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La logique est respectée

Paris
Théâtre des Champs-Elysées
11/25/2011 -  et 23 (Wien), 27 (Braunschweig), 29 (Lyon) novembre 2011
Georg Friedrich Händel : Giulio Cesare in Egitto, HWV 17

Marie-Nicole Lemieux (Giulio Cesare), Romina Basso (Cornelia), Emöke Baráth (Sesto), Karina Gauvin (Cleopatra), Mary-Ellen Nesi (Tolomeo), Milena Storti (Nireno), Johannes Weisser (Achilla)
Il complesso barocco, Alan Curtis (direction)


A. Curtis et Il complesso barocco (© Jose Luis Martinez)


Que Händel est gâté! En effet, après une somptueuse version de l’oratorio Jephtha donnée la veille salle Pleyel sous la direction de William Christie, le temps était venu d’écouter ce soir, en version de concert, l’opéra le plus célèbre du compositeur saxon, Giulio Cesare. Le Théâtre des Champs-Elysées était évidemment comble pour accueillir une équipe de chanteurs parmi les meilleurs au monde dans ce type de répertoire, sous la houlette du très händelien Alan Curtis. Avant d’en venir à la représentation proprement dite, regrettons néanmoins que quelques airs aient disparu (la faute à l’édition choisie?) et que, comme l’indique curieusement le programme (dont on aurait apprécié qu’il indiquât le nom des musiciens de l’orchestre pour cette soirée), le rôle [de Curio soit] supprimé pour cette version de concert qui, même s’il ne chante aucun air, se voit néanmoins confier quelques récitatifs. Peu importe pourrait-on dire puisque, dans cet opéra plus que dans tout autre (excepté Alcina peut-être), chaque air est un véritable chef-d’œuvre à lui tout seul et suffit largement à notre bonheur, surtout s’il bénéficie de voix exceptionnelles comme ce soir.


C’était d’ailleurs déjà le cas en février 1724 lors de la création de l’opéra sur la scène du King’s Theater de Londres, la légendaire Francesca Cuzzoni tenant alors le rôle de Cléopâtre tandis que le non moins célèbre castrat Senesino (Francesco Bernardi) incarnait Jules César. Sur un livret originel de Bassani revu par Nicola Haym, Georg Friedrich Händel (1685-1759) a choisi de gommer les aspects politiques de l’œuvre pour lui préférer la dimension amoureuse. Après la victoire de Pharsale remportée par Jules César sur son éternel rival Pompée, le roi d’Egypte Ptolémée fait assassiner ce dernier pour s’attirer les bonnes grâces du nouveau maître de Rome. Par la même occasion, le frère de Cléopâtre fait emprisonner Cornelia, la veuve de Pompée (dont il tombe amoureux tout en la promettant à son lieutenant Achille) ainsi que le fils de celle-ci, Sextus, qui souhaite assassiner le nouveau tyran pour venger la mémoire de son père. Ulcéré par cet acte barbare (Ptolémée lui ayant fait porter la tête de son ancien rival), César, tombé entre temps amoureux de Cléopâtre (déguisée en servante), choisit de mener le combat contre Ptolémée qui le vainc à l’issue de combats sanglants. Ayant miraculeusement échappé à la mort, César, rejoint par Cléopâtre et Achille (qui ne s’allie aux conjurés que pour mieux se venger de son ancien maître qui refuse de lui donner la main de Cornelia), finit par triompher de Ptolémée, qui tombe, assassiné par Sextus. L’opéra se conclut par le triomphe de l’amour entre le romain et la reine d’Egypte, et la clémence de César qui voit en Sextus un nouvel ami et allié.


