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Petites causes, grands effets

Paris
Salle Pleyel
10/16/2012 -  et 23 mai 2013 (Bordeaux)
Marin Marais : Alcione: Suite des «Airs à joüer»
Johann Sebastian Bach : Ouverture pour orchestre n° 2 en si mineur, BWV 1067
Georg Philipp Telemann : Ouverture (Suite) en ré majeur, TWV 55:D6
Georg Friedrich Händel : Water Music: Suite n° 2 en ré majeur, HWV 349

Marc Hantaï (flûte), David Plantier (concertino)
Le Concert des Nations, Jordi Savall (viole de gambe et direction)


J. Savall (© Vico Chamala)


La danse et la musique sont étroitement liées depuis les temps les plus anciens: la mode des ballets et des suites qui a commencé à la Renaissance et s’est véritablement épanouie en France aux XVIIe et XVIIIe siècles lui a donné ses lettres de noblesse. Passe-pied, rigaudon, sarabande, menuet, gigue, gavotte, courante, gaillarde ou forlane: tous les genres sont représentés et les compositeurs y trouvent prétexte pour composer des musiques parfois ternes (Grimm, dans sa fameuse Correspondance, raillait ainsi ces «ballets qui n’imitent rien, n’expriment rien, et ne servent qu’à montrer les tours d’école de nos meilleurs danseurs, sans idée et sans esprit», Correspondance littéraire, philosophie et critique, tome IV, 1877, p. 462) mais parfois également très imaginatives et source de mille inventions mélodiques. C’est cette seconde option que Jordi Savall et son Concert des Nations ont souhaité, dans une salle Pleyel absolument comble, donner ce soir à travers des compositeurs issus des quatre coins de l’Europe.


Honneur au français Marin Marais (1656-1728) dont Savall a choisi de diriger plusieurs extraits musicaux tirés de l’opéra Alcione (1706) sur un livret de l’incontournable Houdar de La Motte. Dès l’Ouverture, on admire le sens de l’articulation dont fait preuve l’orchestre, à commencer par les violoncelles. L’air et la marche célèbres des Matelots possèdent ici une puissance évocatrice sans pareil: les timbales, remarquablement tenues par la figure reconnaissable entre toutes de Pedro Estevan, illustrent à merveille le poids des cordages sur les épaules des marins et de leur accablement à devoir quitter leur terre natale pour des voyages aventureux à l’autre bout du monde. Que dire également de la poésie des deux flûtes dans la «Symphonie du Sommeil» qui, sur bien des accords, rappelle celle d’Atys de Lully? C’est bien simple: Le Concert des Nations nous enchante à chaque instant, s’animant avec véhémence au son de la machine à vent requise pour la «Tempête», multipliant les effets dans la «Chaconne pour les Tritons» grâce à une soudaine accélération, un jeu subtil sur les timbres ou une vraie réflexion sur la rythmique.


Evidemment plus connue, la Deuxième Ouverture pour orchestre de Johann Sebastian Bach (1685-1750), qui met en valeur la flûte de Marc Hantaï. En dépit d’un effectif allégé par rapport aux morceaux précédents (seulement six violons, deux altos, deux violoncelles et une basse continue), le soliste est souvent couvert dans l’Ouverture par le violon solo de David Plantier qui joue avec lui le thème à l’unisson. Pour les autres mouvements, l’équilibre est meilleur et la flûte s’envole, laissant admirer la technique irréprochable du soliste (quels détachés!). Certains partis pris pourraient étonner (la «Badinerie» abordée de façon assez sèche, voire hautaine) mais l’effet est parfaitement réussi et le résultat très convaincant.


Plus intéressante car moins connue, la splendide Suite en ré majeur de Georg Philipp Telemann (1681-1767) qui met en valeur la viole de gambe, tenue ici par Jordi Savall lui-même, lui qui l’a d’ailleurs enregistrée de façon tout à fait remarquable en 2010 (disque Alia Vox). Cette Ouverture fait partie des vingt-six ouvertures composées par le prolifique Telemann dans la tonalité de majeur: c’est la seule qui, avec une autre ouverture où surnage un violon, met en valeur un instrument à cordes, les autres donnant une nette prépondérance aux vents et plus particulièrement aux cuivres (cors et trompettes). Dès les premières notes, le style de Telemann est reconnaissable entre tous. La viole de gambe, où Savall excelle tant en dextérité qu’en musicalité, est traitée avec une recherche incroyable, la technique faisant parfois place à un beau dialogue entre la viole et le violoncelle solo (tenu avec noblesse par Balázs Máté) avant que la Courante n’instaure un jeu entre tous les musiciens et que le Double n’offre aux cordes un jeu très innovant sur les pizzicati.


On connaît les affinités évidentes que Jordi Savall entretient avec l’œuvre orchestral de Georg Friedrich Händel (1685-1759) dont il a dirigé avec maestria la Première Suite de la Water Music et la Music for the Royal Fireworks à Versailles en juillet dernier. Ce soir, le chef catalan et les siens donnèrent une admirable Deuxième Suite tirée de la Water Music où les cuivres (à commencer par les deux cornistes Thomas Müller et Javier Bonet) s’en donnèrent à cœur joie, les cordes alliant simplicité du discours et truculence de l’interprétation, les bois n’étant évidemment pas en reste.


Aussi, dès le deuxième rappel, c’est une salle Pleyel enthousiaste comme rarement, debout comme un seul homme, qui salua la prestation d’une soirée tout à fait extraordinaire. Comme cela avait déjà été le cas à Versailles il y a quelques mois, Jordi Savall gratifia le public d’un bis tiré des Boréades de Jean-Philippe Rameau (la célèbre Contredanse où le chef invita encore une fois le public à applaudir en mesure). Mais, dans un mouvement de franche générosité, ce bis avait déjà été précédé par la «Marche des combattants» et par le Menuet qui le suit, tous deux tirés d’Alceste de Jean-Baptiste Lully. Devant l’insistance du public, Jordi Savall reprit sa viole de gambe et entonna la Bourée d’Avignonez, œuvre composée pour la naissance du Dauphin (le futur Louis XIII) et qui était destinée à l’ensemble qui allait devenir les futurs Vingt-quatre violons du Roy. Bien que ne durant que trois minutes à peine, cette pièce fut peut-être finalement le sommet du concert: le thème, lancé par Savall accompagné d’un seul violon et de la basse continue, se renouvela plusieurs fois, entraînant à chaque fois deux ou trois nouveaux instrumentistes jusqu’à ce que tous laissent échapper une dernière note en suspens. Pour cela seul, revenez vite, Monsieur Savall: on sera évidemment au rendez-vous.


Le site de Jordi Savall et du Concert des Nations



Sébastien Gauthier

 

 

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