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Triomphe händelien

Paris
Salle Pleyel
12/04/2011 -  et 7* décembre 2011
Georg Friedrich Händel : Semele, HWV 58
Cecilia Bartoli (Semele), Charles Workman (Jupiter), Hilary Summers (Juno), Christophe Dumaux (Athamas), Liliana Nikiteanu (Ino), Jaël Azzaretti (Iris), Brindley Sherratt (Cadmus, Somnus)
English Voices, Timothy Brown (chef de chœur), Orchestra La Scintilla an der Oper Zürich, Diego Fasolis (direction)


C. Bartoli (© Decca/Uli Weber)


Quelques jours après une splendide version de l’oratorio Jephtha sous la direction de William Christie, la salle Pleyel accueillait pour deux représentations exceptionnelles une équipe de chanteurs aguerris, dominée par Cecilia Bartoli, pour une autre grande pièce de Georg Friedrich Händel (1685-1759), Semele (1744). Autant dire que la venue de la cantatrice italienne, toujours adulée par le public, et son expérience dans un rôle qu’elle a déjà abordé, notamment à Zurich en février 2007 avec un succès considérable, suffisaient à faire de ces deux concerts des moments fort attendus par tous les mélomanes.


Contrairement à d’autres ouvrages de Händel, Semele n’a pas connu de destinée très glorieuse et ce, dès sa création à Londres en février 1744. Est-ce dû à son caractère ambivalent? En effet, s’il s’agit a priori d’un opéra, certains musicologues y voient davantage un oratorio: ainsi, dans sa célèbre biographie de Händel (publiée chez Robert Laffont), Jean-François Labie parle d’«oratorio païen» et, même, de «comédie déguisée en oratorio»! Lors même de la création, une des grandes amies de Händel, Mary Delany, écrivait à une de ses connaissances que «comme c’est une histoire profane, D.D. estime qu’il n’est pas convenable qu’il y aille», preuve de la nature incertaine de l’ouvrage. Après quatre représentations seulement, Semele fut donc remplacée à l’affiche par l’oratorio Samson: si l’on ajoute à cela les conflits opposant Händel à l’administration du théâtre, l’éventuel décalage entre ses partitions les plus récentes et les goûts nouveaux du public en matière d’opéra et la relative disgrâce de Händel à l’égard du Prince de Galles, voici autant d’éléments qui ont joué en faveur d’un effacement durable de Semele, qui n’a finalement resurgi que dans les années 1960.


L’intrigue, pleine d’humour et de vrais sentiments amoureux, est relativement simple pour une fois. Alors que la princesse Semele est fiancée au prince Athamas, elle tombe amoureuse d’un homme qui n’est autre que le dieu Jupiter, déguisé pour l’occasion. Evidemment, cette énième incartade de la part du roi des Dieux suscite la colère de son épouse légitime, Junon, qui souhaite se venger de Semele. Pour ce faire, Junon, déguisée en Ino, recommande à Semele de demander à Jupiter de lui apparaître non en homme mais en dieu afin qu’elle bénéficie elle aussi de l’immortalité, sauf à lui refuser son amour. Jupiter est bien conscient, lorsque Semele exige cela de sa part, que la pauvre amante est condamnée car, dès qu’il apparaîtra paré de ses attributs, celle-ci ne pourra qu’être consumée par le feu divin. Tel est finalement le cas: Jupiter s’exécute et Semele meurt. A la fin de l’opéra, Ino révèle à tous que Jupiter lui a ordonné d’épouser Athamas tandis qu’Apollon déclare qu’un phénix naîtra des cendres de Semele, répondant d’une certaine manière au vœu d’immortalité de la jeune femme: ce sera Bacchus, le dieu du vin.


Sans être chatoyante, la partition de Semele est riche, faisant intervenir, outre les cordes habituelles, deux hautbois, deux bassons et, à une occasion pour chacun d’entre eux, deux cors (au premier acte) et deux trompettes (dans le chœur final). Disons-le d’emblée: l’Orchestre La Scintilla de l’Opéra de Zurich a été impérial. Sous la direction habitée et millimétrée de Diego Fasolis (qui tenait en plus d’une occasion la partie de clavecin), il aura été l’un des acteurs majeurs de la réussite de cette soirée. Les cordes, guidées par la konzertmeisterin Ada Pesch, ont été un partenaire de tout premier ordre dans le chœur «Avert these omens, all ye pow’rs!» (acte I, scène 1), les timbales de Hans Peter Achberger vrombissent dans le chœur «Cease, cease your vows, ’tis impious to proceed» (acte I, scène 1), la basse continue caresse la voix de Liliana Nikiteanu dans la deuxième scène de l’acte I («Turn, hopeless lover»), les bassons rivalisent de dextérité dans la symphonie ouvrant le deuxième acte... Du début à la fin, Diego Fasolis vit cette musique avec une intensité qui transparaît dans chacun de ses gestes, le chef chantant avec ses solistes pour mieux communier avec eux dans cette musique si géniale. Les très vifs applaudissements qui le saluent à la fin ou à l’entrée de l’orchestre après l’entracte n’en sont que les justes témoignages.


