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Bouffée d’air frais sur Salzbourg

Salzburg
Grosses Festspielhaus
08/01/2012 -  et 4, 7, 10, 13, 15, 18* août 2012
Giacomo Puccini: La bohème
Piotr Beczala*/Marcello Giordani/Jonas Kaufmann (Rodolfo), Anna Netrebko*/Ailyn Pérez (Mimi), Massimo Cavalletti (Marcello), Nino Machaidze (Musetta), Alessio Arduini (Schaunard), Carlo Colombara (Colline), Davide Fersini (Benoît), Peter Kálmán (Alcindoro), Paul Schweinester (Parpignol)
Konzertvereinigung Wiener Staatsopernchor, Ernst Raffelsberger (préparation), Salzburger Festspiele und Theater Kinderchor, Wolfgang Götz (préparation), Wiener Philharmoniker, Daniele Gatti (direction musicale)
Damiano Michieletto (mise en scène), Paolo Fantin (décors), Carla Teti (costumes), Martin Gebhardt (lumières), Kathrin Brunner (dramaturgie), Nikos Lagousakos (chorégraphie)


P. Beczala, A. Netrebko (© Silvia Lelli)


Pendant les vingt ans qu’il a passés à Zurich, Alexander Pereira a fait de l’Opernhaus un théâtre de premier plan, qui se paie le luxe d’afficher, bon an mal an, une quinzaine de nouvelles productions, bien loin devant Londres, Paris et New York. Un nouveau défi de taille l’attend désormais à Salzbourg, où, depuis le départ de Gérard Mortier en 2001, le célèbre Festival ronronne paisiblement. A peine installé, le nouveau patron a déjà imprimé sa marque: soucieux de donner un caractère unique à chaque édition, il a banni les reprises, ne voulant plus que de nouvelles productions. Il a aussi allongé la durée de la manifestation, en introduisant une «semaine spirituelle» en prélude au Festival, avec des œuvres sacrées dirigées par les plus grands chefs. C’est ainsi que cette année, Claudio Abbado a fait son grand retour à Salzbourg pour Schubert et Mozart. Cette nouveauté correspond à la fois à l’esprit du lieu, à celui des fondateurs du rendez-vous et aux convictions personnels du directeur, qui se plaît à rappeler qu’il a été élevé chez les Jésuites. Dans le même temps, Alexander Pereira entend donner à Salzbourg un caractère plus festif avec l’organisation d’un grand bal clôturant la manifestation, avouant qu’il a toujours trouvé que les fins de festival avaient quelque chose d’un peu triste. Sur le plan musical, il a annoncé qu’une création verrait le jour chaque année. György Kurtag, Marc-André Dalbavie, Thomas Adès et Jörg Widmann seront les compositeurs invités pour les prochaines éditions. Par ailleurs, le nouveau directeur cultive la fidélité: la liste des artistes invités pour son premier été salzbourgeois, qu’il s’agisse de chanteurs, de chefs d’orchestre et de metteurs en scène, correspond en tous points à celle de son ère zurichoise. S’il est encore trop tôt pour dresser un bilan artistique de l’édition 2012 (le Festival se terminera le 2 septembre), on peut dire d’ores et déjà qu’Alexander Pereira aura, pour entamer son mandat salzbourgeois, habilement choisi une œuvre emblématique (Ariane à Naxos dans une version mêlant opéra et théâtre parlé et renvoyant ainsi aux fondateurs du Festival que sont Richard Strauss, Hugo von Hoffmansthal et Max Reinhardt) et judicieusement concocté une affiche lyrique mêlant grands tubes (La Bohème, Carmen, La Flûte enchantée et Giulio Cesare) et raretés (Les Soldats, Le Labyrinthe, Il Re pastore et Tamerlano).


