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Vous avez dit vérisme ? Paris Opéra Bastille 04/13/2012 - et 17, 20, 23, 26, 28 avril, 2, 6, 11 mai Pietro Mascagni : Cavalleria rusticana
Ruggero Leoncavallo : Pagliacci Cavalleria Rusticana : Violeta Urmana (Santuzza), Marcello Giordani (Turridu), Stefania Toczyska (Lucia), Franck Ferrari (Alfio), Nicole Piccolomini (Lola)
Pagliacci : Brigitta Kele (Nedda), Vladimir Galouzine (Canio), Sergey Murzaev (Tonio), Florian Laconi (Beppe), Tassis Christoyannis (Silvio), Antonel Boldan, Chae Wook Lim (Due Contadini)
Chœur et Orchestre de l’Opéra National de Paris, Daniel Oren (direction)
Giancarlo del Monaco (mise en scène)
(© Teatro Real/Javier del Real)
Le vérisme n’induit aucunement la grossièreté du chant. C’est pourtant ce que vient de nous offrir à Bastille Cavalleria rusticana, importé, comme Paillasse, du Teatro Real de Madrid. Violeta Urmana, Marcello Giordani et Franck Ferrari semblent, en la matière, avoir passé un concours. L’exact contraire de ce qu’il faut faire : les premiers interprètes de l’opéra chantaient Verdi, venaient du chant romantique, voire belcantiste ! Pas de nuances, alors qu’il y en a plus qu’on ne le croit sur la partition, pas de caractérisation, rien. Santuzza devait pourtant convenir au falcon de la cantatrice lituanienne : elle n’a su qu’exhiber une remarquable homogénéité dans un forte perpétuel, avec des aigus vibrants et stridents. Franck Ferrari a succombé avantageusement à ses pires défauts : vulgarité du phrasé, émission engorgée. Marcello Giordani serait le plus adéquat stylistiquement, si le durcissement du timbre n’affectait gravement le passage et l’aigu, rendant la Sicilienne du début pénible à attendre, si surtout lui aussi ne se souciait d’abord de décibels. Les meilleures sont la digne Mamma Lucia de Stefania Toczyska, la Lola sans vulgarité de Nicole Piccolomini : un comble. Heureusement, surtout, le chœur est là, malgré quelques pépites, et l’orchestre, qui prend en charge le drame, les ambiances, les nuances, restituant grâce à Daniel Oren le vrai visage d’une musique où, encore une fois, la nuance, la fluidité ont aussi leur part.
La mise en scène de Giancarlo del Monaco ne risque pas de nous consoler. On pouvait pourtant tirer parti de ces éboulis de marbre blanc, de cette église qu’on ne voit pas. Mais ici encore, la vacuité du propos, limité à une littéralité d’un autre temps, avec signes de croix à foison, flagellants de service, sans le moindre jeu de lumière, dépasse l’entendement. Pauvre fille séduite et pas encore épousée, Santuzza se réfugiant sous sa cahute, victime d’une société soumise à la loi du mâle, fait plus sourire que pleurer.
Paillasse laissait du coup prévoir le pire : il nous réserve la meilleure des surprises. Certes on nous a fait mille fois le coup du néoréalisme italien et la photo d’Anita Ekberg n’ajoute rien. On nous a fait aussi celui du personnage arrivant par la salle et commençant à chanter au milieu du public : Tonio y débite le Prologue. Mais, aussi convenue soit-elle, la mise en scène de Giancarlo del Monaco ne fonctionne pas si mal cette fois, moins statique et plus éloquente – à condition de passer sur les mouvements erratiques du chœur. Enfin dirigés, les acteurs du drame prennent vie. Fallait-il en revanche faire servir le Prologue aux deux opéras et jouer Cavalleria aussitôt après ? Cela peut se justifier d’un point de vue théâtral – on voit ainsi le cadavre de Turridu passer derrière le cirque au début de Paillasse. Musicalement, on reste sceptique, tant les partitions, malgré leur éternelle association, restent différentes.
Les chanteurs, de leur côté, répondent aux exigences de leur rôle, évitant les pièges du pseudo-vérisme. A cinquante-six ans, Vladimir Galouzine a perdu son métal, a tendance à bouger : il n’en reste pas moins solide, homogène, veillant sur sa ligne et son phrasé, « pauvre Paillasse » mais pas histrion vocal, faisant du clown un frère de cet Otello qu’il a tant chanté. On n’a rien perdu au remplacement d’Inva Mula : révélation de la soirée, Brigitta Kele possède une voix fraîche, pas frêle, homogène, Nedda passionnée, au phrasé de classe. Dès le Prologue, le Tonio de Sergey Murzaev impressionnait – pas facile de projeter ainsi la voix dans une telle salle – par la puissance et le mordant comme par le dessein de la ligne : on savait dès lors qu’il pouvait ensuite incarner un bossu à la fois maîtrisé et venimeux, jaloux du beau Silvio de Tassis Christoyannis, timbre chaud et phrasé racé. N’oublions pas non plus l’excellent Florian Laconi en Beppe. Bref, on respire enfin : l’honneur du beau chant est sauf. Et, de nouveau, Daniel Oren, tout de souplesse, de clarté et d’élan, lyrique mais jamais complaisant, tire de l’orchestre le meilleur de lui-même, pour hisser au plus haut la partition de Leoncavallo.
Didier van Moere
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