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Une rareté tchaïkovskienne plébiscitée

Monaco
Salle Garnier
02/17/2012 -  et 19, 22, 24* février 2012
Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Mazeppa

Tomas Tomasson (Mazeppa), Tatiana Pavlovskaïa (Maria), Paata Burchuladze (Kotchoubeï), Elena Manistina (Lioubov), Dmitro Popov (Andreï), Gerard O’Connor (Orlik), Vadim Zapletchni (Iskra), Laurent Chauvineau (Le cosaque ivre)
Chœur de l’Opéra de Monte-Carlo, Stefano Visconti (chef du chœur), Orchestre philharmonique de Monte-Carlo, Dmitri Jurowski (direction musicale)
Dieter Kaegi (mise en scène), Rudy Sabounghi (décors), David Belugou (costumes), Laurent Castaingt (lumières), Liz Roche (chorégraphies)


T. Pavlovskaïa, T. Tomasson (© Opéra de Monte-Carlo)


Créé à Moscou le 15 février 1884, Mazeppa n’avait jamais été représenté à Monte-Carlo... et y a fait une entrée fracassante! Le théâtre monégasque avait mis bien des atouts dans l’entreprise pour en assurer le succès: un des meilleurs chefs russes actuels (Dmitri Jurowski), un metteur en scène talentueux et fêté (Dieter Kaegi) et une distribution de tout premier plan. L’équipe artistique retenue a ainsi réussi la gageure de transformer un ouvrage assez inégal en un authentique chef-d’œuvre, puissant, compact, et profondément actuel.


Il y a plus d’un siècle, le célèbre chef russe Napravnik considérait avec effroi cette «accumulation de scènes, chacune plus terrible que la précédente». En effet, la trame de l’opéra, tirée d’un poème de Pouchkine, a de quoi donner le vertige: elle narre les mésaventures du cosaque Mazeppa, vieux et puissant, qui séduit la jeune Maria, fille de son ami Kotchoubeï, tout en s’alliant avec les envahisseurs suédois contre le tsar. Dénoncé par Kotchoubeï, il réussit malgré tout à conserver la confiance du monarque, mais se venge d’une manière atroce contre son ancien compagnon, torturé puis exécuté. Rendue folle par la disparition de son père, Maria voit encore mourir dans ses bras le jeune cosaque Andreï, assassiné par Mazeppa, lequel prend la fuite après la défaite de ses alliés suédois à la bataille de Poltava.


Ecartelé entre la recherche d’une couleur proprement russe et les tentations du grand opéra à la française (par la masse chorale, la présence d‘un ballet, et huit rôles importants), Tchaïkovski alterne passages splendides (la souffrance de Kotchoubeï ou le délire de Maria – une scène absolument sublime!) et concessions «pompières», telle la scène de la bataille, morceau calqué sur l‘Ouverture 1812.


Importée d’Opera Ireland (c’est-à-dire Dublin), la production signée Dieter Kaegi transpose l’action dans l’Union soviétique de l’ère stalinienne, donnant à cette légende une intemporalité qui fait sens. Rien ne nous est épargné des exactions commises pendant cette sombre période de l’histoire russe, notamment lors d’une scène particulièrement pénible pendant l’acte II, où un bourreau patibulaire torture Kotchoubeï en lui arrachant des phalanges avec un sécateur! De fait, le metteur en scène suisse nous propose une vision réaliste, mais aussi stylisée, qui va à l’essentiel de l’action et de la psychologie des personnages, tout en respirant au même rythme que la musique. Sans jamais sacrifier à un esthétisme stérile, les magnifiques décors de Rudy Sabounghi, les beaux costumes de David Belugou et les éclairages saisissants de Laurent Castaingt s’avèrent de toute beauté.


Obtenant de l’orchestre de splendides sonorités, Dmitri Jurowski livre une lecture éblouissante tant dans les grands éclats symphoniques (l’œuvre recèle de nombreux intermèdes musicaux) que dans les passages qui exigent un sens subtil des coloris instrumentaux. Il s’engage à corps perdu dans une expression paroxystique du fatum tchaïkovskien qui donne le frisson, trois heures durant.


Ainsi soutenus par un orchestre et des chœurs admirables (préparés par Stefano Visconti), les solistes se montrent sous leur meilleur jour, à commencer par le puissant Mazeppa de Tomas Tomasson, qui maîtrise superbement un rôle long et difficile, d’un style parfois proche du cantabile, dans la tradition baryton verdien. Ce chanteur d’origine islandaise, doté d’un timbre magnifique, offre l’image la plus plausible du héros ukrainien, avec sa voix saine, ample, généreuse, tout juste entachée par quelques tiraillements perceptibles dans l’aigu. Face à lui, Paata Burchuladze trouve avec le destin brisé du malheureux Kotchoubeï, un rôle qui lui sied parfaitement, même si l’on peut ne pas goûter son émission très particulière. Il s’investit, en tout cas, corps et âme dans l’air et la prière de la scène de la prison, et offre un impressionnant portrait d’homme blessé.


Dans le rôle de Maria, Tatiana Pavlovskaïa est une révélation. Cette soprano russe, à la voix tout à la fois chaude et corsée, se révèle capable de restituer la longueur de la ligne et la pulsation du phrasé de son personnage – dans les grands duos (avec Andreï, sa mère Lioubov ou Mazeppa), mais surtout de se mesurer à la mémorable scène de folie qui conclut l’ouvrage, climax émotionnel de la partition... et donc de la soirée! Dmitro Popov, avec sa voix claire mais puissamment projetée, réussit à dessiner un percutant Andreï, malgré les coupures imposées à sa partie. Lioubov trouve dans les impressionnants moyens du mezzo russe Elena Manistina une magnifique interprète, parfaitement à l’aise sur toute l’étendue du registre, et dramatiquement incisive. Gerard O’Connor et Vadim Zapletchni complètent ce plateau homogène et enthousiasmant, avec une mention spéciale pour le pétulant Cosaque ivre de Laurent Chauvineau.


Au rideau, dans l’atmosphère électrique des grands soirs, l’accueil du public s’est révélé à la mesure d’une prestation musicale et vocale proche de l’idéal.



Emmanuel Andrieu

 

 

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