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Histoire d’enfermements

Lyon
Opéra
01/28/2012 -  et 31 janvier, 5, 9 février 2012
Paul Hindemith : Sancta Susanna, opus 21

Agnes Selma Weiland (Susanna), Magdalena Anna Hofmann (Klementia), Joanna Curelaru Kata (La vieille nonne), Zoé Micha (Une servante, acrobate), Hervé dez Martinez (Un valet, acrobate)
Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Solistes du Studio de l’Opéra de Lyon, Alan Woodbridge (direction des chœurs), Bernhard Kontarsky (direction musicale)
John Fulljames (mise en scène), Johan Engels (décors), Marie-Jeanne Lecca (costumes), Fabrice Kebour (lumières), Ian Galloway (vidéos)
Giacomo Puccini : Suor Angelica
Csilla Boross (Sœur Angélique), Natascha Petrinsky (La tante Princesse), Anna Destraël (L’abbesse), Françoise Delplanque (La sœur zélatrice), Kathleen Wilkinson (La maîtresse des novices), Ivana Rusko (Sœur Geneviève), Sophie Lou (Sœur Osmina), Sylvie Malardenti (Sœur Dolcina), Elisaveta Soina (La Sœur infirmière), Ivi Karnezi, Jessie Baty (Les Sœurs quêteuses), Marie Cognard, Joanna Curelaru Kata (Deux Sœurs converses), Pei Min Yu (Une novice)
Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Solistes du Studio de l’Opéra de Lyon, Alan Woodbridge (direction des chœurs), Gaetano d’Espinosa (direction musicale)
David Pountney (mise en scène), Johan Engels (décors), Marie-Jeanne Lecca (costumes), Fabrice Kebour (lumières)


(© Stofleth)


Après l’adultère, dépeint dans Von Heute auf Morgen et Il tabarro, le deuxième diptyque du festival prend ses quartiers dans un monastère. Entre les murs de celui de Sancta Susanna se déroule un huis clos oppressant de 25 minutes. Dans cet opus lyrique remarquablement condensé, Hindemith met en scène sœur Klementia, troublée par l’apparition de Sainte Susanne. La première est revêtue de noir, faisant deuil et pénitence des plaisirs ici-bas, tandis que la seconde est voilée de blanc, attribut d’une canonisation aboutie. L’ambiguïté du drame ne se relâche à aucun moment, et la scénographie baignée dans la pénombre imaginée par John Fulljames et Johan Engels n’y concède aucun répit. Tour à tour, l’une et l’autre apparaissent possédées, faisant retomber la santé d’esprit sur son interlocutrice. La tension dramatique croît progressivement jusqu’à la scène où Susanna, au climax de l’extase mystico-sexuelle, déchire son aube pour exhiber son corps gravé de croix et autres symboliques que l’on interprète comme lucifériennes. Alors que l’on imagine avoir décrypté la sémiologie du satanique, voilà que le cortège de religieuses en habit noir façon Ku Klux Klan arbore de semblables signes sur leurs visages, tandis que Susanna, refusant de se soumettre, offre son corps au Christ crucifié qui descend alors pour se coucher sur elle: la sœur qui a blasphémé en se livrant à une extase sexuelle avec l’objet saint, c’était elle, que l’on avait emmurée vivante.


Avec une palette orchestrale originale, magnifiée par la direction de Bernhard Kontarsky, Hindemith nous fait ressentir un grand frisson, d’effroi face à la cruauté de l’intrigue, mais aussi de surprise face à l’audace de l’ouvrage – on comprend sans peine le scandale à la création. Ce coup de poing magistral est servi par Magdalena Anna Hofmann, Klementia oscillant entre soumission et abandon, et surtout la composition admirable de puissance dramatique d’Agnes Selma Weiland en Sancta Susanna, qui atteint à la fin deux climax impressionnants, véritables apocalypses du refoulement de la sensualité – le dévoilement et le refus de ployer sous l’injonction de la vieille nonne et du corps du monastère. De cette histoire de chair, ces derniers esquissent avec à-propos les fortifications morales et géographiques.


Lumière tout au contraire avec Suor Angelica, laquelle dissout ses inquiétudes dans la clarté de la charité chrétienne – sans tromper cependant ses comparses. Du deuxième volet du Triptyque de Puccini, David Pountney a fait ressortir la paradoxale luminosité. Johan Engels a dessiné une prédelle de cellules à taille humaine, carrelée de blanc à l’instar du métro parisien, décorées d’un crucifix, et dupliquée au niveau supérieur: la vie de pénitence se révèle propédeutique salvatrice pour l’Au-delà. Au centre trône une vierge d’albâtre, derrière la fontaine miraculeuse, agora de la vie du couvent. La limpidité visuelle et sémiologique du dispositif présente ainsi l’envers de l’enfermement ténébreux de Sancta Susanna, dans une cohérence admirable quant à la coordination des deux productions – un scénographe pour deux mises en scène.


Si la direction de Gaetano d’Espinosa ne parvient que partiellement à l’expression des couleurs diaphanes de la partition – entre autres des attaques manquant de douceur –, le plateau réuni fait remarquablement vivre l’ouvrage. La performance de Csilla Boross pèche par des stridences çà et là en désaccord avec le caractère de la partie confiée à Suor Angelica. En dépit des intentions d’expressivité dont elle fait preuve, son «Senza mamma» ne tire pas les larmes. Natascha Petrinsky affirme au contraire une autorité intimidante dans le rôle de la tante Princesse – graves et médium hautains et vengeurs, d’une constance admirable. L’âge vénérable et l’antipathie de la sœur zélatrice ressort avec efficacité de l’incarnation de Françoise Delplanque, qui contraste avec l’onctueuse bienveillance de la maîtresse des novices, Kathleen Wilkinson. Dégageant une innocente fraîcheur qui l’apparente à la Constance du Dialogue des carmélites, Ivana Rusko fait une Sœur Geneviève rayonnante. Le reste de la distribution répond au caractère de l’œuvre, et les ensembles remplissent leur office, préparés comme toujours par Alan Woodbridge.



Gilles Charlassier

 

 

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