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Notes enlacées Paris Maison des pratiques artistiques amateurs 01/31/2012 - Michaël Levinas : Les Lettres enlacées II – Concerto pour un piano espace n° 2 – Spirales d’oiseaux
Fausto Romitelli : La sabbia del tempo – Dia Nykta
Michaël Levinas (piano), Ensemble L’Itinéraire: Mihi Kim (flûte), Florent Charpentier (clarinette), Antoine Dreyfuss (cor), Rodolph Puechbroussous (trompette), Fuminori Tanada (clavier électronique), Ensemble Multilatérale: Antoine Maisonhaute (violon), Laurent Camatte (alto), Séverine Ballon (violoncelle), Gilles Durot (percussion) – Kanako Abe (direction)
GMEM: Jérôme Decque, Charles Bascou (informatique musicale) – Lionel Estève (plasticien)
K. Abe
A la Maison des pratiques artistiques amateurs (Auditorium Saint-Germain) où il est en résidence, l’ensemble L’Itinéraire a judicieusement intitulé ce programme «L’hydre spectrale». Double concert, en effet, donné à deux reprises (à Rome en la villa Médicis, puis à Paris devant un public bien trop clairsemé), deux pays, deux générations, tant dans les compositeurs à l’affiche que dans les ensembles invités: l’un des fondateurs de l’école spectrale, Michaël Levinas (né en 1949), et l’un de ceux qui ont indéniablement été marqués par ce courant, Fausto Romitelli (1963-2004). Aux musiciens de l’Itinéraire se joignent quelques-uns de leurs camarades du jeune ensemble Multilatérale (fondé en 2005) avec sa directrice musicale, Kanako Abe (née en 1973, l’année de la fondation de l’Itinéraire par Tristan Murail et Roger Tessier).
Placée sous le signe ambitieux de «La beauté» et sous le slogan futé «Cachez ce son que je ne saurais voir», cette saison de L’Itinéraire est la première pour le directeur artistique, Colin Roche, qui a succédé à Jean-Loup Graton. L’ensemble se fixe désormais pour objectif d’inviter chaque année en résidence un plasticien et c’est Lionel Estève (né en 1967) qui essuie les plâtres. L’expression est employée à dessein, car les timides tentatives de contrepoint visuel aux cinq œuvres de la soirée, en fond de scène – corde tendue oscillant et ondulant, deux voiles montant et descendant des cintres, éclairs, projection de formes lumineuses – laissent pour le moins perplexe. En revanche, le travail des deux informaticiens du GMEM (Groupe de musique expérimentale de Marseille), centre national de création musicale, n’appelle que des éloges.
L’altiste Laurent Camatte ouvre la soirée avec Les Lettres enlacées II (2000) de Levinas, appartenant à un ensemble de cinq pièces du même titre pour quatuor vocal, alto seul, quintette à cordes ou deux altos. Le principe en est le même, celui d’un entrelacs de voix superposées ou alternées: 17 minutes de lentes montées méditatives revenant toujours à la même note de départ, puis décrivant des mouvements inverses de l’aigu vers le grave, que l’agitation ne vient que rarement perturber et auquel l’alto seul confère l’étrange et pénétrante résonance d’une lamentation baroque.
Le Sable du temps de Romitelli, pour flûte (et flûte basse), clarinette (et clarinette basse), clavier électronique, violon, alto et violoncelle, dont L’Itinéraire donna la première en 1991, se fonde également sur des processus progressifs, mais au fil des 13 minutes, l’excitation croît avant que l’atmosphère, via des bruitages et claquements de langues, ne devienne plus détendue et même plus ludique. Suit une très courte pièce d'étude destinée au conservatoire de Milan et restée inédite: faisant appel à la seule flûte de Mihi Kim, les trois minutes de Dia Nykta (1982) – «la nuit durant», si l’on en croit le fidèle Bailly – jouent sur le souffle, avec ou sans l’instrument, et demandent même à l’interprète de chanter, dénotant encore l’influence d’un Scelsi ou d’un Berio sur le tout jeune compositeur italien.
Succédant aux Etudes sur un piano espace, le Concerto pour un piano espace n° 2 (1980), bien sûr créé en son temps lui aussi par L’Itinéraire, est la version définitive d’un Concerto pour un piano espace écrit quatre ans plus tôt: comme l’indique Levinas, le petit orchestre (flûte, cor, trompette, percussion et violoncelle, auxquels s’ajoutent des sons préenregistrés) «doit être amplifié et réverbéré comme s’il jouait à l’intérieur de la "grotte", caisse de résonance du piano». Timbres délirants et fabuleux du piano (qui s’impose par un solo initial de près de cinq minutes), grondements furieux des autres instruments, le dispositif électroacoustique, agissant comme des glaces déformantes, contribue à créer 20 minutes durant un univers sui generis, entre guitares électriques saturées, tellurisme à la Xenakis et psychédélisme des années 1970.
Il y a déjà aussi un peu du climat de son opéra de chambre La Conférence des oiseaux, dont il utilise deux des principaux thèmes dans Spirales d’oiseaux (1984) pour cor solo, enchaîné attaca, dès qu’Antoine Dreyfuss a rejoint les pupitres disposés côté cour: assisté d’un dispositif électroacoustique, il produit cinq minutes de spectaculaires et grisants effets de démultiplication sur des motifs ascendants répétés à l’infini, donnant une impression de mobilité dans l’immobilité, avec ces sons qui se chevauchent et s’entremêlent sans cesse, comme dans Les Lettres mêlées: la boucle est ainsi bouclée.
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Simon Corley
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