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Trop de notes ?

Strasbourg
Palais de la Musique et des Congrès
02/09/2012 -  et 10 février 2012
Serguei Rachmaninov : Concerto pour piano n° 3 en ré mineur, Opus 30
Modeste Moussorgski : Tableaux d’une exposition (orchestration: Leo Funtek)

Philippe Bianconi (piano)
Orchestre Philharmonique de Strasbourg, Petri Sakari (direction)


P. Bianconi (© Jean-Michel Sabat)


Rien qu’en observant la démarche de Philippe Bianconi, mettant le cap sur le piano d’un pas aussi décidé que s’il s’agissait d’embarquer sur un voilier en partance, on se dit que l’aventure promet de ne pas être de tout repos. Sans doute se laisse-t-on aussi influencer par la réputation du Troisième Concerto de Rachmaninov, partition monstrueuse que même les plus grands virtuoses n’abordent, sinon avec appréhension, du moins nantis d’un certain conditionnement psychologique préalable. Cela dit, une fois installé et lancé dans sa première phrase soliste (faussement économe en notes) Philippe Bianconi ne laisse paraître aucune vraie notion de difficulté, voire rend ce concerto long et touffu d’une étonnante lisibilité. Les effets de manche habituels sont remplacés par l’impact souverain d’une mécanique digitale précise, qui clarifie une écriture harmonique où règne pourtant en maître l’art de complexifier le discours par des myriades de « notes à côté ». L’auditeur, impressionné comme il se doit par cette maîtrise musculaire, apprécie peut-être plus encore d’être constamment guidé, sans aucune possibilité de relâcher son attention. Rachmaninov y perd sans doute de sa superbe post-romantique, la transparence et l’incandescence de la partie pianistique donnant à plus d’une reprise l’impression d’assister à une sorte de diabolique Gaspard de la nuit avec orchestre, davantage qu’à un cheval de bataille pour virtuose d’estrade. On y gagne certainement au change, ce d’autant plus que l’orchestre s’intègre très bien dans cette vision plus limpide qu’à l’accoutumée en instaurant une série de dialogues privilégiés avec le soliste, instant chambristes dont les premiers pupitres du Philharmonique de Strasbourg se tirent avec les honneurs. Très belle direction du chef Petri Sakari, qui parvient à maintenir une bonne souplesse générale alors même que les conditions acoustiques ne sont guère favorables (manifestement le soliste entend mal l’orchestre depuis sa place et doit constamment rester en contact visuel avec la battue du chef voire le jeu instrumental pour éviter tout décalage). Parvenu à bon port, l’auditeur qui ne s’attendait pas forcément à être à ce point convaincu par cette partition toujours difficile à explorer sur le vif d’une façon exhaustive, ne peut que s’avouer conquis par la qualité analytique d’une telle lecture. Et, bien sûr, souhaiter que Philippe Bianconi soit invité plus régulièrement à se produire dans son pays natal, où ses qualités restent largement ignorées.


On retrouve les mêmes caractéristiques rares, jeu lisible et sensibilité soigneusement contrôlée dans un bis judicieux : les Quatorzième et Quinzième des Variations sur un thème de Corelli où un Rachmaninov tardif cultive un charme mélodique plus épuré, d’une indéniable noblesse, déjà néo-classique.


Seconde partie moins prévisible qu’il n’y paraît, avec des Tableaux d’une exposition donnés non dans l’orchestration de Maurice Ravel devenue largement usuelle, mais dans celle du chef d’orchestre finlandais Leo Funtek. Un travail qui date de 1922, donc quasi-contemporain de celui de Ravel, et dont il est passionnant de découvrir les rouages. On y constate que sans avoir pu s’influencer l’un l’autre les deux orchestrateurs ont fonctionné selon des réflexes souvent comparables confrontés aux mêmes phrases pianistiques. Au petit jeu des comparaisons la technicité de Ravel l’emporte souvent en brillance et en impact sonore. En revanche le travail de Funtek, d’une modernité plus dépouillée, somme toute plus moussorgskienne, paraît davantage respectueux de l’esprit pianistique original, semblant moins « en rajouter ». Quelques jolies trouvailles retiennent l’attention (la partie médiane du Ballet des poussins dans leur coque, très ouvragée, ou le surprenant carillon à deux pianos de La grande porte de Kiev), même si à plus d’une reprise on se trouve tellement conditionné par l’orchestration ravélienne que certaines textures paraissent déficitaires et certaines relances rythmiques trop amorties (une frustration qui explique peut-être les quelques huées entendues à l’issue de ce concert). Petri Sakari maîtrise bien cette partition inhabituelle, ce qui est moins le cas d’un orchestre qui paraît à plus d’une reprise déstabilisé par une répartition des rôles non conforme à ses réflexes usuels. Une telle expérience valait toutefois d’être menée, ne serait–ce que pour tenter d’institutionnaliser davantage un goût de la découverte désormais largement cultivé au disque mais encore beaucoup trop rare au concert.



Laurent Barthel

 

 

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