bouffe, agile, drôle, une farce, bien que le sujet soit sérieux. On ne peut pas contester cette tradition. Elle est légitime et elle a donné pendant des décennies des spectacles insurpassables. On a essayé d’aller contre cette tradition avec des mises en scènes qui prenaient trop aux sérieux l’importance du caché et tout ce que Così comporte de sous-entendus, au sens hitchcockien du terme : Così métamorphosé en pièce triste, hélas, avec des personnages angoissés. Ah, la trahison de l’amour humain ! Mais on ne dramatise pas Così.


Haneke, semble-t-il, ne dramatise pas. Ce qu’il fait c’est une comédie (à moitié costumée : les costumes sont un mélange de deux siècles pour les personnages ainsi que pour le chœur). Il renouvelle la tradition, il ne va pas à son encontre. Il ne croit plus à la farce, cela a déjà été fait, trop bien et trop souvent ; il préfère imaginer une comédie où cette belle tradition n’éclate pas, mais dont elle s’écarte; et si la farce devient comédie, il faut des personnages qui transcendent casaques et redingotes ; il faut des silences, des pauses plus longues, en profitant surtout des récitatifs. Le public rit ; réaction peu habituelle aujourd’hui dans les opéras, même les plus bouffes ; la comédie «parvient» au public. La direction d’acteurs est profonde, bien travaillée, inhabituelle chez les metteurs en scène trop étoilés, toujours absents, eux, contrairement à Haneke, présent dans le Teatro Real pendant trois mois. Un moment heureux pour Haneke : cet opéra, le film Così (un chef d’œuvre), les prix (les Oscars au moment même de la première de son Così et la Médaille du Cercle des Beaux Arts à Madrid).


Dans ce moment particulier Haneke ne nous livre plus une de ses histoires pessimistes, comme Caché ou Le Ruban blanc, non. Ce n’est pas son scénario ; il sert Mozart et da Ponte, il se soumet à eux tout en essayant de dévoiler les sens souvent ignorés. Et le résultat est une comédie et non une farce. Haneke optimiste ? Pourquoi pas ? Così n’est pas une œuvre pessimiste. Così va contre ces idoles de la caverne ou du forum, c’est tout. Tout comme un vieux conte de Boccace, le revenant qui déclare que «cela» n’est pas un péché. L’infidélité, le badinage avec l’amour ne sont pas matières à problèmes : così siamo tutti (nous sommes tous ainsi), après tout. Et cela (la comédie) est même mieux ainsi (Haneke). Son propos est de rompre avec la farce bouffe et de bâtir une comédie motivée, c'est-à-dire avec de nombreux silences. Non pas des ralentissements du tempo, mais des silences qui permettent la nuance des sentiments, sans l’urgence du risible. Bien sûr, le risible sera toujours présent dans Così, dans Il matrimonio segreto, dans Il barbiere... Mais le choix de Haneke est ailleurs. Un très beau choix, très mozartien, ce qui ne fut pas, soit dit en toute modestie, l’avis de tous.


Les très beaux décors de Christoph Kanter, sur deux niveaux, combinent les détails avec un grand espace où se meuvent les acteurs. Et Haneke les fait vraiment bouger ! Enfin, les sens et les détails de cette mise en scène pourraient inspirer un traité pour amoureux du vrai théâtre lyrique, mais il y a aussi les voix, sans oublier, comme on l’a vu, un chœur excellent fait de comédiens et de chanteurs. D’ailleurs, on a dit que Haneke a cherché avec opiniâtreté une distribution adéquate sur les trois points de vue : musique, chant, théâtre.


Gare à Despina. La gauche de la scène est dominée par un miroir faisant face à un réfrigérateur rempli de boissons (on bouge et on boit pas mal) et l’ébauche d’un tableau de Watteau avec des références multiples : Despina est habillée toute comme Gilles, le Pierrot de ce peintre. La comédie italienne en version française au XVIIIe siècle? Hélas, les voix et les présences de ce Gilles/Kerstin Avemo, et du Don Alfonso de William Shimell ne sont pas les meilleurs atouts de cette production, et cela a une conséquence majeure pour la crédibilité de cette machination qu’ils inventent et conduisent.


Vocalement, il ne faut oublier que Così est un opéra où dominent les duos, les trios, les ensembles en général, avec deux finale qui vont au-delà du chef-d’œuvre.


Les deux couples sont formidables. Peut-être faudrait-il distinguer l’Allemande Anett Fritsch, soprano aux aigus magnifiques qui sait descendre tout d’un coup dans les profondeurs et y trouver un émail, un timbre de voix tout à fait dramatiques. Son air-rondo “Per pietà, ben mio, perdona” est un chef d’œuvre du soprano, de la comédienne et du metteur en scène. Anett Fritsch vient de chanter Susanna, un rôle proche de Fiordiligi, et un autre d’un registre assez différent, celui de Blanche de La Force ! Petit détail anecdotique : tout le monde s’entiche de la robe rouge de Fiordiligi (Bickel et Uhrmacher). Avec elle, son partenaire dans le rôle de Guglielmo, Andreas Wolf, domine le rôle avec toutes les nuances déduites par Haneke et avec la très belle voix (mais aussi son talent de comédien), dense et puissante de ce baryton allemand. Une voix qui mérite un très bel avenir.


La mezzo italienne Paola Gardina (Cherubino, Rosina, Romeo de Capuleti...) possède une voix chaude qui a du corps, un émail dense, épais, et un timbre parfois d’alto. Elle campe une très belle Dorabella, avec un sens de la comédie plus adéquat pour ce rôle qui ne subit pas les tourments de Fiordiligi. Le ténor argentin Juan Francisco Gatell, celui qui ouvre la longue et délicieuse séquence chantée de cet opéra, est à la hauteur d’une distribution soignée. Son timbre et son aigu se combinent dans une tradition évoquant des interprètes anciens – et même récents – de ce rôle difficile (de Kraus à Araiza) nous rappelant qu’il faut chanter ce rôle comme s’il s’agissait d’une toute petite plaisanterie.


Cambreling et l’orchestre servent la partition à merveille, mais les chanteurs et le concept proposé par Haneke méritent plus de louanges. Ce n’est pas le Mozart idéal dans la fosse, c’est tout simplement le Mozart vivant et palpitant d’un très beau moment du théâtre chanté. Et c’est déjà beaucoup. Bravo M. Cambreling !


Un DVD de ce spectacle est en préparation. Il est attendu avec une ferme impatience.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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