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Le Corum en délire

Montpellier
Le Corum (salle Berlioz)
07/24/2012 -  
Mikhaïl Glinka : Une vie pour le tsar (Ivan Soussanine)
Gennady Bezzubenkov (Ivan Soussanine), Albina Shagimuratova (Antonida), Dmytro Popov (Bogdane Sabinine), Alisa Kolosova (Vania), Petr Migunov (Un messager polonais), Andreï Valentiy (Un chef de régiment polonais)
Chœur de Radio France, Andreï Petrenko (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Radio France, Alexander Vedernikov (direction)


A. Vedernikov (© Marc Ginot)


C’est une soirée d’anthologie – au sein d’une édition 2012 plutôt insipide – que le Festival de Radio France et Montpellier a offerte à un public venu en masse découvrir cette absolue rareté – du moins en France – qu’est Une vie pour le Tsar de Mikhaïl Glinka. Placée sous la férule de son nouveau directeur, Jean-Pierre Le Pavec – après le départ, subi plus que voulu, de René Koering que l’on se prend à regretter déjà, tant à la tête du Festival que de l’Opéra de Montpellier –, la programmation n’a guère soulevé l’enthousiasme cette année. Espérons simplement que cette première mouture ne soit qu’un coup d’essai (malheureusement non transformé), et que le programme de la deuxième saison sera autrement alléchant, audacieux et réussi.


Une vie pour le Tsar, connu aussi sous le titre d’Ivan Soussanine – rebaptisé Une vie pour la patrie et même Pour la faucille et le marteau après la révolution de 1917 (!!!) – s’inspire d’un poème de Pouchkine. L’œuvre, qui narre le sacrifice (historiquement véridique) d’un paysan pour sauver le Tsar de toutes les Russies au XVIIe siècle, est encore liée à la tradition du chant romantique, au point que les interprètes affrontent les même difficultés que dans une partition de Weber ou de Donizetti. On y trouve le grand opéra de Meyerbeer, les forêts du Freischütz, les scènes de foule de Guillaume Tell, un ballet d’une esthétique bien française qui dure tout un acte, et un Tsar confirmé dans son pouvoir au cours d’une scène finale qui n’est pas sans annoncer le deuxième tableau de Boris Godounov.


Donné en version de concert, l’opéra de Glinka fait très bien l’économie d’une mise en scène, du fait de ses longues plages où le récit, de ton essentiellement épique, ne progresse pas. Le premier motif d’émerveillement est le «Philhar’», somptueux ce soir, et conduit de main de maître par Alexander Vedernikov. Car le chef russe sait doser les divers climats de l’ouvrage, avec un sens des contrastes et du crescendo qui forcent l’admiration. Avec ses riches interventions de bois en solistes, ses textures chatoyantes confiées aux cordes et quelques splendides éclats dévolus aux cuivres (dédoublés et placés de manière «stéréophonique»), le commentaire orchestral s’écoute dans une mosaïque aux couleurs vives, qui sert d’écrin sonore aux voix. Le Chœur de Radio France, admirablement préparé par Andreï Petrenko, n’est pas moins de quatre-vingts, qui forment ainsi une impressionnante masse, dont les nombreuses interventions nous valent de grands moments de frissons. La grande scène chorale sur laquelle s’achève l’opéra, «Gloire au Tsar né sur notre sol!», renforcée par de tonitruants fortissimi orchestraux, véritable déflagration sonore, cloue littéralement les spectateurs au fond de leur siège.


En Ivan Soussanine, La basse russe Gennady Bezzubenkov crée la sensation ; sans exagération aucune (les portamenti ainsi que les effets de «pleurage» habituellement associés au répertoire russe sont réduits au minimum), il soigne sa ligne de chant à l’extrême, n’hésitant pas à terminer ses phrases par de superbes pianissimi pour rendre justice aux différentes situations dramatiques. Il donne à son personnage une épaisseur tragique, en particulier dans son grand air du IV, «Toi, soleil, viens vite au bord des cieux», sorte d’adieu à la vie, qui émeut profondément, et le classe, de facto, parmi les plus grands chanteurs russes de notre temps. La mezzo Alisa Kolosova, dans le rôle travesti du jeune Vania, est à peine moins impressionnante. La voix s’avère magnifique par la rondeur et la profondeur d’un authentique alto slave, qui pourrait déjà aborder le rôle de Marfa dans La Khovantchina de Moussorgski; de surcroît, elle possède un aigu percutant, bien dégagé, et un médium qui ne présente aucun trou ni aucune note «grasseyante». Le public ne s’y est pas trompé: il a fait à ces deux chanteurs une ovation qui n’en finissait pas.


Cependant leurs collègues ne déméritent pas, tant s’en faut! Le jeune ténor Dmytro Popov dispose de la vaillance nécessaire, avec sa voix claire et claironnante, pour rendre justice au rôle ingrat de Sobinine. Quant à Albina Shagimuratova, en Antonida, elle assure avec un bel aplomb les arias qui lui sont dévolues et qui se réfèrent explicitement à celles que composa, quelques années plus tôt, Bellini (dont Glinka était un admirateur), réclamant une virtuosité technique ébouriffante et des aigus stratosphériques. Mais passés les premiers airs, dont le sublime «Au village, sur la rivière», véritables pendants russes du premier bel canto italien de l’ottocento, le rôle devient plus ouvertement tragique, et la cantatrice russe manque alors un peu de la force de persuasion et de l’ampleur vocale requises. Les deux autres basses, Petr Migunov (Un messager) et Andreï Valentyi (Un chef de régiment) remplissent, de leur côté, admirablement leur partie.


En conclusion, la plus grande soirée du festival, couronnée par des applaudissements qui se sont éternisés plus de dix minutes durant!



Emmanuel Andrieu

 

 

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