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Face-à-face avec la ferveur religieuse

Paris
Oratoire du Louvre
12/05/2012 -  et 16 août (Kilkenny), 30 septembre (Arras), 13 octobre (Versailles), 6 décembre (Monaco) 2012, 14 mars (Antwerpen), 23 octobre 2013 (Lyon) 2013
Procession de plain-chant
Marc-Antoine Charpentier : Ouverture pour le sacre d’un évêque – Gaudete fideles H. 306 – Gratiarum actiones pro restitua Regis christianissimi sanitate H. 341 – Offertoire pour les instruments – O protesium H. 245 – Domine salvum fac Regem H. 299 – Magnificat H .75
Louis Le Prince : Messe «Macula non est in te»
Jean-Baptiste Lully : O dulcissime Jesu

Le Concert Spirituel, Hervé Niquet (direction)


(© Eric Manas)


Lors du fameux Carême de 1682, Le Mercure galant rappelait tout de même que «La Cour et Paris, qui dans les jours de réjouissance n’épargnent rien pour mêler dans les plaisirs la galanterie la plus magnifique, ne font pas moins paraître de dévotion dans les temps de piété. Jamais l’assiduité n’a été plus grande qu’on l’a vue pour les sermons pendant le dernier carême». A l’image de ce rappel, le Grand Siècle fut effectivement marqué par une grande spiritualité, finissant même par tomber ouvertement dans le dévot sous l’influence de la très pieuse Madame de Maintenon. Cette influence prégnante de la religion commandait non seulement la vie quotidienne, et ce dans toutes les classes sociales, mais a également influencé les arts de manière considérable. En musique, comment ne pas alors évoquer les grands motets de Mondonville, de Lully, les messes de Campra, de Desmarets, Minoret ou Charpentier?


Grand connaisseur et ardent défenseur de ce répertoire, Hervé Niquet proposait donc, ce soir en l’Oratoire du Louvre, un véritable parcours musical intitulé «Spiritualité au Grand Siècle» et qui se voulait la reconstitution d’un office tel qu’on pouvait en entendre dans la deuxième moitié du XVIIe siècle. Comment ne pas être frappé, en entendant les dix voix féminines du chœur du Concert spirituel, par le contraste qui pouvait exister à l’époque entre le caractère éthéré, plein d’humilité et, il faut le dire, d’âpreté pour l’auditeur, de ces pièces musicales et, par ailleurs, la magnificence d’autres œuvres où la pompe et la richesse orchestrale et chorale servaient également Dieu et son office?


Devant un public très nombreux qui emplit les moindres recoins du temple, Hervé Niquet, dirigeant assis sur une chaise, les dix chanteuses et les neuf musiciens les accompagnant, offrit donc un spectacle musical marqué par un grand dépouillement. Dès la procession de plain-chant introductive, les chanteuses entonnent une mélodie du XIIe siècle, Beata viscera Mariae virginis («Bienheureuses entrailles de la Vierge Marie») au son d’une seule note filée tenue par l’orgue: le décor est planté. L’organisation du concert fit ensuite alterner les passages issus de la Messe «Macula non est in te» de Le Prince avec d’autres pièces qui ne revêtaient pas toutes la même importance. On passera donc rapidement sur l’Ouverture pour le sacre d’un évêque (même si le programme n’en fait mention, il s’agissait vraisemblablement de la pièce répertoriée H. 536 dans l’œuvre de Charpentier, l’autre Ouverture pour le sacre d’un évêque qu’il a composée, et numérotée cette fois-ci H. 537, devant être jouée, ce qui n’était pas le cas ce soir, par des violons, des flûtes et des hautbois) ainsi que sur le Gaudete fideles H. 306 ou le très implorant O Pretiosum H. 245.


La première pièce véritablement d’importance était la Gratiarum actiones pro restitua Regis christianissimi sanitate H. 341: composée en 1686, elle permettait à Marc-Antoine Charpentier (1643-1704) de célébrer à sa manière la guérison du Roi qui avait dû être opéré d’une fistule anale qui avait tenu le royaume en émoi tout au long de l’année. L’opération, effectuée le 18 novembre 1686, fut une totale réussite (Louis XIV remonta à cheval dès le mois de mars suivant) et donna lieu à de nombreuses compositions musicales de réjouissance, à commencer par un Te Deum de Desmarets et une Idylle sur le retour de la santé du Roi H. 489, également de Charpentier. La pièce chantée ce soir, ouverte par l’orchestre au sein duquel dominent le basson et l’orgue, permet aux voix d’implorer Dieu dans un premier temps avec une grande humilité avant de trahir la joie à l’annonce de la guérison du monarque, les derniers vers offrant à l’oreille une belle alternance entre voix et cordes. Le Magnificat H. 75 de Charpentier, un des dix Magnificat qu’il a composés, concluait le concert: rien de brillant dans cette œuvre écrite dans les années 1683-1684, mais une ampleur vocale qui gagne l’auditeur, les voix se nourrissant les unes les autres en une sorte de houle qui finit, ainsi que le commande le genre, comme un véritable chant de réjouissance.


