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La victoire de la vraisemblance théâtrale Aix-en-Provence Théâtre de l’Archevêché 07/05/2012 - et 7, 10, 12, 14, 17, 20, 23*, 25, 27 juillet 2012 Wolfgang Amadeus Mozart: Le nozze di Figaro, K. 492
Paulo Szot (Il Conte di Almaviva), Malin Byström (La Contessa di Almaviva), Patricia Petibon (Susanna), Kyle Ketelsen (Figaro), Kate Lindsey (Cherubino), Anna Maria Panzarella (Marcellina), Mario Luperi (Bartolo), John Graham-Hall (Basilio), Emanuele Giannino (Don Curzio), Lucy Hall (Barbarina), René Schirrer (Antonio), Clothilde Aubert, Maïanne Barthes, Cécile Braud, Marie Vires (comédiennes)
Richard Brunel (mise en scène), Catherine Ailloud-Nicolas (dramaturgie), Chantal Thomas (décors), Axel Aust (costumes), Dominique Borrini (lumière), Cécile Kretschmar (maquillage et coiffure)
Chœur des Arts Florissants, Le Cercle de l’Harmonie, Jérémie Rhorer (direction musicale)
(© Pascal Victor/ArtComArt)
Il fut un temps où l’on distribuait selon le calibre des voix et non celui de la balance – et certains nostalgiques des gosiers ont déserté depuis les bancs des théâtres. Cette époque où l’opéra privilégiait l’oreille à la crédibilité scénique est heureusement révolue, accompagné par une généralisation de l’allégement sonore rendu possible par celui de l’enregistrement. Aujourd’hui Violetta ou Susanne doivent paraître la vingtaine, même quand les interprètes en ont le double – on ne remerciera jamais assez les progrès de la cinématographie. Car c’est bien avec le paradigme de la vraisemblance du septième art que les metteurs en scène de nos jours ont maille à partir, fût-ce en révélant les coulisses de la représentation pour en rappeler au spectateur l’artifice, ou en le refusant ostensiblement dans des interprétations parfois distantes des intentions originales du livret – à l’occasion un accouplage des deux postures herméneutiques.
Dans la relecture des Nozze di Figaro proposée par Richard Brunel, le Comte Almaviva est un grand avocat de la liberté des femmes, tout en voulant se préserver celle d’en user avec les demoiselles de son entourage. Figaro prend les mensurations d’un convertible Ikea dont on vient tout juste de retirer le cellophane de livraison au milieu de bibliothèques, d’archives et de secrétaires affairées, tailleur aussi gris que leurs mines coincées à lunettes et bouches ovoïdes, qui commentent silencieusement en arrière-plan l’action principale. L’actualisation des relations entre maître et valet au sein de l’entreprise, devenu aujourd’hui le lieu de convergence par excellence des rapports de pouvoir entre les individus, tient une dette possible envers le Don Giovanni de Haneke, mais a l’habileté de ne pas s’y limiter, évitant ainsi de s’enfermer comme le cinéaste autrichien dans une lecture moralisatrice inéluctablement réductrice.
Si la mobilité latérale des décors rappelle parfois le Barbier de Coline Serreau à la Bastille, l’intelligence du travail de Richard Brunel réside dans une direction d’acteurs élucidant remarquablement les relations entre les personnages et à la vis comica certaine, dont l’arrivée du maître de maison de retour de chasse avec son chien en fournit l’exemple, Médor se postant devant le cabinet où se cache Chérubin, reniflant la serrure comme l’indice-clef. Le metteur en scène ne se prive pas cependant d’exploiter le cadre naturel des lieux – comme l’avait fait l’an passé David McVicar dans La clemenza di Tito – en projettant l’ombre de l’olivier côté jardin sur les livides murs de la cour où Barberine entonne sa mélancolique chanson. L’ensemble du quatrième acte, le plus réussi, baigne dans cette poésie délicieusement ambivalente, au diapason de la confusion des sentiments que clôt un finale banalement cotillonné.
Paulo Szot assure une autorité indéniable en Conte, tandis que la Comtesse de Malin Byström entretient des relations épisodiques avec la souplesse mozartienne. Kyle Ketelsen retient favorablement l’attention en Figaro. Quoiqu’un peu dépassée par un rôle trop lourd pour elle, Patricia Petibon trouve dans son instinct théâtral les ressources pour donner de l’intérêt à sa Suzanne. Adolescent plus vrai que naturel, Kate Lindsey est très applaudie en Chérubin blanc. Anna Maria Panzarella incarne une Marcellina amputée de son air de la chèvre – sans heurts pour la cohérence musicale. Mario Luperi fait un Bartolo ordinaire, John Graham-Hall un Basilio à l’élégance inégale et Emanuele Giannino un Don Curzio honorable. Appelée en remplacement de dernière minute, le fruit de l’Académie de musique, Lucy Hall, recueille des applaudissements chaleureux en Barberine. René Schirrer promène quant à lui sa fatigue vocale en Antonio.
Pleine d’idées, la direction de Jérémie Rhorer confond inventivité et maniérismes, saupoudrant les entrées des pupitres pour les rendre plus audibles, sacrifiant le naturel, sans compter les imprécisions des musiciens du Cercle de l’Harmonie, plus vulnérables sans doute que le chœur des Arts Florissants, en forme moins olympique que pour David et Jonathas. Par bonheur, Les Noces de Figaro sont avant tout théâtre – le public se contente aisément des valeurs musicales contestables.
Gilles Charlassier
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