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Magnum opus

Metz
Opéra-Théâtre
04/06/2012 -  et 8 avril 2012
Suzanne Giraud : Caravaggio (création)

Philippe Jaroussky (Michelange Merisi dit le Caravage), Maria Riccarda Wesseling (Anna, Fillide), Anders J. Dahlin (Cecco, Onorio Longhi, Le page), Alain Buet (Le cardinal, L’intendant, Le grand maître de l’Ordre de Malte, Le Capitaine, Ferdinando Gonzaga), Luc Bertin-Hugault (Le vieillard, Orazio Gentileschi, Un marin, L’émissaire du Vatican), Julien Belle (Ranuccio Tomassoni)
Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, Jean-Pierre Aniorte (direction), Les Siècles, François-Xavier Roth (direction)




C’est à Metz, sa ville natale, que Suzanne Giraud (née en 1958) présente la création de son deuxième opéra, Caravaggio. Deuxième, car huit ans après Le Vase de parfums sur un livret et dans une mise en scène d’Olivier Py, elle n’a inscrit entre-temps dans cette section de son catalogue que des pages de bien moindre ambition et de dimensions nettement plus modestes: une courte pièce pour enfants, Le Singe, la Banquise et le Téléphone portable (2005), puis une pochade surréaliste sous-titrée «opéra minuscule», Neuf-cent-vingt-six et demi (2010). Durant son séjour à la villa Médicis (1984-1986), le compositeur a eu le privilège de rencontrer Giacinto Scelsi mais bien sûr aussi la possibilité de découvrir in loco la peinture italienne, notamment celle du Caravage (1571-1610). Quelques années plus tard, l’académicien Dominique Fernandez consacrait au tumultueux artiste un roman, La Course à l’abîme (2002). Entre deux passionnés de cette civilisation et des relations entre les arts, le courant ne pouvait que passer et ils ont tous deux travaillé à élaborer le livret d’un opéra en quatre actes, simplement intitulé Caravaggio.


De la Rome de Clément VIII à une plage toscane sans oublier l’épisode maltais, sa vie agitée aurait suffi à le poser en candidat sérieux à la succession de Mathis le peintre et de Vincent (van Gogh), mais pas plus que ses prédécesseurs Hindemith et Rautavaara, ce n’est évidemment pas le seul aspect de nature à intéresser Suzanne Giraud: outre les préoccupations esthétiques du Caravage, adepte d’un naturalisme qui choqua les autorités religieuses en son temps, elle trouve dans ce sujet historique une nouvelle occasion de satisfaire une préoccupation qui lui est chère: le dialogue entre la musique d’aujourd’hui et celle du passé, qui sous-tend une grande partie de son travail créatif et constitue même une dimension essentielle de certaines de ses œuvres, comme Petrarca ou Qu’as-tu vu dans le vaste monde?. A cet égard, la note d’intention reproduite dans le très maigre programme de salle, qui ne fournit même pas la biographie des interprètes, est on ne peut plus claire: elle y expose son «projet de lier [...] le visuel et le sonore – faire sortir le son des tableaux – par l’utilisation des instruments représentés dans les peintures et des modes de jeu de leur époque comme matière sonore à sculpter et à porter, avec [ses] moyens de compositeur d’aujourd’hui, sur le devant de la scène, mais en aucun cas comme un pastiche».


La présence de l’univers baroque est d’ailleurs évidente: l’orchestre, dépourvu de violons mais enrichi de couleurs anciennes, intègre violes de gambe, petit orgue, luth, théorbe et clavecin (ces trois derniers amplifiés), tandis que la plupart des rôles, à commencer bien entendu par le rôle-titre, tenu par Philippe Jaroussky, échoient à des chanteurs spécialisés en tout ou partie dans ce répertoire. Mais la référence va bien au-delà de ces signes extérieurs, le compositeur revendiquant l’héritage de certaines techniques («voix doublées par les instruments, en s’approchant de ce qui se faisait à l’époque, voix pures et instruments peu vibrés») et estimant que «le son produit par la manière ancienne de jouer peut être rapproché de celui de la technique spectrale (qui m’a marquée comme compositrice) comme l’un des prolongements envisageables et actuels de ce qui était obtenu au XVIIe siècle en terme de son, avec la recherche d’une fusion harmonique favorisée par les modes de jeu employés à l’époque, qui tendait vers l’utilisation des cordes vibrantes et des tuyaux sonores dans leur plus grande longueur».



