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L'autre Otello

Zurich
Opernhaus
02/10/2012 -  et 17, 26 février, 1er, 3, 6 mars 2012
Gioachino Rossini: Otello
John Osborn (Otello), Cecilia Bartoli (Desdemona) Peter Kálmán (Elmiro), Javier Camarena (Rodrigo), Edgardo Rocha (Iago), Liliana Nikiteanu (Emilia), Javier Camarena (Lucio), Nicola Pamio (Doge), Ilker Arcayürek (Gondoliero)
Chœur de l'Opernhaus de Zurich, Jürg Hämmerli (préparation), Orchestra La Scintilla, Muhai Tang (direction musicale)
Moshe Leiser, Patrice Caurier (mise en scène), Christian Fenouillat (décors), Agostino Cavalca (costumes), Hans-Rudolf Kunz, Christophe Forey (lumières)


(© Hans Jörg Michel)


Quelques semaines seulement après avoir présenté une nouvelle production de l'Otello de Verdi, l'Opernhaus de Zurich se paie le luxe d'afficher l'autre Otello, celui de Rossini. Pour le plus grand bonheur des mélomanes, qui peuvent ainsi comparer directement les deux titres, quand bien même les similitudes sont plutôt minces. L'ouvrage de Rossini a été créé en 1816 à Naples. Le compositeur et le librettiste ont pris de grandes libertés avec la tragédie de Shakespeare. Iago est nettement en retrait, le véritable sujet de l'intrigue étant la rivalité entre Otello, marié en secret à Desdémone, et Rodrigo, dont l'amour pour Desdémone n'est pas partagé. Le mouchoir est remplacé par un billet doux, que le Maure, véritable destinataire, croit être adressé à son rival. Elmiro, le père de Desdémone, est un adversaire politique d'Otello. L'opéra de Rossini a connu un énorme succès partout en Europe jusqu'en 1887, année de la création du chef d'œuvre de Verdi. Aujourd'hui, il n'est que rarement monté sur les scènes lyriques, en raison notamment de la difficulté que pose la distribution des rôles, puisque la partition exige trois ténors de premier plan.


Pour le duo de metteurs en scène Moshe Leiser et Patrice Caurier, le moteur de l'action est le racisme, bien plus que la jalousie. Otello est marginalisé par la société parce qu'il est différent, et il le sait pertinemment. S'il risque sa vie pour Venise et si ses exploits militaires lui valent les honneurs, il ne sera jamais totalement accepté ni intégré. Il ne se fait aucune illusion, conscient qu'Elmiro ne lui accordera jamais la main de sa fille. L'intrigue devient dès lors un drame bourgeois, transposé dans les années 1960, dans une riche demeure de bonne famille, où une jeune fille bien sous tous rapports ne saurait raisonnablement choisir son époux sans le consentement de son père. Un lustre majestueux en verre de Murano évoque Venise. Pour le reste, l'histoire pourrait se dérouler n'importe où. Les domestiques de couleur ne peuvent porter les plats que jusqu'aux portes, seuls des Blancs étant ensuite autorisés à servir les invités. Otello se bat pour obtenir non pas des médailles mais … son permis de séjour. Et lorsqu'il n'est pas au palais, il passe son temps dans un café bariolé et désordonné, où se retrouve la communauté des immigrés, au son de musiques arabes. Si le propos convainc par sa force et sa pertinence, on peut néanmoins regretter une direction d'acteurs sommaire et un certain statisme, les solistes devant se concentrer sur leur chant, tellement celui-ci est parsemé de difficultés.


Car cet Otello est avant tout une fête pour les oreilles, et l'Opernhaus a su réunir une distribution de tout premier ordre. John Osborn est un Maure au timbre héroïque et au sang chaud, attaquant crânement les notes les plus aiguës de ses cabalettes, de sa belle voix sombre. Javier Camarena en Rodrigo offre peut-être le moment le plus fort de la soirée, avec un Che ascolto? d'une rare intensité, faisant fi des vocalises les plus périlleuses avec une incroyable légèreté. Edgardo Rocha en Iago ne leur cède en rien, avec sa voix claire et pointue qui se distingue sans peine de celle de ses collègues. Mais la véritable triomphatrice de la soirée est bien Cecilia Bartoli, qui fait ses débuts dans un Rossini «sérieux». Scéniquement, sa Desdémone aux gestes emportés et aux regards de braise est un spectacle à lui tout seul. La chanteuse a du tempérament à revendre! On est loin ici de la jeune fille qui se pose en victime: Desdémone n'hésite pas à affronter son père et elle ne succombera pas facilement à la fureur d'Otello. Vocalement, ses airs sont un véritable feu d'artifice, mais c'est dans la chanson du saule, plus lyrique, qu'elle donne le meilleur d'elle-même. Parmi les comprimari, on relèvera les excellentes prestations de Peter Kálmán en Elmiro et de Liliana Nikiteanu en Emilia. Dans la fosse, la direction impétueuse et quelque peu brouillonne de Muhai Tang met les musiciens en difficulté, notamment dans les solos (intervention des cors calamiteuse), mais, globalement, le sens des nuances et des couleurs ainsi que la dynamique du chef chinois rendent parfaitement justice à la partition de Rossini. Une soirée à marquer d'une pierre blanche.



Claudio Poloni

 

 

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