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Complexité et franchise : histoire(s) de subtilité

Lyon
Opéra
01/27/2012 -  et 1er, 4, 10 février 2012
Arnold Schönberg : Von heute auf morgen, opus 32

Wolfgang Newerla (Le Mari), Magdalena Anna Hofmann (La Femme), Ivi Karnezi (L’Amie), Rui Dos Santos (Le Chanteur), Marin Bisson (L’Enfant), Pierre Lucat (L’Employé du gaz)
Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Alan Woodbridge (direction des chœurs), Bernhard Kontarsky (direction musicale)
John Fulljames (mise en scène), Johan Engels (décors), Marie-Jeanne Lecca (costumes), Fabrice Kebour (lumières), Ian Galloway (vidéos)
Giacomo Puccini : Il tabarro
Werner Van Mechelen (Michele), Csilla Boross (Giorgetta), Thiago Arancam (Luigi), Natascha Petrinsky (La Frugola), Wynne Evans (Il Tinca), Paolo Battaglia (Il Talpa)
Orchestre, Chœurs et Maîtrise de l’Opéra de Lyon, Alan Woodbridge (direction des chœurs), Gaetano d’Espinosa (direction musicale)
David Pountney (mise en scène), Johan Engels (décors), Marie-Jeanne Lecca (costumes), Fabrice Kebour (lumières)


(© Stofleth)


Si Puccini avait conçu son Triptyque comme un tout solidaire, il est devenu courant de présenter les pièces séparément, en les couplant avec d’autres ouvrages plus ou moins apparentés, selon les desiderata des instances programmatrices – à cette aune-là, Gianni Schicchi rencontre davantage les faveurs de la scène que les deux autres volets. L’originalité du festival «Puccini plus» tient en la double lecture proposée dudit Triptyque: en une seule soirée, selon les volontés du compositeur, ou bien chacun de ses volets associé à un autre opéra en un acte, d’un compositeur germanique à peu près contemporain, similaire autant que dissemblable, en trois soirs consécutifs, dans une sorte de méiose aboutissant à un triptyque de diptyques. Les ouvrages en langue allemande offrent ainsi un intéressant contrepoint aux opéras du maître italien, et présentent chacun la particularité de contraster avec ces derniers par une distribution réduite, trois ou quatre personnages essentiellement – opéra de chambre contre opéra à comprimarii.


Le premier de ces diptyques associe au sombre mélodrame du Tabarro, où le mari tue l’amant, le surprenant vaudeville dodécaphonique de Schönberg, Von Heute auf Morgen. Nous sommes dans un intérieur bourgeois, et assistons à une scène conjugale où la femme, exaspérée par l’indifférence de son mari, va le concurrencer sur le terrain de l’infidélité. Cela aura pour conséquence d’attiser à nouveau le désir chez ce dernier et l’attrait de l’adultère, incarné d’un côté par l’Amie, une mondaine célèbre, et de l’autre, le Chanteur, un ténor qui ne l’est pas moins, s’évanouira au profit des nœuds de l’hymen et de la famille, à la manière de quelque chose qui passe, comme la mode, du jour au lendemain, «von heute auf morgen» selon les mots de l’épouse. En refusant de nommer les personnages, le livret de Max Blonda, alias Gertrud Schönberg-Kolisch, l’épouse du compositeur, les désincarne au point de sublimation archétypale. Le mythologique s’acoquine avec le stéréotype, pour révéler l’existentielle intemporalité de la situation, les ambiguïtés consubstantielles du désir. De manière symptomatique, la presque totalité de la partition est un dialogue entre la Femme et le Mari – à peine quelques apparitions de l’Enfant, et celles des deux amants se limitent à de rares répliques. La musique de Schönberg soutient ainsi la progression de l’intrigue, de manière presque plus théâtrale que lyrique, pour laquelle le système de douze sons sied avec une efficacité redoutable: l’indécision tonale transcrit comme littéralement les ambivalences des sentiments.


