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Le cri de Katerina

Madrid
Teatro Real
12/03/2011 -  & 6, 9, 12*, 15, 18, 21, 23 décembre 2011
Dmitri Chostakovitch: Lady Macbeth du district de Mzensk, opus 29
Eva-Maria Westbroek (Katerina Ismailova), Vladimir Vaneev (Boris Ismailov, Le vieux déporté), Michael König (Serguei), Ludovít Ludha (Zinovi Borisovitch), Lani Poulson (Sonietka), Carole Wilson (Aksinia), John Easterlin (L’ivrogne), Francisco Santiago (le policier)
Orchestre et Chœur du Teatro Real, Andrés Máspero (chef du chœur), Harmut Haenchen (direction musicale)
Martin Kusej (mise en scène), Martin Zehetgruber (décors), Heide Kastler (costumes), Reinhard Traub (lumières)


E.-M. Westbroek (© J. del Real/TR)


Le geste de Katerina, crispé, la bouche ouverte dans un cri, un cri qui ne s’entend pas, tout comme Helene Weigel dans la légendaire mise en scène du Berliner Ensemble de Mère Courage, de Brecht. Courage apprivoisait sa douleur de voir la mort de son fils, elle ne pouvait pas se trahir, se dénoncer elle-même. Mais Katerina, horrifiée, voit que dans son chemin vers la Sibérie elle a plongé trop bas: elle a assassiné, elle a tout sacrifié, mais elle perd Boris, et elle comprend qu’elle n’était, pour Boris, qu’une femme parmi les autres. Tous ces meurtres, pour ça. Aux monologues de Katia qui donnent un sens concret de « lyrisme dépressif », à la désolation des adagios dans les symphonies et les quatuors de Chostakovitch, il faut ajouter celui-ci, pas marqué dans le livret ni la partition: le cri retentissant sorti de la bouche de Katerina que personne n’entend. Comme partout dans cette mise en scène, c’est Kusej, avec Westbroek, qui ajoutent ce geste qui est un monologue en soi, juste avant le dernier monologue et la catastrophe finale, celle qui ne marque pas la fin de la pièce, parce que l’opéra continue avec la marche des bagnards vers la Sibérie.



C’est la troisième présentation de Lady Macbeth de Mzensk à Madrid. Vers la fin des années 70, on a vu la version édulcorée, Katerina Ismailova, filmée par Mikhail Shapiro vers 1966 (avec Galina Vichnievskaïa, bien sûr !) et c’est Rostropovitch qui a dirigé ici-même la version originale en 2000. On voit aujourd’hui la même mise en scène du DVD d’Amsterdam (Concertgebouw, Jansons, 2006), mais cette très belle prise visuelle ne ternit pas le plaisir inquiétant de voir cette proposition tout à fait théâtrale du régisseur autrichien Martin Kusej.



Une grande “boîte scénique”, (sensation d’enfermement, mais avec des matériaux légers; sensation d’opacité, mais avec des transparentes à travers les jointures). Et, dans la boîte, la maison, une vaste chambre encadrée par des vitres et des portes coulissantes. La chambre est aussi une boîte, mais elle est le lieu de vie des Ismailov, et est utilisée sert comme un point de transition vers la ferme, l’industrie agricole, le moyen de vie, le chœur des ouvriers et des serviteurs. La boîte-maison et les lumières jouent un rôle très important dans la définition des situations dramatiques, jusqu’aux meurtres des Ismailov père et fils. La boîte-maison disparaît au moment des noces et du banquet ; certainement pas dans le commissariat de police, sur le chemin vers la Sibérie. L’espace théâtral intègre la tragédie et définit les situations. C’est la base d’une mise en scène riche en détails, un des meilleurs spectacles vus au Teatro Real pendant cette douzaine d’années depuis sa réouverture. Kusej dépouille l’action et les décors et réussit à rendre le drame avec une force inouïe. Pas de réalisme dans la définition de la maison, les costumes, ou les objets. Tout est concentré dans les gestes, mesurés, intériorisés, spécialement chez Katerina. Le travail profond et complice de Martin Kusej et Eva-Maria Westbroek conduit à un résultat émouvant, terrifiant. Parce qu’à la base Kusej fait un travail remarquable sur les voix et sur les acteurs. À cet égard, la construction du personnage par Eva-Maria Westobroek est stupéfiante.



Vladimir Vaneev est le deuxième grand interprète, par sa construction du rôle de Boris (mais aussi du Vieux bagnard du dernier tableau). Michael König, très bon Serguei, est le seul des protagonistes qui n’est pas dans le DVD d’Amsterdam. La distribution est très adéquate, constitué de voix compétentes, comme Ludovít Ludha, John Easterlin, Francisco Santiago, Carole Wilson. Il faut aussi remarquer Lani Poulson (Sonietka) dont la voix possède un beau timbre et des graves splendides.



L’orchestre a une importance majeure dans cette partition. On y entend les adagios typiques du compositeur, on l’a déjà remarqué, mais il y a aussi les scherzos burlesques et satiriques aussi typiques de Chostakovitch (il faut renforcer les cuivres, qui surgissent de la fosse et jouent devant les loges de l’avant-scène. Il y a aussi les moments grinçants, encore du pur Chostakovitch. Donc, il faut un chef et un ensemble d’un niveau élevé. Hartmut Haenchen est un grand chef qui a réussi à faire surgir de l’orchestre du Teatro Real la meilleure des prestations. Voilà aussi une base incontournable de la proposition théâtrale de Kusej, où tout est entrecroisé, lié, images, voix, gestes et sons.



Le succès est devenu un triomphe, de tous (scène, orchestre, voix), mais surtout d’Eva-Maria Westbroek, inoubliable. Sa Katerina restera pour toujours dans les mémoires.



Santiago Martín Bermúdez

 

 

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