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Le bruit et la fureur

Paris
Salle Pleyel
02/10/2012 -  
Dimitri Chostakovitch : Le Chant des forêts, opus 81
Serge Prokofiev : Roméo et Juliette: Suites n° 2, opus 64ter, et n° 1, opus 64bis (extraits)

Dimitri Voropaev (ténor), Sergei Leiferkus (baryton)
Chœur de Radio France, Michel Tranchant (chef de chœur), Maîtrise de Radio France, Sofi Jeannin (chef de chœur), Orchestre philharmonique de Radio France, Vasily Petrenko (direction)


V. Petrenko (© Mark McNulty)


Le parcours russe de l’Orchestre philharmonique de Radio France se poursuit, dans les rigueurs d’un hiver trop rapidement qualifié, sous nos latitudes tempérées, de «sibérien», avec une rareté de Chostakovitch, Le Chant des forêts (1949): rapprochement instructif avec le programme de la semaine passée, car cet oratorio en sept parties vient jeter une lumière crue sur les circonstances de la composition du Premier Concerto pour violon. Voilà en effet un exemple emblématique de ce que l’Union soviétique faisait endurer aux compositeurs soviétiques: ils devaient chanter les louanges d’un régime qui les mettait à la merci d’une purge ou d’une arrestation arbitraire et dont les leçons de «réalisme socialiste» données par Jdanov en 1948 bridaient étroitement toute créativité. De ce point de vue, Le Chant des forêts, dont Mravinski, excusez du peu, dirigea la première audition, reste parfaitement dans les clous: l’histoire de la musique semble s’être arrêtée à Moussorgski – et encore – et l’avenir est radieux – une fois acquittées les figures obligées sur la «grande guerre patriotique» et l’hommage aux victimes, place à la glorification des nouveaux héros.


Le problème est que si Milhaud s’amusait, en mettant en musique ses Machines agricoles ou son Catalogue de fleurs, à des provocations dadaïstes, Chostakovitch est ici obligé de prendre au sérieux cet éloge de la politique stalinienne... de plantation. L’effectif requis se situe évidemment à la mesure de l’enjeu – solistes, chœur d’enfants, chœur mixte et orchestre complet, renforcé pour la fin du dernier numéro («Gloire») par six trompettes et six trombones. Mais autant il a su écrire de remarquables partitions cinématographiques ou légères, autant il a même su, avec plus ou moins de bonheur, faire œuvre de propagande dans certaines de ses Symphonies (Deuxième, Troisième, Septième, Onzième et Douzième), autant il paraît ici peu inspiré par le texte de Yevgeni Dolmatovski (1915-1994), auprès duquel, il est vrai, les librettistes des cantates pour le prix de Rome font figure de candidats au Nobel de littérature. Les interprètes tirent le maximum de ces quarante minutes, parfois même un peu trop de décibels, et tous s’investissent avec conviction, mais on est en droit de ne pas partager l’appréciation de Krzysztof Meyer, reprise dans le programme de salle, selon lequel certains passages «rappellent les meilleures pages de ses symphonies».


Prokofiev, même dans Zdravitsa, cantate pour le soixantième anniversaire de Staline, est resté lui-même. Chostakovitch, quant à lui, a-t-il voulu se protéger pour qu’on ait autant de mal à le reconnaître? Car dans «Lorsque la guerre fut finie», ce moelleux presque brahmsien est totalement inédit chez lui et si «Nous revêtirons notre patrie de forêts» est indéniablement russe, il s’y trouve rien de son âpreté et de sa force caractéristiques. Dans les premières mesures de «Souvenir du passé», les rythmes pointés aux cordes seules rappellent le début du premier mouvement de la Cinquième Symphonie mais l’illusion ne tarde hélas pas à se dissiper, tandis que la voix de Sergei Leiferkus manque de solidité. Dans «Les pionniers plantent des forêts», trompettes et chœur d’enfants sonnent comme un lointain écho d’une garde montante de Bizet et, avant l’apothéose («Si seulement Lénine pouvait voir notre sainte Patrie maintenant!»), une romance sucrée salue le retour du chant du rossignol: elle est évidemment confiée à un ténor, Dimitri Voropaev, au timbre un peu nasillard et métallique.


Vasily Petrenko s’est déjà produit à de nombreuses reprises dans la capitale, d’abord avec l’Ensemble orchestral de Paris puis avec le National en décembre 2010, mais aussi à l’Opéra dans Eugène Onéguine à la rentrée 2010. On l’a également vu en mars 2011 avec l’Orchestre philharmonique royal de Liverpool, dont il est le principal conductor depuis 2006, et en novembre dernier avec le Philharmonique d’Oslo, où il succédera la saison prochaine à Jukka-Pekka Saraste, mais c’était ici sa première rencontre avec le Philhar’: chacun espère qu’elle sera suivie de nombreuses autres, à commencer par des musiciens visiblement emballés.


Car en seconde partie, il frappe fort dans dix extraits de Roméo et Juliette (1935) – une musique sinon officielle, du moins répondant aux attentes de simplicité formulées par les autorités, mais qui s’est imposée sans peine au répertoire, aussi bien chorégraphique que symphonique. Parmi les trois Suites que Prokofiev a lui-même tirées de son ballet, le chef russe a choisi l’intégralité de la Deuxième et trois des sept numéros de la Première, concluant ainsi sur la spectaculaire et payante «Mort de Tybalt». Non seulement les pièces de caractère («Danse des jeunes filles des Antilles», «Scène (la rue s’éveille)», «Masques») sont fort bien campées, mais l’approche maximaliste de Petrenko fait l’effet d’un coup de poing, par deux moyens radicalement contrastés: lenteur exprimant l’oppression («Montaigus et Capulets», «Roméo au tombeau de Juliette», la marche funèbre de la «Mort de Tybalt») ou un romantisme effréné (partie centrale de «Frère Laurent», «Roméo et Juliette avant la séparation», étiré à l’extrême), et, au contraire, exacerbation de la vitesse et de la légèreté («La jeune Juliette», «Danse» et un combat électrisant entre Roméo et Tybalt). Tout au long des quarante minutes, avec un orchestre presque au meilleur de sa forme, même si ce n’est pas de Macbeth qu’il s’agit, tout «le bruit et la fureur» y sont.


Petite observation conclusive: la possibilité pour un public bien plus large que celui de Pleyel d’accéder à une telle soirée, non seulement par le biais de sa diffusion en direct (et, au besoin, de son écoute en différé) sur France Musique, mais aussi grâce à la vidéo mise en ligne sur le site d’ArteLiveWeb (voir ci-dessous), constitue évidemment un formidable progrès. Mais il ne faudrait pas pour autant que le confort visuel des spectateurs pâtisse de la volonté du réalisateur de capter les exécutants de très près. Car si la légitimité de ce parti pris n’est pas en cause, les opérateurs, certes vêtus de noir, et si discrets tentent-ils de se faire, finissent par agacer par leurs déplacements incessants, caméra mobile à l’épaule, sur scène ou dans les tribunes du chœur.



Simon Corley

 

 

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