P. Jaroussky, A. J. Dahlin (© Gilles Kieffer/Metz Métropole)


Les scènes se succèdent dans l’ordre chronologique depuis l’arrivée du héros à Rome jusqu’à sa mort après ses frasques maltaises et napolitaines: ne serait-ce que par ce propos de caractère narratif, Caravaggio se prête davantage au respect des conventions inhérentes au genre que Le Vase de parfums. Mais ce choix est assumé avec panache, à l’image de ces puissantes interventions chorales au tout début et à la toute fin de l’opéra, à la façon d’un chœur antique prenant à parti le spectateur pour annoncer ce qui va suivre puis tirer les enseignements de ce qui a été montré. Le fait que cette création ne soit hélas donnée qu’en version de concert contribue également peut-être à évoquer un oratorio mais ne doit en réalité nullement dissimuler l’essentiel: dans un avenir qu’il faut espérer proche, il y a bien là une superbe matière pour un metteur en scène et un scénographe. Cela étant, Caravaggio passe sans peine l’épreuve de la réduction à ses seules qualités vocales et instrumentales: les voix, bien que placées sur scène parmi les musiciens de l’orchestre, ne sont jamais obligées de forcer et, surtout, l’attention, durant ces deux heures et cinq minutes, est sans cesse relancée par une grande variété de climats, entre violence noire et pages chambristes d’un intense raffinement, retrouvant aussi ces instants suspendus et berceurs, hors du temps, qui étaient déjà ceux de To One in Paradise.


Privilégiant la mise en valeur du texte, au point de rendre le surtitrage superfétatoire, l’écriture vocale ne se refuse pas au lyrisme et à l’expression, bien au contraire, et ménage, fait assez rare à notre époque pour devoir être souligné, des ensembles allant du duo au quintette, agencés avec une remarquable maîtrise. L’idée consistant à faire appel à un contre-ténor pour le rôle-titre ne s’inscrit pas seulement dans le retour en grâce de cette tessiture auprès des compositeurs contemporains parallèlement à sa redécouverte dans la musique baroque – dans Le Vase de parfums, Suzanne Giraud avait elle-même confié à un contre-ténor les rôles de l’ange et de l’esprit. Car l’ambiguïté inhérente à cette voix sied à merveille au Caravage, à sa séduction délétère et à sa réputation sulfureuse, mi-ange mi-démon, mi-artiste mi-voyou, entre palais cardinalices et bas fonds. Et Philippe Jaroussky incarne le personnage avec une gourmandise et une sensualité réjouissantes: malgré quelques blancs très passagers, il s’impose dans une partie luxuriante et ornementée, s’inspirant de la vocalité baroque sans l’imiter naïvement.


Les quatre autres solistes, endossant chacun plusieurs rôles, se révèlent eux aussi excellents, de la mezzo allemande Maria Riccarda Wesseling, qui campe deux figures de courtisanes fréquentées par le peintre, au ténor suédois Anders J. Dahlin, avec son timbre à la fois cristallin et melliflu, en passant par le baryton Alain Buet, aussi à l’aise en cardinal qu’en grand maître de l’Ordre de Malte, et la jeune basse Luc Bertin-Hugault. Il convient enfin de saluer l’engagement du Chœur de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, préparé par Jean-Pierre Aniorte et installé dans les baignoires du premier balcon, et la prestation des Siècles, l’ensemble idéal pour une partition fusionnant les époques stylistiques et instrumentales, sous la direction précise et passionnée, comme à l’accoutumée, de François-Xavier Roth.


Avec ce Caravaggio, Suzanne Giraud offre assurément une belle réussite, à ce jour sans doute son magnum opus.


Le site de Suzanne Giraud
Le site de Philippe Jaroussky
Le site de Maria Riccarda Wesseling
Le site de François-Xavier Roth
Le site des Siècles



Simon Corley

 

 

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