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Bête de scène

Bruxelles
La Monnaie
10/14/2012 -  et 16, 17, 19, 21*, 23, 24, 26, 28, 30 octobre 2012
Alban Berg : Lulu (troisième acte achevé par Friedrich Cerha)
Barbara Hannigan*/Kerstin Avemo (Lulu), Natascha Petrinsky (Gräfin Geschwitz), Frances Bourne (Theatergarderobiere, Gymnasiast, Groom), Tom Randle (Maler, Neger), Dietrich Henschel (Dr. Schön, Jack the Ripper), Charles Workman (Alwa), Pavlo Hunka (Schigolch), Ivan Ludlow (Tierbändiger, Athlet), Florian Hoffmann/Albrecht Kludszuweit* (Prinz, Kammerdiener, Marquis), Rúni Brattaberg (Theaterdirektor, Bankier), Mireille Capelle (Mutter), Beata Morawska (Kunstgewerblerin), Benoît De Leersnyder (Journalist), Gerard Lavalle (Polizeikommissar, Medizinalrat, Professor), Charles Dekeyser (Diener), Anna Maistriau (Eine Fünfzehnjährige), Rosalba Torres Guerrero, Claude Bardouil (danseuses)
Koninklijke Balletschool Antwerpen, Orchestre symphonique de la Monnaie, Paul Daniel*/Michael Boder (direction)
Krzysztof Warlikowski (mise en scène), Malgorzata Szczesniak (décor, costumes), Felice Ross (éclairages), Claude Bardouil (chorégraphie), Denis Guéguin (vidéo)




Lulu (1935) constitue un terreau fertile pour quelqu’un d’aussi inventif que Krzysztof Warlikowski. Après Médée en 2008 et Macbeth en 2010, deux productions foisonnantes d’idées, ce metteur en scène pas tout à fait comme les autres revient à la Monnaie pour partager ses réflexions sur l’opéra inachevé de Berg. Peu importe si une partie des spectacteurs n’adhèrent pas ses audaces, Peter de Caluwe a raison de réitérer sa confiance envers un artiste radical mais qui a tant à exprimer. Lui et sa fidèle comparse Malgorzata Szczesniak, en charge du décor et des costumes, ne doivent sûrement pas se prendre la tête entre les mains pour concevoir un univers étrange et malsain. Cela coule de source pour eux. Evidemment, il y a des lavabos mais la scénographie ne saurait se résumer à cet objet aujourd’hui incontournable, ni à la vidéo de Denis Guéguin qui provoque l’angoisse lorsqu’elle projette, par exemple, le visage du peintre désireux d’en finir. Un cube en verre constitue l’élément central du décor – la boîte de Pandore, bien sûr, dans laquelle se succèdent des animaux sauvages empaillés, une danseuse topless se contorsionnant sans cesse, une sorte de transsexuel qui se déhanche ou encore des ballerines de l’Ecole royale de ballet d’Anvers. Lulu y succombera en tutu sous les coups de Jack l’Eventreur.



(© Bernd Uhlig)


Les ballerines, justement. Pour Krzysztof Warlikowski, Lulu est une danseuse soucieuse d’exceller depuis le plus jeune âge dans cette discipline exigeante. En recourant à des adolescentes, fragiles par définition, il tente de démontrer que, selon lui, Lulu précède, selon ses termes, la Lolita de Nobokov «avec cette idée qu’il y a chez une adolescente un potentiel érotique qui peut pousser un homme vers la folie». Au troisième acte, dans le dortoir d’un orphelinat, dans lequel Lulu «a fait de mauvaises rencontres», des filles ôtent leur tenue de danse pour enfiler leur robe de nuit. Lulu est donc une victime qui suscite la compassion malgré la folie qui la submerge. Le metteur en scène dispense un immense moment de théâtre dans lequel chaque confrontation entre cette paumée et les hommes revêt une rare tension psychologique. Si le jeu d’acteur frôle l’hystérie, la vérité dramatique est à ce prix et le contraste entre la pureté irréelle du ballet classique et la violence crue de la quotidienneté n’en est que plus saisissant. Riche d’images fortes, ce spectacle parfois déroutant mais toujours captivant défie l’analyse et la critique tant il sollicite l’intellect et le regard.


Une bête de scène. Comment qualifier autrement Barbara Hannigan qui incarne Lulu – c’est à peine croyable – pour la première fois ? Incarner n’est pas le verbe le plus adéquat tant la soprano canadienne est Lulu, au point d’offrir l’identification à un personnage la plus forte vue à la Monnaie depuis longtemps. Allez dénicher une autre artiste, à la fois excellente musicienne et actrice d’exception, capable d’effectuer des pointes tout en chantant. Comme un bonheur ne vient jamais seul, le reste de la distribution ne s’épargne pas et se hisse à un niveau élevé. Natascha Petrinsky, qui incarne une Comtesse Geschwitz extrêmement sexy, a déjà éprouvé le personnage sur d’autres scènes, au contraire de la plupart des chanteurs : prises de rôle réussies haut la main de Tom Randle (Peintre), Dietrich Henschel (Dr. Schön, Jack l’Eventreur), Charles Workman (Alwa) et Pavlo Hunka (Schigolch), pour n’en citer que quelques-uns. L’orchestre constitue le troisième motif de satisfaction : sous la direction contrôlée de Paul Daniel, capable d’en exalter le lyrisme entre deux fracas, il montre du caractère et trouve aisément son chemin dans cette partition gigantesque dont il restitue avec précision l’écriture complexe. Mise en scène de premier ordre, chanteurs à la hauteur de l’enjeu et orchestre en toute grande forme : cette nouvelle production dépasse la limite, rarement atteinte, entre l’excellent et l’exceptionnel. Ceux que l’œuvre fascine en sortiront pantelants.



Sébastien Foucart

 

 

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