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On cherche Arabella Paris Opéra Bastille 06/15/2012 - et 17, 24, 27 juin, 4, 7, 10 juillet 2012 Richard Strauss : Arabella, opus 79 Kurt Rydl (Graf Waldner), Doris Soffel (Adelaide), Renée Fleming (Arabella), Julia Kleiter*/Genia Kühmeier (Zdenka), Michael Volle (Mandryka), Joseph Kaiser (Matteo), Eric Huchet (Graf Elemer), Edwin Crossley-Mercer (Graf Dominik), Thomas Dear (Graf Lamoral), Iride Martinez (Die Fiakermilli), Irène Friedli (Eine Kartenaufschlägerin), Istvan Szesci (Welko), Bernard Bouillon (Djura), Gérard Grobman (Jankel), Ralf Rachbauer (Ein Zimmerkellner), Slawomir Szychowiak, Daejin Bang, Shin Jae Kim (Drei Spieler). Orchestre et Chœur de l’Opéra National de Paris, direction Philippe Jordan. Mise en scène : Marco Arturo Morelli. R. Fleming, M. Volle (© Opéra national de Paris/Ian Patrick)
Nicolas Joel n’a pas de chance avec les stars : contreperformance de Natalie Dessay en Manon hier, prestation médiocre de Renée Fleming en Arabella aujourd’hui. La faute à Bastille, de toute façon inadaptée à cet opéra de Strauss ? La faute au rôle, trop central pour la chanteuse ? Il reste que sa voix, qui semble avoir perdu sa pulpe et s’être amenuisée, se noie totalement dans l’orchestre au premier acte. Le médium ne résiste pas et on dirait qu’il manque une octave. On peut douter aussi que la belle Renée ait naturellement le sens de la conversation en musique straussienne, ne déployant ses charmes que lorsqu’on retrouve le chemin de l’opéra traditionnel, en particulier dans les duos, avec Zdenka au premier acte, avec Mandryka au deuxième et au troisième, où l’on retrouve enfin la chanteuse. Son domaine, de toute façon, c’est toujours le chant pur plus que l’interprétation – on se souvient du sublime air du saule d’Otello. Bref, il faut bien le dire : on a en vain, tout au long de la soirée, cherché Arabella.
On a, en revanche, trouvé Mandryka à travers la belle et longue voix, le phrasé princier de Michael Volle, hobereau tantôt faussement rustre, tantôt sobrement raffiné, ému et émouvant. On aime aussi la Zdenka de Julia Kleiter, dont la voix légère et fruitée se projette plutôt bien, frustrée mais frémissante en garçon manqué malgré elle. Joseph Kaiser, lui, mérite de grands éloges, pour assumer l’impossible tessiture – une manie quelque peu perverse de Strauss quand il écrit pour les ténors – de Matteo, trop lourd pour les voix légères, trop léger pour les grandes voix : le jeune officier éperdu d’amour était là. Souvent confié à des vétérans usés jusqu’à la corde, chantant à peine les notes, le ménage Waldner tient bon : Gurnemanz épuisé au Champs-Elysées, Kurt Rydl phrase encore dignement sa déchéance et Doris Soffel garde attraits et phrasé. Les autres font très bien ce qu’il faut, à ceci près que la Fiakermilli d’Iride Martinez manque de gouaille et ne passe la rampe que lorsque l’orchestre se tait. Un orchestre virtuose, fluide, dégraissé, maîtrisé dans ses moindres détails par un Philippe Jordan trop corseté malgré tout, trop peu sensible aux viennoiseries et à la sensualité de la partition.
Une partition qui est du pain bénit pour le metteur en scène. Naissance d’un amour sur fond de décadence, sans doute celle d’un Empire encore debout dans Le Chevalier à la rose, dont Arabella constitue plus ou moins la suite. Ambiguïté du travestissement de la petite Zdenka sacrifiée au projet de riche mariage de sa sœur. Confusion des sentiments, quiproquo érotique lorsque Matteo couche avec la cadette croyant tenir l’aînée dans ses bras. Conflit apparemment résolu, à travers Mandryka et Arabella, entre la nature et la culture… Marco Arturo Morelli reste malheureusement en deçà des enjeux et expédie les affaires courantes, comme pour ne fâcher personne – la marque de ces productions que Nicolas Joel persiste à nous servir. De beaux moments aussi, comme le duo final, d’une ferveur retenue, de bonnes idées, comme le passage, en fond de scène, des façades de la ville corrompue aux arbres du domaine de Mandryka. Mais le metteur en scène occulte l’effondrement d’un univers, tous ces clairs-obscurs dont est faite l’œuvre. Les miroirs des praticables ne créent pas, comme dans Le Chevalier à la rose de Wernicke, une impression de vacillement ou de vertige – on dirait plutôt le Wernicke du pauvre. Le carnaval pèse du plomb. L’ensemble paraît un peu vide, sans force, à l’image de la nudité de ce décor trop léché. D’un joli vide, au demeurant. Dernière collaboration de Strauss et Hofmannsthal, Arabella, composé pendant l’agonie de Weimar et créé six mois après l’arrivée de Hitler au pouvoir, appelle des lectures beaucoup plus ambitieuses. Didier van Moere
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