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Chacun pour soi ! Et Dieu pour tous !

Strasbourg
Opéra national du Rhin
03/14/2012 -  et 18*, 20, 24, 28 mars (Strasbourg), 13, 15 avril (Mulhouse) 2012
Giacomo Meyerbeer : Les Huguenots
Laura Aikin (Marguerite de Valois), Mireille Delunsch (Valentine), Karine Deshayes (Le Page, Urbain), Gregory Kunde (Raoul), Marc Barrard (Nevers), Philippe Rouillon (Saint-Bris), Wojtek Smilek (Marcel), Xavier Rouillon (Cossé), Marc Labonnette ( Thoré), Avi Klemberg (Tavannes), Arnaud Rouillon (Retz), Patrick Bolleire (Méru), Mark Van Arsdale (Bois-Rosé)
Chœurs de l'Opéra national du Rhin, Orchestre philharmonique de Strasbourg, Daniele Callegari (direction)
Olivier Py (mise en scène), Pierre-André Weitz (décors et costumes), Bertrand Killy (lumières)


(© Alain Kaiser)

Mieux vaut s’abstraire de tout ce qui a pu être dit, écrit et ressassé sur Meyerber pour découvrir Les Huguenots sans trop d’idées préconçues. On emploie à dessein le terme découvrir, car les représentations scéniques de l’ouvrage restent rarissimes. Et ni le disque ni le DVD ne sont par ailleurs généreux en versions accessibles. C’est peut-être l’insaisissabilité apparente de ces Huguenots, en total contraste avec leur popularité démesurée il y a un siècle encore, qui peut les rendre immédiatement attractifs pour un curieux d’opéra. Lequel conserve au moins en tête, à défaut d’une connaissance plus exhaustive, les souvenirs tenaces de quelques airs chantés au disque, dans un idiome certes parfois bizarre mais avec un abattage certain, par quelques divas mythiques et curieuses de tout qui s’appelaient alors Joan Sutherland ou Marilyn Horne...


En cette pluvieuse après-midi dominicale à Strasbourg, nous voici donc prêts à l’immersion dans une version scénique quasi-intégrale des Huguenots, opéra en cinq actes repris par l’Opéra du Rhin en coproduction avec le Théâtre Royal de la Monnaie où l’ouvrage a été représenté il y a quelques mois dans une distribution différente. La mise en scène d’Olivier Py et le décor à transformation de Pierre-André Weitz ont déjà été largement commentés à Bruxelles et il n’est plus nécessaire d’y revenir en détail. Dans la réalisation impeccable qu’en donne l’équipe technique de l’Opéra du Rhin on reste surtout impressionné par la force dramatique d’une telle production, brillante tentative d’unification d’un ouvrage qui autrement menacerait beaucoup de s’éparpiller de tous les côtés. Tout à la fois invariable dans ses constituants (une série de façades et d’escaliers aux couleurs exclusives noir et or) et constamment changeant dans sa disposition, le décor autorise une fluidité extraordinaire dans les changements d’espace (intérieurs, extérieurs, balcons, rues, places...). L’antagonisme des masses chorales s’exprime à la fois par des attitudes bien réglées mais aussi beaucoup par les costumes, cuirasses militaires d’époque pour les catholiques, tenues au contraire XIXe pour les protestants, le tout saupoudré de quelques anachronismes encore plus francs mais qui ne dérangent jamais. Quant à la direction d’acteurs d’Olivier Py, elle s’ingénie à débusquer toute longueur inutile, parvenant à combler chaque vide dramatique par une trouvaille pertinente. Les images théâtralement virtuoses se succèdent à une cadence soutenue et chaque solution réussit à s’imposer, y compris dans des passages périlleux (le massacre final, puissamment stylisé, ou l’érotisme de l’Acte II, au contraire souligné à grand renforts de nudités et de détails épicés…).


Un cadre idéal, donc. Et aussi une distribution homogène au moins sur un point : l’intelligibilité d’une articulation française qui permettrait de suivre correctement l’action même en l’absence de surtitrage. Pour un opéra qui mise à ce point sur le grand spectacle une telle lisibilité paraît essentielle. De même qu’il paraîtrait inconcevable d’apprécier un vaste péplum cinématographique s’il fallait s’y heurter aux barrières d’un sabir incompréhensible. Les Huguenots, rappelons-le, ont été écrits pour les plus célèbres chanteurs de leur époque, et ici les exigences de tous les grands rôles (il y en a au moins sept) sont redoutables, y compris la nécessité de proférer un texte avec la même clarté que pourraient y apporter des acteurs dramatiques. A l’Opéra du Rhin ce pari est globalement gagné, y compris même pour le Marcel de Wojtek Smilek. La voix paraît fatiguée et pas toujours juste d’intonation, mais l’interprète est émouvant, crédible dans son rôle de vieux protestant bravache. On apprécie aussi le Nevers de Marc Barrard, emploi sacrifié auquel ce chanteur élégant confère néanmoins un relief certain. Troisième tessiture grave d’importance : le Saint-Bris de Philippe Rouillon, qui n’est plus au sommet de ses possibilités mais reste de grande envergure, personnage invariablement raidi dans ses convictions, même lorsque la tragédie finale le frappe cruellement. Sa fille Valentine fait effectivement partie des victimes d’un massacre dont il est l’un des instigateurs directs. Ce rôle féminin peu équilibré, quasi-silencieux au cours des deux premiers actes, de plus en plus lourd ensuite, paraît de surcroît peu confortablement écrit (la créatrice, Cornélie Falcon, disposait de moyens exceptionnels). Des difficultés que Mireille Delunsch affronte crânement mais avec un taux de réussite variable. Souvent de beaux accents, quelques phrases bouleversantes et puis aussi des ratages, des aigus qui s’épanouissent mal voire des phrases entières à peine audibles. L’incarnation scénique de l’actrice parvient heureusement à unifier l’essentiel de cette performance qui autrement resterait curieusement disparate.