Difficile de parler ou d’aborder le «Grand Siècle musical» sans rendre hommage à Jean-Baptiste Lully (1632-1687) qui était représenté ce soir à travers son motet O Dulcissime Jesu. Les Petits motets de Lully, pour la plupart composés entre 1683 et 1686, avaient certainement vocation à être interprétés dans le Couvent des filles de l’Assomption, lieu de retraite pour les filles de bonnes familles ou pour les femmes qui souhaitaient faire pénitence (cf. Jérôme de La Gorce, Jean-Baptiste Lully, Fayard, p. 722). Bien que brève, cette œuvre permit aux voix féminines du Concert spirituel d’emplir avec une grande douceur le volume de l’Oratoire du Louvre, soutenues avec délicatesse par le basson.


Mais le principal intérêt de ce concert était sans aucun doute l’exhumation d’une œuvre de Louis Le Prince, la messe «Macula non est in te», interprétée au cours de ces représentations pour la toute première fois depuis l’époque de sa création. Difficile de dire grand-chose sur Le Prince dont on ignore jusqu’aux dates exactes de naissance et de mort. Si l’on suppose qu’il a été maître de chapelle à la cathédrale de Lisieux, il faut veiller à ne pas le confondre avec Louis Le Prince, également musicien, surtout actif pour sa part au XVIIIe siècle et qui décéda en 1757 à l’âge canonique pour l’époque de soixante-quinze ans (cf. Olivier Beaumont, La Musique à Versailles, Actes Sud, p. 166). Tout juste sait-on, par une brève biographie publiée au sein de la monumentale Biographie universelle des musiciens de F. J. Fétis (Bruxelles, Méline, Cans et Cie, tome 7, p. 306), que le prénom complet de notre homme était peut-être Louis-Nicolas, et qu’il fut curé de l’église paroissiale de Ferrières de 1668 à 1677 avant d’être en poste à Lisieux. Le manuscrit de la messe, conservé à la Bibliothèque nationale de France, se compose de six parties destinées à des voix de femmes, chaque partie pouvant être, comme c’était fréquent à l’époque, doublées par des instruments qui jouaient ainsi colla parte. Quelle découverte! Même si le fait d’avoir interprété les différentes parties de la messe de façon séparée et non d’un seul tenant, affectant peut-être tant l’unité que la grandeur de l’œuvre, il n’en demeure pas moins qu’Hervé Niquet fait là, de nouveau, œuvre utile en ressuscitant une page magnifique. Après notamment un «Gloria» annoncé par l’orgue seul puis chanté par les voix les plus graves avant que tous les registres ne s’entremêlent (quelle ferveur dans les passages «Tibi propter magnam gloriam tuam» ou «Tu solus altissimus, Jesu Christe»), les voix nous emmènent ensuite dans un long «Credo» où quelques césures sont assurées par les instruments seuls (les cordes étant particulièrement enjouées après le passage «Passus et sepultus est», annonçant la Résurrection à venir), les chanteuses distillant un souffle extraordinaire dans le beau passage «Et in Spiritum Sanctum» à la prosodie pourtant si complexe. Le Prince compose là une pièce assez classique pour l’époque mais quelques passages dénotent tout de même une réelle originalité: ainsi, il est étonnant d’entendre le vers «Osanna in excelsis» répété après un intermède instrumental, alors que l’on croyait le «Sanctus» ainsi terminé. Chacun pourra juger du résultat puisque, comme ce fut le cas pour la Requiem pour voix d’hommes de Pierre Bouteiller, cette œuvre devrait prochainement être gravée pour le label Glossa.


Henri Frémart, Pierre Bouteiller, Sébastien de Brossard, Jean-Baptiste Lully, Pierre Hugard et aujourd’hui Louis Le Prince: le Concert spirituel et Hervé Niquet, comme celui-ci nous le confiait dernièrement, ne se lassent décidément pas de défricher ce répertoire encore très largement méconnu, faute de sources et de partitions exploitables. On ne peut donc que se réjouir du succès remporté auprès d’un public toujours avide de découvertes de ce type: nul doute que c’est le plus bel encouragement que puissent recevoir ces artistes.


Le site du Concert spirituel



Sébastien Gauthier

 

 

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