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Debussy mélodiste Paris Amphithéâtre Bastille 04/18/2012 - Gabriel Fauré : Cinq Mélodies de Venise, opus 58 – Spleen, opus 51 n° 3 – Prison, opus 83 n° 1
Francis Poulenc : Tel jour, telle nuit, FP 86
Claude Debussy : Fêtes galantes (Premier Recueil) – Cinq Poèmes de Baudelaire
Yann Beuron (ténor), Mathieu Pordoy (piano)
Y. Beuron (© Guido Loncosolo)
Est-il superflu de fêter Debussy en 2012, à l’occasion des cent cinquante ans de sa naissance, comme pour les bicentenaires de Schumann et Chopin en 2010 puis de Liszt en 2011? Car s’il s’agit de célébrer une fois de plus l’auteur d’œuvres telles que Pelléas et La Mer, il y a lieu d’être perplexe, car elles sont solidement ancrées au répertoire. Mais l’avantage de ces «anniversaires» imposés par le calendrier – et, plus encore, par les producteurs de disques et les organiseurs de concerts – est qu’ils permettent souvent de mettre en lumière des pans relativement négligés du catalogue de ces grands compositeurs. Ainsi des mélodies de Debussy, qu’on n’entend guère d’habitude, mais qui suscitent cette année un regain d’intérêt de la part des interprètes, comme Natalie Dessay, aussi bien que des institutions, comme le musée d’Orsay.
L’Opéra national de Paris n’est pas en reste, dans le cadre de sa série de «Convergences» accompagnant la reprise du Pelléas mis en scène par Robert Wilson (voir ici), au travers de trois récitals autour de Debussy: après Sophie Karthäuser en février dernier (et avant Soile Isokoski en juin), c’est le tour de Yann Beuron (né en 1969), dont le programme est d’ailleurs en partie identique à celui de la soprano belge, confrontant Debussy et Fauré autour de quelques poèmes de Verlaine. L’Amphithéâtre Bastille, presque comble, n’est pas tout à fait plongé dans le noir, afin que les auditeurs puissent suivre les textes reproduits dans le programme de salle, mais cette précaution est quasiment inutile, car le ténor français soigne sa diction. Dans les Cinq Mélodies de Venise (1891) de Fauré, la puissance apparaît relativement limitée, ce qui n’est évidemment pas rédhibitoire dans ce lieu et dans ce répertoire, et l’émission parfois un peu serrée, mais la justesse n’est jamais prise en défaut, le timbre assez homogène quoiqu’un peu nasal et les aigus en voix de tête fort jolis. Le style n’est pas davantage pris en défaut, avec un phrasé d’une tenue remarquable dans «Spleen» («Il pleure dans mon cœur»), troisième des Quatre Mélodies de l’Opus 51 (1888) – dont le programme de salle confond le texte avec celui de l’un des trois autres «Spleen» du même auteur («Les roses étaient toutes rouges», d’ailleurs mis en musique, entre autres, par Debussy) –, puis dans «Prison», première des Deux Mélodies de l’Opus 83 (1894).
Avec l’accompagnement toujours subtil, mais peut-être trop en retrait, de Mathieu Pordoy, Tel jour, telle nuit (1937) de Poulenc est abordé avec la même élégance polie, alors que l’atmosphère de ce cycle de neuf poèmes d’Eluard est pourtant très différente. Dans la seconde partie, intégralement consacrée à Debussy, Yann Beuron fait davantage ressortir le contraste entre le Premier Recueil (1892) des Fêtes galantes, qui partage «En sourdine» avec les Mélodies de Venise, et les Cinq Poèmes de Baudelaire (1889), plus développés et sous influence wagnérienne. Plus naturel et chaleureux, il s’investit avec bonheur dans ce second cycle, où il peut mobiliser une palette expressive plus large.
Les deux premiers bis viennent en écho à la première partie de son récital: «Madrigal» extrait de la musique de scène écrite par Fauré pour la comédie d'Edmond Haraucourt Shylock (1889) puis, «pour le plaisir», un magnifique Bleuet (1939) de Poulenc (sur un poème d’Apollinaire). Pour son troisième bis, Yann Beuron, s’il a voulu opérer une rupture de ton, l’a parfaitement réussie, avec une version abrégée d’Allons-y Chochotte (1906) de Satie, précédée d’un avertissement («La musique, ce n’est pas grave»): sa vis comica fait certes merveille dans cette chanson de cabaret, mais tant pis pour ceux qui auraient préféré rester sur les cimes...
Simon Corley
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