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Helene et les moutons

Paris
Théâtre du Chatelet
09/29/2000 -  1er, 3, 5, 7, 13, 15, 17, 19, 21, 25, 27 octobre 2000
Jacques Offenbach : La Belle Hélène
Felicity Lott (Hélène), Hjördis Thébault (Bacchis), Magali Léger (Parthoenis), Stéphanie d'Oustrac (Léoena), Marie-Ange Todorovitch (Oreste), Yann Beuron / William Burden (Pâris), Michel Sénéchal (Ménélas), Laurent Naouri (Agamemnom), François Le Roux (Calchas), Eric Huchet (Achille), Alain Gabriel et Laurent Alvaro ( les Ajax)
Orchestre du Louvre-Grenoble, Marc Minkowski (direction)
Laurent Pelly (mise en scène et costumes), Laura Scozzi (chorégraphie), Chantal Thomas (décors), Joël Adam (lumières)

Les côtes dilatées encore du génialement loufdingue Orphée aux Enfers, l’œil toujours ravi par la sublime poésie de Platée, le spectateur peut de prime abord avouer son attente légèrement déçue par cette troisième production lyrique de Laurent Pelly, et la juger moins aboutie que les précédentes. L’est-elle ? Moins profuse d’imagination et de fantaisie peut-être, plus prosaïque assurément pour ce qui touche au rapport corps - espace scénographique, moins fluide surtout dans son déroulement. Pour la première fois de surcroît, Pelly a trébuché sur quelques fausses bonnes idées (les moutons pendant le duo Hélène - Pâris, très drôles, trop drôles, car ils distraient le public de la musique, obligeant le chef à le rappeler d’un geste au silence). Ajoutons que les calembours dont Agathe Mélinand a saupoudré ses dialogues gâchent quelque peu une réécriture pourtant fort judicieuse dans ses raccourcis, et que Laura Scozzi n’a pas trouvé matière, sauf dans son merveilleux prélude au troisième acte, à d’aussi extraordinaires inventions qu’avec Platée. C’est que la matière, justement, est rebelle. Car le livret d’Hélène n’est pas un filon d’images comparable à celui d’Orphée, et l’œuvre entière ne livre pas d’emblée la profondeur tragique qui sape la comédie de Platée, pour en finir une bonne fois pour toute avec ces deux obsédantes références. Ceci admis, Laurent Pelly est l’un des premiers a avoir pris au sérieux la sentimentalité discrète irriguant la musique, et à lui avoir donné sa juste place en regard de la farce - bien présente, mais tenue courte aux rênes, enfonçant quand il le faut le clou de la crétinerie volontaire (les charades) pour mieux se concentrer sur une foule de petits détails hilarants dont le seul défaut est d’exiger plusieurs visions (ces archéologues époussetant les matrones méditerranéennes vêtues de noir, par exemple). Partant d’une idée dramatique simple et très forte, (la femme trop longtemps mariée qui s’ennuie auprès de son vieux mari somnolent et se rêve en Hélène une fois éteinte la télévision diffusant l’opérette d’Offenbach), il justifie ce qui paraît d’habitude invraisemblable - puisque la plus belle femme du monde ne saurait être qu’une vue de l’esprit -, et crée de façon immédiate l’identification entre son public et sa protagoniste. Développant dans les décors toujours truculents de Chantal Thomas un univers esthétique d’une parfaite cohérence, il file avec délicatesse, presque en catimini, une petite comédie mélancolique sur l’illusion (ces déesses en ombre chinoise), l’ennui et le secret des rêves, où le lit revient comme un leitmotiv exempt de toute trivialité, pour emporter finalement l’héroïne vers Cythère tandis que volent les plumes de l’oreiller qui n’accueillait autrefois que les ronflements de l’époux.
