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Mariss sans bis Paris Salle Pleyel 02/02/2013 - et 23, 24 (Amsterdam), 31 (Bruxelles) janvier 2013 Johan Wagenaar : De getemde feeks, opus 25
Richard Strauss : Tod und Verklärung, opus 24
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Symphonie n° 5, opus 64 Koninklijk Concertgebouworkest, Mariss Jansons (direction)
M. Jansons (© Marco Borggreve)
Certes, la Salle Pleyel est remplie à ras bord mais on ne sent pourtant pas l’effervescence qui entoure certains concerts à l’affiche particulièrement prometteuse. Est-ce en raison des précédentes venues de l’Orchestre royal du Concertgebouw d’Amsterdam, qui a trop souvent montré qu’il s’agissait d’une machine certes impeccable mais, justement, peut-être trop bien huilée (voir ici et ici) et qui, contrairement à d’autres phalanges, ne distillait que trop rarement une véritable émotion (voir ici)?
Pour autant, c’est avec un grand plaisir que l’on vient écouter cet orchestre mythique, depuis longtemps un des tous meilleurs au monde, qui fête au cours d’une tournée européenne et américaine (qui l’emmène d’Amsterdam à Francfort en passant par Vienne, Bruxelles, Washington et New York) son cent-vingt-cinquième anniversaire sous la direction de Mariss Jansons, qui en est le chef principal depuis l’automne 2004. Ayant donné son premier concert en novembre 1888, l’orchestre a connu des chefs prestigieux (Mengelberg, van Beinum, Haitink, Chailly) et rapidement acquis une renommée internationale. Ayant reçu le qualificatif «royal» pour son centenaire, il s’est notamment illustré au fil de son histoire dans le grand répertoire romantique et postromantique dans lequel il a de nouveau brillé ce soir.
L’Ouverture La Mégère apprivoisée (1909) est une vraie rareté, composée par Johan Wagenaar (1862-1941), que l’on ne connaît guère sous nos latitudes. Compositeur néerlandais, ayant notamment occupé le poste d’organiste à la cathédrale d’Utrecht, il s’est illustré dans tous les genres, qu’il s’agisse de la musique de chambre, de la musique chorale avec orchestre ou piano ou de la musique orchestrale. Il a, à ce titre, composé plusieurs ouvertures (David et Saül, Cyrano de Bergerac, Amphitryon) que l’Orchestre du Concertgebouw a d’ailleurs enregistrées sous la direction de Chailly (Decca). L’Ouverture La Mégère apprivoisée n’est guère marquée par l’originalité, les séquences musicales se succédant seulement les unes aux autres avec un réel plaisir. Dès les premiers accents, l’orchestre montre son excellence: amplitude des cordes, précision des bois, netteté des attaques de cuivres, tout y est et Mariss, dirigeant souvent des mains, sa baguette l’indisposant plus qu’autre chose, mène l’ensemble avec une évidente sûreté.
Les choses sérieuses pouvaient alors commencer avec Mort et Transfiguration (1890), certainement un des plus beaux poèmes symphoniques de Richard Strauss (1864-1949) qui, à cette époque, avait déjà composé Macbeth et Don Juan. Autant dire que l’interprétation donnée ce soir par l’Orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam fut presque parfaite. Dès l’introduction, Jansons sait parfaitement communiquer au public cette atmosphère poignante et apaisée à la fois, la mélodie étant servie par des solistes absolument exceptionnels (Vesko Eschkenazy en violon solo, le hautboïste Alexey Ogrinchuk ou le clarinettiste Hein Wiedijk). Les emportements des cordes et des cuivres sont exceptionnels, de même que le millimétrage dont le chef sait faire preuve tout au long de l’œuvre. Tout au plus peut-on regretter que les interventions des trombones ne soient pas plus forte et que les cordes soient parfois un rien trop sages: ce ne sont là que des broutilles pour une interprétation, encore une fois, du plus haut niveau.
La seconde partie du concert était tout entière consacrée à la Cinquième Symphonie (1888) de Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893), vaste fresque sonore où la beauté du son sert de fil conducteur à une œuvre peut-être moins riche ou moins sophistiquée que d’autres symphonies du compositeur russe. Là encore, Amsterdam offre une démonstration tant individuellement (le corniste Laurens Woudenberg, qui n’a rejoint l’orchestre qu’en 2012, ou le timbalier Nick Woud méritant à cet égard les plus vifs éloges) qu’en ensemble, Jansons se contentant d’ailleurs de laisser jouer l’orchestre en plus d’une occasion. Les pupitres de cordes sont encore une fois excellents, notamment des violoncelles d’une rondeur et d’une cohésion à toute épreuve. Quant aux bois (flûte piccolo et hautbois en tête), ils se jouent de toutes les difficultés, alternant douceur sonore et vivacité technique sans faille.
En dépit de l’ovation que lui réserva le public et des cinq rappels qui s’en suivirent, Mariss Jansons et son orchestre ne donnèrent aucun bis (à l’instar du concert donné l’avant-veille à Bruxelles), chose assez inhabituelle pour un orchestre en tournée. Pour autant, le spectacle fut de grande qualité: qu’en sera-t-il du souvenir laissé par cette soirée? C’est une autre histoire...
Le site de l’Orchestre royal du Concertgebouw
Sébastien Gauthier
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