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Humilité mozartienne, excès brucknériens Paris Salle Pleyel 04/18/2012 - et 16 avril 2012 (London) Wolfgang Amadeus Mozart : Concerto pour piano et orchestre n° 24 en ut mineur, K. 491
Anton Bruckner : Symphonie n° 7 en mi majeur
Staatskapelle Berlin, Daniel Barenboim (piano et direction)
D. Barenboim (© Monika Rittershaus)
C’est désormais une habitude pour le public parisien de pouvoir entendre chaque année le vénérable orchestre de la Staatskapelle de Berlin se produire Salle Pleyel, à l’invitation de «Piano ****», dirigé par son chef titulaire Daniel Barenboim qui, depuis1992 déjà, en a été nommé Generalmusikdirektor. Leur précédente venue, en février 2010, avait été l’occasion d’entendre à chacun des trois concerts un ou des concertos pour piano de Ludwig van Beethoven et une grande œuvre orchestrale d’Arnold Schönberg (voir ici, ici et ici). C’est également une habitude que, désormais, les venues de Barenboim permettent de le voir à l’œuvre comme soliste et comme chef. Ainsi, les deux concerts qui programmaient initialement les Cinquième et Huitième Symphonies de Bruckner se sont-ils transformés en deux concerts associant à chaque fois un concerto pour piano de Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791) et une symphonie de relativement moindre ampleur du maître de Saint-Florian.
Avant le Vingt-deuxième, prévu pour le concert du jeudi, c’était donc ce soir le Vingt-quatrième Concerto (1786) qui ouvrait le bal pour un programme déjà donné à Londres deux jours plus tôt et à Bucarest en septembre dernier dans le cadre du Festival Enesco. Accompagné par un orchestre de taille relativement réduite (trente et une cordes), Daniel Barenboim rappelle à qui l’aurait oublié qu’il a été et demeure encore un exceptionnel pianiste. On est frappé par la délicatesse du toucher, le son du piano ne s’aventurant que rarement dans les nuances forte, les doigts effleurant plus que jamais les touches du clavier. Si le premier mouvement est extrêmement séduisant grâce à une riche palette orchestrale (et hormis quelques rares effets dont on aurait pu se dispenser) et à un soliste tout à fait adéquat, on regrettera néanmoins un jeu parfois un peu trop lisse qui, parfois, frise l’indifférence. Le deuxième mouvement (Larghetto) continue de plonger l’auditeur dans un climat de très grande douceur avant que l’orchestre ne se lâche un peu dans le mouvement conclusif, salué par un public véritablement conquis. Alors qu’on aurait pu s’attendre à un bis mozartien, ce fut Schubert, Barenboim interprétant le quatrième mouvement (Rondo. Allegro moderato) de la Sonate en ré majeur D. 850, écouté dans un silence quasi total.
La Staatskapelle de Berlin a, il y a peu, donné, dans le cadre toujours merveilleux de la Philharmonie de Berlin, plusieurs symphonies d’Anton Bruckner (1824-1896) sous la direction de Daniel Barenboim qui, par le passé, que ce soit à la tête notamment de l’Orchestre de Paris, de l’Orchestre symphonique de Chicago ou du Philharmonique de Berlin, a toujours interprété ce compositeur avec beaucoup de réussite. On s’attendait donc légitimement à une belle réussite dans la Septième Symphonie (1881-1883) et, malheureusement, on aura assisté à tout ce qu’il ne faut pas faire dans Bruckner.
Tout cela démarrait pourtant plutôt bien. L’Orchestre de la Staatskapelle n’est pas le Philharmonique de la même ville; il n’empêche que ses soixante-quatre cordes (dont huit contrebasses) sonnent magnifiquement, dès l’entrée en lice des violoncelles dans le premier mouvement Allegro moderato. Celui-ci est très bien conduit même si les transitions ne sont pas toujours bien soignées (des ralentis excessifs nuisant à l’élan de ces grandes phrases et au souffle qu’elles doivent inspirer) et culmine dans un final grandiose où brillent notamment l’ensemble des cuivres (cinq cors, quatre trompettes, quatre Wagner-Tuben, trois trombones et un tuba), renforcés par le jeu de deux timbaliers. En revanche, les choses se gâtent dans le très attendu Adagio. Sehr feierlich und sehr langsam en ut dièse mineur, chant dédié à la mémoire de Richard Wagner dont la mort aurait inspiré à Bruckner le thème de cette page sublime. Daniel Barenboim fait preuve ici d’une inconstance totale, multipliant les ralentis ou les accélérations, faisant donc perdre au mouvement toute sa cohérence, dirigeant par exemple le grand crescendo (qui culmine dans les fameux coups de cymbales et de triangle) avec une lourdeur qui englue le public et l’orchestre, le flottement étant alors patent au sein du pupitre de cuivres. Il faut dire que la gestique de Barenboim, parfois inutilement grandiloquente ou théâtrale, peut être assez difficile à suivre même s’il veille à donner les départs de chacun. Le Scherzo pâtit également de ces travers. Contrairement à ce qu’indique lui-même Bruckner (ce mouvement doit être interprété «très rapidement» («Sehr schnell»), Barenboim l’aborde avec beaucoup de retenue, donnant tantôt la priorité aux cuivres, tantôt aux cordes alors que celles-ci ne doivent être véritablement privilégiées que dans le Trio qui, lui, fut très bien réussi. Le résultat ne s’avère nullement séduisant et on entend de nouveau une lourde pâte sonore où n’émerge aucune ligne de force. Le Finale (Bewegt, doch nicht zu schnell) est, là en revanche, abordé très rapidement (contrairement aux souhaits du compositeur), ce qui oblige Barenboim, par la suite, à imposer certains ralentis excessifs à l’orchestre. Celui-ci, loin d’être irréprochable (les attaques des cors, le pupitre des Wagner-Tuben, l’ampleur des cordes), parvient néanmoins à suivre son chef même lorsque celui-ci impose un silence étonnamment long après le beau choral au milieu du mouvement ou conduit les dernières mesures dans un incroyable flou artistique. Le public parisien réserve néanmoins une ovation au chef et à l’orchestre.
Le 30 mars 1886, le redoutable (et perfide) critique viennois Eduard Hanslick écrivait, dans le journal Neue freie Presse: «Je reconnais sans détour que je ne saurais porter un jugement équitable sur la Septième Symphonie de Bruckner, tant je ressens d’antipathie pour cette musique, tant elle me paraît antinaturelle, boursoufflée, morbide et pernicieuse». Nul doute que l’interprétation de ce soir lui aura donné raison, tout du moins pour ce qui est des deux premiers qualificatifs employés alors...
Le site de Daniel Barenboim
Le site de l’Orchestre de la Staatskapelle de Berlin
Sébastien Gauthier
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