Si la logique historique est respectée (Rome triomphe de l’Egypte), si la logique amoureuse l’est aussi (César et Cléopâtre filent le parfait amour), la logique artistique a également triomphé: même si presque chaque intervention des uns ou des autres a été applaudie, voire ovationnée par un public sans cesse plus enthousiaste au fil de la soirée, Marie-Nicole Lemieux a tout emporté sur son passage. On ne compte plus la variété des répertoires dans lesquels le contralto canadien triomphe, que ce soit dans Vivaldi, le répertoire français du XIXe siècle ou même, comme encore récemment, dans Gustav Mahler. Ce soir, elle nous aura de nouveau gratifié d’une technique vocale éblouissante (à tel point d’ailleurs que toute notion de technique s’en trouve gommée!), doublée d’un sens du théâtre évident. La fureur de l’air «Empio, dirò» (acte I), la beauté surnaturelle du célèbre «Va tacito» (magnifiquement accompagné par le corniste) ou de l’air «Se in fiorito ameno prato» (acte II, scène 2) où s’instaure un dialogue incroyable avec le violon parfait de Dmitry Sinkovsky, son duo conclusif avec Cléopâtre «Caro, Bella» (scène ultime de l’acte III): autant de moments où l’on reste bouche bée tant la beauté et la justesse de l’incarnation sont évidentes. Certes, certains pourront faire la fine bouche en estimant que, justement, Marie-Nicole Lemieux en fait parfois un peu trop (dans l’air «Al lampo dell’armi» à la scène 8 de l’acte II où elle force un peu sa voix, le jeu de sa présence permettant de pallier la justesse approximative de sa ligne de chant) alors que la sobriété lui sied si bien (l’air «Dall’ ondoso», acte III, scène 4). Balayons rapidement ces éventuels fâcheux et soyons honnête: qui peut aujourd’hui nous offrir de tels moments?


Face à Marie-Nicole Lemieux, il fallait une Cléopâtre d’une certaine trempe pour lui répondre: c’est à Karina Gauvin, grande complice d’Alan Curtis, qu’échut le rôle. Quelle réussite là aussi! Minaudant comme il convient dans l’air «Non disperar» (acte I, scène 5), elle est relativement éclipsée par les autres personnages dans la première partie du concert. En revanche, elle domine très largement l’ensemble dans la seconde partie avec notamment deux sommets que furent «V’adoro pupille» (acte II, scène 2) et «Piangerò la sorte mia» (acte III, scène 3), air où la rude souveraine se métamorphose en simple femme, mortelle et éplorée. Karina Gauvin fut bouleversante, offrant au personnage de Cléopâtre toute l’ambiguïté d’un personnage ô combien complexe.


Le premier air chanté par Cornelia («Priva son d’ogni conforto») a été quelque peu décevant même si son caractère plaintif était parfaitement rendu: les doutes sur l’adéquation entre l’interprète et le personnage furent rapidement levés tant la prestation de Romina Basso fut par la suite excellente. L’entrée de sa voix dans l’air «Nel tuo seno» (acte I, scène 8) a été miraculeuse, s’étant véritablement fondue dans le climat orchestral initial; quant à son duo avec son fils Sextus («Son nata a lagrimar»), ce fut un moment des plus bouleversants de la soirée, salué par un silence absolu du public et conclu par une ovation extraordinaire. Emöke Baráth a ainsi incarné un très beau Sextus où les emportements de la jeunesse et le sens de l’honneur ont rendu pleinement justice à quelques airs mémorables. Même si l’on aurait peut-être souhaité davantage de rage dans l’air «Svegliatevi nel core» (acte I, scène 4), on saluera bien bas sa prestation dans l’air «L’angue offeso», où le chant se maria idéalement aux spirales des cordes qui imageaient ainsi si bien un serpent en train de se lover. Mary-Ellen Nesi (dans le rôle de Ptolémée), Milena Storti (dans celui de Nireno) et Johannes Weisser (Achille) complétèrent l’équipe de la plus belle façon, chacun s’acquittant de ses airs avec justesse et, même, éclat (l’air d’Achille «Tu sei il cor» à la fin du premier acte).


La postérité de Giulio Cesare ne serait rien sans le chant: elle ne serait évidemment pas grand-chose s’il n’y avait cette musique. La moindre intervention de l’orchestre (la petite sinfonia à la scène 2 de l’acte II!) témoigne à chaque instant du génie de Händel. Que dire de l’accompagnement du luth, des hautbois, des contrechants du basson dans tel ou tel air sans risquer de superlatif inutile? Même si la direction d’Alan Curtis s’avère parfois un peu prosaïque (l’orchestre joue ainsi un peu trop lentement dans l’air de Sextus «Svegliatevi nel core» ou dans celui de Ptolémée «L’empio sleale», tous deux à l’acte I), l’orchestre s’avère idoine et comble le public pour une soirée véritablement mémorable. Oui, décidément, Händel est gâté...


Le site de Marie-Nicole Lemieux
Le site de Karina Gauvin
Le site de Mary-Ellen Nesi
Le site de l’ensemble Il complesso barocco



Sébastien Gauthier

 

 

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