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Donizetti Renaissance

Zurich
Opernhaus
05/06/2012 -  et 10, 13, 15, 20*, 23 mai, 3, 6, 9 juin 2012
Gaetano Donizetti: Poliuto

Massimiliano Pisapia (Poliuto, nobile armeno), Fiorenza Cedolins (Paolina, figlia del governatore), Massimo Cavalletti (Severo, proconsole), Riccardo Zanellato (Callistene, gran sacerdote di Giove), Jan Rusko (Nearco, capo dei cristiani), Boguslaw Bidzinski (Felice, governatore di Mitilene), Aaron Agulay (un cristiano)
Chor der Oper Zürich, Ernst Raffelsberger (préparation), Orchester der Oper Zürich, Nello Santi (direction musicale)
Damiano Michieletto (mise en scène), Paolo Fantin (décors), Carla Teti (costumes), Martin Gebhardt (lumières)


(© Suzanne Schwiertz)


Après Le Duc d’Albe à Anvers, c’est au tour de Zurich de présenter, en première suisse, une rareté de Donizetti, Poliuto, d’après Polyeucte de Corneille. Composé en 1838 sur un livret de Salvatore Cammarano, l’ouvrage fut interdit par la censure napolitaine. Transposé en français par Eugène Scribe sous le titre Les Martyrs, il fut créé à l'Opéra de Paris en 1840. La version italienne vit le jour au San Carlo de Naples le 30 novembre 1848, après la mort du compositeur.


La genèse de Poliuto n'a rien de banal. Adolphe Nourrit, le plus grand ténor français de son époque, créateur des opéras français de Rossini ainsi que de La Muette de Portici, de La Juive, de Robert le Diable et des Huguenots, était très émotif et l'arrivée d'un rival potentiel à l'Opéra, Gilbert Duprez, lui avait fait perdre tous ses moyens. Sur les conseils de Donizetti, il décida de s'installer à Naples. Le compositeur se lança alors dans l’écriture d'un ouvrage destiné à mettre en valeur les qualités vocales de Nourrit. À l'instigation de celui-ci, il choisit d’adapter Polyeucte de Corneille. Mais un décret royal interdit l’œuvre pour «sacrilège». Nourrit, profondément outragé car à l'origine du choix du sujet, vit sa santé mentale se dégrader et finit par se suicider. Cet épisode poussa Donizetti à quitter Naples pour s'établir à Paris, où il entreprit l'adaptation de Poliuto à la scène lyrique française. C’est ainsi que Les Martyrs furent créés en 1840 à Paris. La distribution était emmenée par Duprez qui, ironie du sort, interpréta le rôle que son rival Nourrit avait rêvé pour lui-même. L'accueil du public fut enthousiaste, malgré la réaction hostile de la critique. La version italienne finit par être donnée dans une forme hybride, incorporant certaines des innovations de la version française, le 30 novembre 1848, sept mois après la mort du compositeur, au Teatro San Carlo de Naples. C'est sous cette forme que Poliuto s'est maintenu au répertoire des théâtres de la Péninsule jusqu'à aujourd'hui, sous l'impulsion de ténors célèbres (on pense notamment à la production de la Scala de 1960 avec Franco Corelli, avec Maria Callas pour partenaire). La version française, quant à elle, a complètement disparu de l’affiche.


L’opéra se déroule en 250 avant Jésus-Christ en Arménie, alors occupée par les Romains. Poliuto, noble arménien, s’est converti au christianisme en secret. Le général romain Severo est chargé par l’empereur de faire appliquer sans ménagement les lois contre les chrétiens. Bien que fiancée à Severo – qu’elle aime toujours – au début de l’ouvrage, la femme de Poliuto, Paolina, finit, elle aussi, par se convertir. Les deux époux meurent en martyrs.


L’Opernhaus de Zurich a mis les petits plats dans les grands pour faire de cette exhumation une réussite. Le mérite en revient tout d’abord à Nello Santi, qui dirige ici son premier Poliuto, malgré sa longue carrière. Voyant dans l’œuvre une transition entre le belcanto et le mélodrame, il en offre une lecture passionnée et fait ressortir la richesse des mélodies et la verve rythmique. Il est intéressant de noter que l’ouverture est reprise de la version française. Ayant la particularité de contenir une intervention du chœur, elle nécessite en plus la présence de quatre bassons, ce qui lui confère une couleur toute particulière. Poliuto n’est pas un «opéra pour ténor», comme on le qualifie souvent. Loin d’avoir été négligés, la soprano et le baryton ont, eux aussi, des rôles intéressants, tant vocalement que scéniquement. On saura gré à l’Opernhaus d’avoir réuni une distribution de haut vol et parfaitement homogène, quand bien même on aurait souhaité moins de décibels et plus de nuances, notamment des deux protagonistes masculins. Fiorenza Cedolins emporte totalement l’adhésion en Paolina, avec sa maîtrise de la ligne de chant sur toute la tessiture, son art de la projection et son sens des nuances et des finesses, réussissant le tour de force scénique de rester crédible en femme réprimant ses sentiments envers son amant pour accompagner son mari dans la mort. L’honneur ou l’amour, le fameux dilemme cornélien se révèle ici dans toute sa splendeur! Malgré des aigus un peu forcés, Massimiliano Pisapia incarne un Poliuto aux accents héroïques. En Severo, Massimo Cavaletti confirme la très bonne impression laissée dans Don Carlo sur cette même scène il y a deux mois, un interprète au chant insolent et au timbre généreux à suivre de près. La réussite aurait été totale, n’était la mise en scène de Damiano Michieletto. Pour le jeune Italien, le conflit entre Poliuto et Rome peut être assimilé, sur un plan plus abstrait, au conflit entre l’individu et l’Etat. L’empire romain est une société répressive, qui tient les individus sous son joug et qui ne tolère aucun écart. Dans des décors métalliques particulièrement laids et sombres qui pourraient s’apparenter à un laboratoire, on essaie de fabriquer de «bons» citoyens, à l’inverse des Chrétiens vêtus d’un uniforme vert qui fait immanquablement penser à l’orange de Guantanamo. Le metteur en scène a été visiblement inspiré par le film Brazil de Terry Gilliam et a conçu un Etat totalitaire à la façon de 1984 ou de Brave New World, dans lequel le sang coule en abondance à la moindre incartade. Un concept particulièrement violent et brutal qui a heurté le public de la première et qui a entraîné des sifflets même en cette cinquième représentation de la série. Quoi qu’il en soit, Poliuto mérite véritablement d’entrer par la grande porte au répertoire de nos théâtres lyriques.



Claudio Poloni

 

 

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