Autre marathon : l’effarante versatilité vocale du rôle de Raoul, dont le premier titulaire fut Adolphe Nourrit, voix réputée d’émission facile. Ce type de technique ayant aujourd’hui disparu, on confie volontiers le rôle à d’anciens ténors de répertoire rossinien serio : Rockwell Blake à Metz en 2004, Gregory Kunde à Montpellier en 1990 et à nouveau à Strasbourg à présent. Mais la voix de Gregory Kunde a pris désormais beaucoup d’ampleur et n’évoque plus que de loin le ténor belcantiste que l’on a pu connaître. L’aigu, qui n’est plus très fréquemment négocié en voix mixte, s’intègre désormais de façon homogène dans une tessiture large et puissante, somme toute séduisante même si un certain alourdissement finit par affecter l’ensemble du rôle. L’adéquation stylistique exceptionnelle de la Marguerite de Valois de Laura Aikin et du Page de Karin Deshayes, certainement les incarnations les plus convaincantes de la soirée, n’en ressort que davantage. C’est avec ces deux là que la musique de Meyerbeer fonctionne vraiment le mieux : comme l’habile faire-valoir de voix auxquelles on demande de déployer toutes leurs facettes expressives, de la simple vivacité théâtrale à de longues séquences de feu d’artifice d’un effet grisant.


A mesure que l’ouvrage avance les évènements gagnent en noirceur, les chœurs sont de plus en sollicités, et le chef Daniele Callegari doit se porter garant de la cohésion d’un effectif très lourd. Si en fosse l’Orchestre Philharmonique de Strasbourg fait bonne figure, et si sur le plateau les Chœurs de l’Opéra du Rhin parviennent à rendre justice à une partition longue et difficile, en revanche la synchronisation de l’ensemble laisse souvent à désirer, avec toute une gamme de décalages plus ou moins subtils dont on se passerait volontiers. Mais il s’agit peut-être là d’une vraie difficulté de l’ouvrage. Les représentations bruxelloises dirigées par Marc Minkowski achoppaient semble-t-il sur des problèmes similaires, peut-être du fait d’une écriture pas vraiment congruente, qui juxtapose les lignes davantage qu’elle ne les fait s’imbriquer.



Car il faut finir par en parler, de cette musique, et surtout bien la situer dans son époque. En 1836, année de la création des Huguenots à l’Opéra de Paris, Wagner et Verdi ont 23 ans (le premier, plus précoce, a déjà terminé Les fées mais le second n’a encore rien écrit du tout), Liszt a 25 ans, Schumann en a 26… Quasiment toutes les spécificités nouvelles de l’opéra romantique sont encore à inventer, et Meyerbeer en entrevoit un certain nombre avec une étonnante lucidité : situations dramatiques plus tendues, expression des passions beaucoup plus brutale et sonore qu’auparavant, combinaisons instrumentales inédites… Un fascinant réservoir d’idées à piller, chaque trouvaille semblant cependant disposée à côté de la précédente comme dans un simple catalogue aux couleurs accrocheuses. C’est bien cette juxtaposition laborieuse, cette gestion gaspilleuse du temps qui s’attarde longtemps sur chaque élément nouveau, même naïf ou balourd, qui nous gêne tant dans cette musique à la fois si génialement intuitive et si souvent pataude. Mais qu’importe, quand les voix sont de qualité, la sauce finit par prendre et un plaisir certain est au rendez-vous. Simplement, on s’interroge quand même sur la disproportion d’un opéra qui a besoin de s’étaler sur plus d’une heure cinquante d’exposition avant qu’il s’y passe, enfin, quelque chose !



Il est vrai qu’ici, à Strasbourg, on ne coupe quasiment rien, et probablement avec raison. Tant qu’à visiter attentivement une pièce de musée, autant pouvoir l’envisager dans son intégrité d’origine et pas dans un état sauvagement mutilé. A la réserve près qu’ainsi Les Huguenots affichent au moins la même durée que le Crépuscule des Dieux de Wagner et donnent une impression de longueur encore bien plus vertigineuse. Nous n’avons plus les mêmes habitudes de consommation de l’opéra qu’à l’époque de Lucien de Rubempré. Devoir affronter un ouvrage à la fois aussi lourd et d’un niveau musical si peu constant en restant cloué sur des fauteuils inconfortables sans pouvoir jamais se lever pour aller bavarder dans la loge d’à côté, ni se distraire en pointant ses jumelles sur le balcon d’en face (on n’éteignait pas ni les lustres ni les lampes au cours des représentations à l’époque, raison sans doute pour laquelle, d’ailleurs, on les rallume aussi souvent dans cette production, comme un clin d’œil appuyé…) devient physiquement pénible à la longue. Mais qu’importe. Remonter Les Huguenots aussi fidèlement, en leur donnant toutes leurs chances, est une initiative formidable. Et on sort de cette longue représentation sinon convaincu que Meyerbeer est un compositeur recommandable, du moins qu’Olivier Py et Pierre-André Weitz ont bien du talent.



Laurent Barthel

 

 

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