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Le Trouvère selon Dmitri Tcherniakov Bruxelles La Monnaie 06/10/2012 - et 12, 15, 19, 22, 24*, 26, 29 juin, 1er, 4, 6 juillet 2012 Giuseppe Verdi : Il trovatore Scott Hendricks*/Dimitris Tiliakos (Il Conte di Luna), Misha Didyk (Manrico), Sylvie Brunet-Grupposo (Azucena), Marina Poplavskaya (Leonora), Giovanni Furlanetto (Ferrando)
Chœurs de la Monnaie, Martino Faggiani (chef des chœurs), Orchestre symphonique de la Monnaie, Marc Minkowski (direction)
Dmitri Tcherniakov (mise en scène, décors, costumes), Elena Zaytseva (costumes), Gleb Filshtinsky (éclairages)
«Il n’y aura que cinq personnages sur scène, et c’est tout» : Dmitri Tcherniakov écarte les personnages secondaires du Trouvère (1853) de Verdi qui n’apportent rien selon lui, Ines et Ruiz (redistribués à d’autres chanteurs), et réinterprète totalement ce livret tiré par les cheveux. Dans le programme, le metteur en scène russe place en parallèle l’argument original avec sa propre histoire. L’action se déroule aujourd’hui, dans une grande demeure – un seul décor, donc, et c’est tout – dans laquelle Azucena a convié Leonora, Manrico, le comte de Luna et Ferrando «afin de trouver une solution aux problèmes qui les tourmentent et d’éclaircir les mystères du passé», les principaux événements de l’opéra s’étant déroulés il y a plusieurs années. Que les puristes se rassurent, la thérapie de groupe tourne au vinaigre puisque les passions d’antan ressurgissent et le comte finit par tuer (au revolver) Ferrando et Manrico. Pour justifier son postulat de départ, Dmitri Tcherniakov avance qu’une bonne partie du livret consiste en souvenirs. Pourquoi pas mais rend-il l’intrigue plus vraisemblable malgré l’emploi de didascalies projetées au-dessus de la scène ? Pas sûr mais cette relecture préserve, voire accentue, l’énergie et la compacité du drame grâce à une direction d’acteur extrêmement physique, millimétrée et décortiquée. Cela étant, comme dans bien des productions de nos jours, l’alcool coule à flots et les hommes perdent la raison, cassent les chaises, succombent au plaisir de la chair : rien de nouveau. A chacun d’adhérer, totalement, plus ou moins ou pas du tout, à ce spectacle moderne et personnel d’un des metteurs en scène les plus réputés et craints du moment qu’il était temps que la Monnaie invite enfin.
(© Bernd Uhlig)
Un production à marquer d’une pierre blanche également pour Marc Minkowski qui dirige un opéra de Verdi (en entier) pour la première fois. Dans sa note d’intention, le chef souhaite «rendre la dynamique, la précision, le lyrisme et la nervosité de l’écriture de Verdi [...]», pari gagné à la tête d’un orchestre donnant continuellement le ton, concentré, tendu et au souffle puissant. Préparés par Martino Faggiani, les chœurs subissent le même sort que dans le Macbeth revus par Krzysztof Warlikowski il y a deux ans : cette fois-ci enfouis dans la fosse, ils se distinguent grâce à leur unité et à leur ardeur. S’agissant des solistes, peu de faiblesses à relever. Bête de scène, au point qu’on retient de lui avant tout l’acteur, Scott Hendricks, distribué dans le comte de Luna, développe un chant robuste, franchement projeté et sans baisse de régime. Le timbre séduit moins que celui de Misha Didyk, Manrico de choix : ténor athlétique, généreux dans les forte, discipliné dans l’émission et jamais à court de vibrato. La Leonora de Marina Poplavskaya évoque de loin celle de la Callas – les teintes sombres et les accents dramatiques sans doute – mais la comparaison s’arrête là encore que la voix, opulente, et le tempérament, affirmé, relèvent d’une véritable tragédienne. Un mot résume l’Azucena de Sylvie Brunet-Grupposo : immense. La mezzo-soprano signe l’incarnation la plus mémorable en mettant ses considérables moyens, en premier lieu une palette de couleurs étendue, au service d’une incarnation engagée – loin de ces vieilles sorcières mal fripées, cette allure de grande dame marque les esprits. Giovanni Furlanetto a relativement peu à chanter dans le rôle de Ferrando mais il en impose en cette sorte de professeur d’université à la retraite dont le visage osseux et sévère rappelle Mravinsky. Un Trouvère traditionnel en ce début de saison à Liège , un autre expérimental en ce mois de juin à Bruxelles : les maisons d’opéra belges proposent des lectures différents voire opposées des piliers du répertoire et c’est bien ainsi.
Sébastien Foucart
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