Dans son souci d’élargir le répertoire, Alexander Pereira a notamment choisi de présenter La Bohème, une première à Salzbourg, aussi étonnant que cela puisse paraître. On le sait, le Festival fait la part belle à Mozart (le plus célèbre enfant de la ville) et à Richard Strauss (l’un des fondateurs de la manifestation). Qui plus est, certains dans la petite cité autrichienne n’ont jamais caché leur mépris pour Puccini, à commencer bien sûr par Gérard Mortier. Cette première Bohème salzbourgeoise a créé la sensation, faisant souffler une bouffée d’air frais bienvenue sur la ville. Le jeune metteur en scène italien Damiano Michieletto a choisi l’option de l’actualisation réaliste et crue, sans pour autant chercher à choquer. Les bohémiens sont ici des punks alternatifs, qui cherchent à profiter de leur jeunesse à tout prix. Fils de bourgeois, ils se sont marginalisés pour fuir la société. La mort de Mimi les fera basculer dans le monde des adultes. Rodolfo est vidéaste, Marcello graffeur, Schaunard DJ et Musetta escort-girl. Ils vivent dans un squat jonché de caddies abandonnés et de matelas posés à même le sol, que le propriétaire fera évacuer au dernier acte, avec l’aide de la police. Mimi demande du feu à Rodolfo et mourra d’avoir fumé trop de cigarettes et ingurgité trop de substances de la nuit. Au deuxième acte, un plan de Paris se dresse au fond du plateau. Le café Momus devient un temple de la consommation, avec des sacs de shopping et des cadeaux à n’en plus finir, alors que la barrière d’enfer est une roulotte à hot-dogs au milieu de la neige et de la grisaille, au bord du périphérique. Au dernier acte, la pluie ne cesse de tomber sur les fenêtres de la mansarde, où un doigt trace les quatre lettres du mot Mimi, qui seront bien vite effacées… petite touche de poésie dans la dure réalité de la vie de bohème. Si le metteur en scène a très habilement réussi à mettre au jour l’actualité du livret en le transposant dans la réalité d’aujourd’hui, on peut néanmoins regretter que son propos ne soit pas plus critique, se bornant à évoquer la jeunesse du XXIe siècle sans chercher à aller plus loin. Malgré cette réserve, sa Bohème fraîche et innovante a fait l’effet d’une petite bombe à Salzbourg. La célèbre production de Franco Zeffirelli, qu’on voit encore à Milan et à Vienne, a pris un sacré coup de vieux.


Damiano Michieletto a pu compter sur une équipe vocale réunissant des chanteurs parfaitement crédibles dans leur rôle. Anna Netrebko incarne une Mimi en perfecto de cuir, bottines et minijupe, avec des piercings à l’oreille. Voix puissante, sombre et chaude, voluptueuse à souhait, onctueuse même dans la fragilité, elle campe une femme forte, qui sait exactement ce qu’elle veut et qui est parfaitement consciente que ses jours sont comptés, loin de la Mimi naïve et soumise traditionnellement associée au personnage. L’incarnation peut surprendre, mais elle est à inscrire dans la liste des plus grands succès de la chanteuse russe. Grosses lunettes, cheveux longs et t-shirt usé, le Rodolfo de Piotr Beczala a des airs d’artiste branché. Le chanteur a besoin de temps pour chauffer sa voix (plusieurs notes du célèbre Che gelida manina paraissent forcées). Même si son timbre n’a pas l’éclat et le mordant du ténor italien, on n’en admire pas moins son interprétation sobre et nuancée, traduisant parfaitement les tourments du personnage. Les rôles secondaires sont à l’avenant, avec notamment la Musetta glamour en diable de Nino Machaidze et le Marcello à la forte présence de Massimo Cavaletti. A la tête du Philharmonique de Vienne, Daniele Gatti cisèle la partition en orfèvre, en en faisant entendre des nuances insoupçonnées. Dirigeant avec emphase et pathos, il couvre cependant souvent les chanteurs, qui doivent faire face non seulement à l’orchestre mais aussi à l’immensité de la salle. Seule Anna Netrebko, avec sa voix très bien projetée, passe la rampe sans coup férir.



Claudio Poloni

 

 

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