Côté chanteurs, comment ne pas commencer par Cecilia Bartoli pour laquelle chaque spectateur était venu et qui a depuis longtemps prouvé ses affinités avec le répertoire baroque, notamment Händel dont elle avait tenu, ici même il y a quelques mois, le rôle de Cléopâtre dans Giulio Cesare. Revêtue d’une longue robe bustier de couleur verte, elle est immédiatement saluée par le public qui sait qu’elle est une interprète de tout premier ordre du rôle de Semele pour l’avoir chanté sous la baguette de William Christie aussi bien en septembre 2010 à Vienne qu’à Zurich en janvier 2007 et en janvier 2009. Et, effectivement, dès l’accompagnato «Ah me! What refuge» (acte I, scène 1), elle s’impose par sa technique (quelle finesse d’attaque lorsqu’elle répète les mots «Ah me»!) et son charisme. Bien que cette représentation ait eu lieu en version de concert, Bartoli ne lit jamais sa partition et joue sur scène dès qu’elle le peut comme le feront d’ailleurs ses autres partenaires, minaudant comme il convient dans l’air «Endless pleasure, endless love» (à la fin de l’acte I), alliant finesse de l’élocution (y compris dans les nuances) et dextérité de la voix comme dans l’air «With fond desiring, With bliss expiring» (acte II, scène 3). Le clou du concert aura sans aucun doute été l’air célèbre «Myself I shall adore» (acte III, scène 3) lorsque Semele s’admire dans un miroir, poussée à la vanité par la perfide Junon: Cecilia Bartoli a été immense, accompagnée notamment par le clavecin plein d’humour de Diego Fasolis, ses dernières notes s’étant conclues par une ovation formidable d’un public conquis depuis longtemps déjà.


En incarnant Jupiter, Charles Workman trouve là un rôle qu’il connaît parfaitement pour l’avoir interprété aux côtés de Cecilia Bartoli aussi bien à Vienne qu’à Zurich. Quelle voix là aussi! – puissante, bien assurée (sauf, peut-être, dans l’air «Where’er you walk, cool gales shall fan the glade», grande scène de l’acte II, où, sans céder, il se trouve néanmoins parfois au bord de la rupture), chaude, qui incarne parfaitement son caractère royal et divin. A ce titre, quel air que «Lay your doubts and fears aside» (acte II, scène 3)! Signalons par ailleurs que Charles Workman s’est également vu confier le rôle d’Apollon dans l’accompagnato final «Apollo comes, to relieve your care», bizarrerie qui s’ajoute à quelques coupures (l’air de Semele «The morning lark to mine accords his note» ou l’air d’Athamas «Hymen, haste, thy torch» à l’acte I par exemple) qui tiennent vraisemblablement au choix de l’édition.


Dans le rôle de Junon, Hilary Summers est encore plus grande comédienne que chanteuse. Suivie constamment par la frêle Jaël Azzaretti (Iris) avec laquelle elle forme un impayable duo, Hilary Summers alterne caricature volontaire (dans le récit accompagné «Awake, Saturnia» au début de l’acte II) et grande adresse vocale (l’air «Hence, Iris, hence away») qui, là aussi, emportent l’adhésion de tous. Jaël Azzaretti, qui avait déjà vaillamment tenu le rôle de Mélisse dans la récente reprise d’Atys, est également des plus convaincantes, allant bien au-delà de son rôle de faire-valoir apparent de Junon, mégère désagréable au possible. Dernière voix féminine à intervenir, Liliana Nikiteanu incarne avec beaucoup de justesse le personnage d’Ino; on gardera en mémoire l’air douloureux «Turn, hopeless lover, turn thy eyes» où l’enchantement est total grâce à sa voix bien sûr mais également à l’accompagnement de la seule basse continue où domine un superbe violoncelle solo. Si la voix de Liliana Nikiteanu a parfois pu manquer de projection (notamment dans le duo avec Athamas «You’ve undone me» à la scène 2 de l’acte I), elle n’en a pas moins parfaitement tenu sa place.


Il en est allé de même pour Christophe Dumaux dans le rôle d’Athamas. Touchant («Your tuneful voice my tale would tell» à la scène 2 de l’acte I), virtuose («Despair no more shall wound me» à l’acte III), il est très bon même si l’on regrette qu’il soit peut-être un peu trop réservé dans son incarnation du pauvre Athamas qui, dans l’intrigue, s’avère il est vrai assez falot. Premier à intervenir dans l’opéra, Brindley Sherratt (qui tient les deux rôles de Cadmus et de Somnus) est tout bonnement excellent, sa voix puissante se doublant d’une déclamation idéale. On n’oubliera pas par ailleurs les interventions toujours justes des English Voices, admirablement préparées par Timothy Brown, nouvelle preuve de l’attention que Händel portait aux chœurs.


Dès le premier rappel, le public de la Salle Pleyel s’est donc logiquement levé comme un seul homme pour saluer certes Cecilia Bartoli, venue seule sur scène à un moment, revenue ensuite avec Diego Fasolis, puis avec l’ensemble des interprètes, mais surtout pour ovationner une véritable équipe qui aura su magnifier Semele. Nul doute que cette soirée restera longtemps en mémoire de ceux qui ont eu la chance d’y assister.


Le site de Cecilia Bartoli
Le site de Charles Workman
Le site de l’Orchestre de La Scintilla
Le site des English Voices



Sébastien Gauthier

 

 

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