John Fulljames a imaginé une scénographie de couleurs vives, sinon criardes, à la limite de la caricature. Dissolvant tout contexte socio-psychologique, elle se concentre sur la situation, pour en faire ressortir les mécanismes, et témoigne d’une compréhension précise des intentions dramaturgiques de la pièce. L’ultime question de l’enfant se clôt sur une neige télévisuelle qui envahit l’écran de fond de scène, clin d’œil astucieux d’Ian Galloway en dérision de la vacuité du «moderne». La performance des deux rôles principaux se distingue par une remarquable sapidité, autant le Mari de Wolgang Newerla, passant de l’aplomb rouleur de mécaniques à l’amour paniqué, que le piquant de Magdalena Anna Hofmann, la Femme. Marin Bisson éclaire l’Enfant d’une fraîcheur un peu gauche, tandis qu’Ivi Karnezi et Rui Dos Santos se glissent avec aisance dans leurs costumes en cuir noir de tentateurs cornus – l’Amie et le Chanteur. Si la battue de Bernhard Kontarsky n’évite pas une certaine exagération sonore, elle caractérise avec professionnalisme la versatile volubilité de la partition de Schönberg.


Avec Il tabarro, on change radicalement d’atmosphère. La mise en scène de David Pountney – l’une des deux reprises du cycle avec Une tragédie florentine de Zemlinsky –, baignée de sfumato et d’ébènes, instaure d’emblée la mélancolie oppressante du mélodrame de Puccini, tout en évitant avec intelligence le sordide. Ici, l’univers rude des chalands et des débardeurs de la Seine se fait sentir sans ambages à travers une scénographie pourtant stylisée, qui, si elle reprend un matériel maintes fois vu, l’utilise avec un sens de la dramaturgie fort efficace. La péniche de Michele devient un immense cube noir, container amarré aux cintres par des chaînes rouges, symbole de l’aliénation des personnages à leur condition sociale et morale. Les rares contradictions topologiques avec le livret n’altèrent pas la justesse de la direction d’acteurs – la cale se situe au sommet de l’objet géométrique. Quant à l’éclairage, outre de suggérer l’environnement fluvial et ses brumes, il ceint l’intrigue d’une aura inquiétante, sinon menaçante. Les scènes de genre avec La Fouine et ses comparses introduisent une discrète touche d’insouciance, qui ne fait que souligner l’angoisse du trio – le mari, la femme et l’amant. Toute l’attention se concentre autour de l’allumette, signal des retrouvailles clandestines qui précipitera la perte de Luigi à cause de la méprise provoquée par le besoin de fumer éprouvé par Michele.


Un tel sens de la couleur et de l’atmosphère se retrouve dans la direction sensible de Gaetano d’Espinosa. La promptitude avec laquelle il a dû prendre les rênes de l’Orchestre de l’Opéra de Lyon ne se perçoit nullement dans le résultat subtil obtenu, reliant la partition de Puccini au style français dit «impressionniste» - même si les nébulosités réfèrent davantage au courant symboliste. Mais le chef italien sait ne pas se contenter de ce rapprochement souvent opéré, à juste titre, pour livrer une lecture subtile à la fois théâtrale et picturale – du cinématographe en fin de compte (ce qui est l’essence de l’opéra puccinien, pour reprendre les analyses d’Alessandro Baricco), mais d’art et d’essai cette fois, et non le Hollywood de Tosca. Et pour magnifier ce chef-d’œuvre en un acte, on peut compter sur le Michele tourmenté de Werner Van Mechelen comme sur la Giorgetta tiraillée et émouvante de Csilla Boross. Quoiqu’annoncé souffrant, Thiago Arancam s’en sort fort honnêtement en Luigi. Avec les chœurs de la maison, préparés avec soin par Alan Woodbridge, les trois comprimarii – Natascha Petrinsky (La Frugola), Wynne Evans (Il Tinca), Paolo Battaglia (Il Talpa) – complètent sans faux pas ce plateau vocal. Sous des dehors véristes, Il tabarro apparaît comme un objet opératique bien plus raffiné qu’au premier abord.



Gilles Charlassier

 

 

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