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Choc émotionnel

Marseille
Opéra municipal
02/07/2013 -  et 10, 13*, 16 février 2013
Richard Strauss : Elektra, opus 58

Jeanne-Michèle Charbonnet (Electre), Ricarda Merbeth (Chrysothémis), Marie-Ange Todorovitch (Clytemnestre), Nicolas Cavallier (Oreste), Patrick Raftery (Egisthe), Anne-Marguerite Werster (La surveillante), Lucie Roche (Première servante), Christine Tocci (Deuxième servante), Simona Caressa (Troisième servante), Bénédicte Roussenq (Quatrième servante), Sandrine Eyglier (Cinquième servante), Erick Freulon (Le précepteur d’Oreste), Avi Klemberg (Le jeune serviteur), Christophe Fel (Le vieux serviteur)
Chœur de l’Opéra de Marseille, Pierre Iodice (chef de chœur), Orchestre de l’Opéra de Marseille, Pinchas Steinberg (direction)
Charles Roubaud (mise en scène), Emmanuelle Favre (décors), Katia Duflot (costumes), Marc Delamézière (lumières)


(© Christian Dresse)


Il sera difficile, dans la suite de la saison, d’égaler la réussite de cette production d’Elektra de Richard Strauss, signée par Charles Roubaud, et créée in loco avec un énorme succès en mars 2003. Si le texte de Hofmannsthal et la musique de Strauss nous font entrer dans la psychologie des personnages, la mise en scène de l’homme de théâtre marseillais nous permet, quant à elle, de ressentir une compassion profonde à leur égard, malgré la brutalité qui règne la plupart du temps sur scène. Le majestueux et imposant décor (15 tonnes pour 16 mètres de hauteur!) d’Emmanuelle Favre accorde une place importante à la tanière d’Electre, située dans le soubassement de la cour intérieure d’un magnifique palais (mycénien), bordé de galeries à balustrades et vu dans une vertigineuse contre-plongée. Cet étagement de l’espace scénique permet un moment particulièrement saisissant: lors de leur deuxième confrontation, Clytemnestre domine d’abord sa fille restée en bas des marches menant au sous-sol, avant un (jouissif) retournement de situation, sur ces mêmes marches, qui voit rapidement Electre prendre le dessus sur sa génitrice.


La proximité des protagonistes, qui ne quittent presque jamais l’avant scène et sont, de ce fait, en permanence bien vus et entendus, favorise d’exceptionnels instants de théâtralité, au même titre que la qualité d’un plateau vocal qui, dans un tel contexte, n’a pu se permettre le moindre relâchement.
Superbe Ariane (dans Ariane et Barbe-Bleue de Dukas) à l’Opéra de Dijon en décembre, fascinante Judith (dans Le Château de Barbe-Bleue de Bartók) la saison passée à Angers Nantes Opéra, Jeanne-Michèle Charbonnet incarne une non moins enthousiasmante Electre ce soir à Marseille. Si la fin de soirée révèle de plus en plus de tensions et de problème de justesse dans l’extrême aigu (dans un rôle, rappelons le, parmi les plus difficiles et éreintants du théâtre lyrique), la soprano américaine captive néanmoins par une adéquation physique et dramatique à l’héroïne mythologique stupéfiante de vérité, soutenue par une prononciation impeccable de la langue de Goethe, un timbre riche, un médium nourri et des accents pénétrants. Ses intonations ambiguës, à la fois craintives et passionnées, au cours d’une mémorable «scène de la reconnaissance», marquent un des temps forts de la soirée.


Clytemnestre est sans nul doute l’un des rôles les plus extraordinaires du répertoire, sur le strict plan théâtral. C’est avec une vive impatience qu’on attendait la prise de rôle de Marie-Ange Todorovitch qui s’avère, en fin de compte, bien plus à sa place dans cet emploi que dans celui d’Isabella de L’Italiana in Algieri le mois dernier in loco. Elle y fait valoir la richesse de son timbre sombre, l’éclat d’aigus rayonnants et l’abysse de graves opulents, mais peut-être plus encore ses formidables talents de comédienne: elle ne transforme pas Clytemnestre en dragon dévoré par le remords, mais privilégie l’image d’une reine hantée par l’issue fatale qui l’attend.


A l’applaudimètre cependant, c’est Ricarda Merbeth, électrisante Elsa du Lohengrin wagnérien dans la cité voisine de Toulon l’an passé, qui remporte le plus grand triomphe. Sa Chrysothémis est tout simplement magistrale: humaine, d’une sensualité débordante, parcourue d’un lyrisme qui se déploie sans réserves au-dessus de l’orchestre, avec un velours dans le timbre et une homogénéité de registre que rien ne vient perturber, sans oublier une magnifique projection du texte.
Nicolas Cavallier dessine un Oreste marmoréen, avec son habituelle voix ferme, sûre et sonore, et Patrick Raftery prête, quant à lui, son timbre métallique au personnage veule et convulsif d’Egisthe.


Pour diriger un Orchestre de l’Opéra de Marseille particulièrement appliqué et impliqué ce soir, Maurice Xiberras a fait appel à Pinchas Steinberg, éminent spécialiste du répertoire straussien et wagnérien. Le chef israélien livre une Elektra rauque et sauvage, plongée dans une lumière glauque, aux sonorités tour à tour sourdes ou déchaînées, et aux tempi saccadés. Il souligne ainsi à l’envie le caractère décadent d’une musique qui, ciselée dans le moindre détail, paraît encore plus riche.


L’enthousiasme du public, au moment des saluts, est à l’aune du choc émotionnel de la soirée.



Emmanuel Andrieu

 

 

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