Cette conception, bien sûr, a été travaillée autour de la personnalité de Felicity Lott, et ce qu’y investit l’artiste, comme l’évidente connivence qui l’unit à son metteur en scène, constituent déjà un miracle assez rare sur un plateau lyrique. Jouant de son propre personnage autant que de celui du livret, Dame Felicity distille une Hélène tout à fait nouvelle et unique, suprêmement élégante et drôle, à la fois très engagée physiquement et retirée dans la distanciation qu’impose la tristesse voilée d’un sourire. « Il nous faut de l’amour » installe un climat d’attente sensuelle poignant plutôt qu’érotique, servi par une projection de la voix en même temps véhémente et fragile, un phrasé dont l’aérienne perfection s’anime du français le plus châtié et sensible qui soit, assurant naturellement dans un registre plus léger égal triomphe à « Dis-moi, Vénus ». La tessiture, le corps de la voix ? On attendait une Maréchale et certes pas une Salomé, et ce qu’on perd en pulpe charnue (quoique le grain du timbre conserve un scintillement exquis), on le gagne en légèreté, en aigus filé, en demi-teintes - désopilantes dans la parodie belcantiste de « l’homme à la pomme ».
Autour d’elle la distribution est à peu près idéale - Todorovitch exceptée, voix honnête mais insipide, floue de mots et godiche en travesti -, avec un très intéressant duel de Pâris. Yann Beuron, gêné dans ses aigus débraillés du premier air, campe un berger gouailleur, mais d’une musicalité ailleurs toute aristocratique, idéalement au diapason de sa partenaire tant pour les mots que pour la nuance. Incroyable poupée body-buildée, William Burden incarne une option comique très différente mais aussi efficace (le petit ami de Barbie, revenu des souvenirs d’enfance d’Hélène) et affiche des moyens vocaux d’une déconcertante facilité - de l’aigu en veux-tu en voilà, en poitrine, en fausset et mixte, de la vocalise qu’on attend avec impatience dans Mozart et Rossini qu’il semble pratiquer assidûment - ; dommage que la langue lui soit étrangère au point d’entraver le phrasé et de noyer le rythme. Remarque qui ne s’appliquera certes pas aux formidables Le roux et Naouri, toujours superbes comédiens et chanteurs débordants d’intelligence. Avec des moyens aussi bien préservés qu’on est en droit de l’attendre aujourd’hui, Sénéchal est lui aussi le plus parfait des Ménélas. On remarque à nouveau Laurent Alvaro dans l’un des deux Ajax, et le duo de charme formé par Magali Léger et Stéphanie d’Oustrac. Très belle matière et irréprochable diction des chœurs, préparés par Sébastien Rouland.
Abordant lui aussi sa seconde grande aventure au pays d’Offenbach, Marc Minkowski impressionne par l’évident approfondissement opéré depuis son Orphée déjà sensationnel. L’effectif orchestral, d’abord, a été choisi avec soin en fonction du projet : instruments modernes, mais cordes en boyeaux qui adoucissent et corsent les sonorités en favorisant l’équilibre avec les voix, harmonie relevée de saveurs inusitées par l’orchestre symphonique traditionnel. On admire en premier lieu la discipline d’ensemble - mise en place parfaite dès le soir de la première. Mais plus encore la pertinence des options musicales, alliant avec un rare naturel le rire franc et les sentiments, très en phase en cela avec la mise en scène, et de manière sans doute plus aboutie. Minkowski ne se laisse pas rebuter par la pitrerie clinquante (les effets de fanfare sur le premier air d’Oreste, et bien sûr, les charades, véritable morceau de Jacques Tati mis en musique et en images), tout en déclinant l’humour musical jusqu’à ses expressions les plus subtiles - doux parfum des vents dans les airs de la protagoniste et le duo, bien qu’on s’étonne un peu de voir la pulsation rythmique à ce point déléguée à la grosse caisse dans certains passages poétiques. La phrase bondit, chante, s’alanguit et caracole avec une idéale netteté et un sens permanent de l’instant théâtral, les trois grands secrets du chef à cet égard demeurant le sens du contraste entre les rythmes, la justesse des nuances dynamiques et la mesure du poids expressif de chaque silence. A la fois gaillard et policé, vigoureux et sensible, potache et érudit (car Minkowski n’hésite pas à nous rappeller sans y insister non plus ce que La Belle Hélène doit à Rossini, Berlioz ou même Weber dans sa très fine utilisation des procédés parodiques), son Offenbach s’élève au dessus de Gardiner même comme le plus beau tribut payé par un chef à l’opéra-bouffe du compositeur.



Vincent Agrech

 

 

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