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En Azerbaïdjan avec l’Association Chostakovitch

Paris
Salle Adyar
11/23/2011 -  
Kara Karaev : Une statue à Tsarskoïé Sélo (#) – Sonate pour violon et piano (*) (création française)
Dimitri Chostakovitch : Le Roi Lear, opus 137: «Musique de cour» (&) – Symphonie n° 9, opus 70 (version pour piano à quatre mains) (+) (créations françaises)
Franghiz Ali-Zadeh : Music for piano (création française) – Habil-Sayagi – Crossing II (création française)
Gaetano Braga : Serenata (arrangement Chostakovitch, création française)

Isa Lagarde (soprano), Elena Gabouri (mezzo), Hyowon Chi (&) (flûte), Javad Taghizade (#) (violon), Ivan Monighetti (violoncelle), Franghiz Ali-Zadeh, Ludmilla Berlinskaïa (+), Guigla Katsarava (+), Eeva Mattila (# *) (piano)
Ensemble Intégral: Mayu Sato-Brémaud (&) (flûte), Valérie Liebenguth (hautbois), Gabriel Vernhes (basson), Eric du Faÿ (cor), Thibault Mortegoute (trombone), Caroline Lieby (&) (harpe), Mathieu Pénot (percussions), Christine Massetti (~) (violon), Caroline Simonnot (alto), Lucie Chevillard (violoncelle), Jean-Pierre Robert (contrebasse), Alexandre Grandé (~) (direction, piano)




Dans le cadre de ses concerts toujours si stimulants, l’Association internationale «Dimitri Chostakovitch» choisit de nouveau de rendre hommage salle Adyar à une grande figure de la musique en lien avec le compositeur auquel elle dédie son activité: après Boris Tishchenko en 2009 et Krzysztof Meyer en 2010, Emmanuel Utwiller offre au public parisien le privilège de rencontrer Franghiz Ali-Zadeh (née en 1947). Grande dame de l’ex-Union soviétique, comme Goubaïdoulina ou Oustvolskaïa, elle est plus connue en Allemagne, où elle réside depuis 1999, que dans notre pays, où l’attention sur son nom n’a sans doute guère plus été attirée que par un disque monographique paru chez Bis voici près de quinze ans – deux des trois œuvres à l’affiche n’avaient d’ailleurs auparavant jamais été présentées en France. De façon tout à fait logique, elle est ici associée à Kara Kara(y)ev (1918-1982), autre personnalité capitale de l’Azerbaïdjan, dont elle fut l’élève puis l’assistante au conservatoire de Bakou, et, bien sûr, de Chostakovitch, auprès duquel le compositeur azéri étudia lui-même entre 1943 et 1946 au conservatoire de Moscou.


De Karaev, Eeva Mattila joue d’abord une petite page de jeunesse, Une statue à Tsarskoïé Sélo (1936): cette «image musicale» pour piano, inspirée d’un poème de Pouchkine, évoque Scriabine par son chromatisme mais trahit son époque par sa conclusion inattendue et énigmatique. La pianiste finlandaise est rejointe par l’Azéri Javad Taghizade (né en 1987) pour la création française de sa Sonate pour violon et piano (1960). D’une concision néoclassique, d’une écriture bien sage (la tonalité demeure solidement arrimée à ) mais d’un ordonnancement assez original, ses quatre mouvements ne dépassent pas le quart d’heure: Moderato dont la vigueur et l’ironie tiennent encore davantage de Prokofiev que de Chostakovitch, Andante lyrique précédé d’un Recitativo presque intégralement dévolu au seul violon, «Pastorale» sur un rythme de sicilienne et, pour conclure, une «Fantaisie» d’une surprenante intensité.


L’association s’attache toujours à offrir en première audition française des raretés que recèle le vaste catalogue de Chostakovitch. C’est le cas de cette brévissime et légère «Musique de cour» pour deux flûtes et harpe, extraite de la partition écrite en 1970 pour le film Le Roi Lear de Kozintsev: Allegretto d’importance mineure, certes, mais où l’on identifie aisément la patte du compositeur. D’une tout autre ampleur est évidemment la Neuvième Symphonie (1945), datant de l’époque où Karaev était son élève: on se plaît à penser qu’il lui demanda de l’assister pour la réalisation de cet arrangement pour piano à quatre mains, dont le compositeur donna la première avec Richter, deux mois avant la création de la version orchestrale. Dans une exécution à la mise en place quasi irréprochable, mais dont tous les mérites ne peuvent faire oublier l’original, par exemple le solo de basson du Largo, la Russe Ludmilla Berlinskaïa et le Géorgien Guigla Katsarava en font ressortir l’âpreté et la dimension sarcastique qui allaient contribuer en 1948 à la condamnation du compositeur par Jdanov et ses sbires.


La quasi-intégralité de la seconde partie de la soirée est dédiée à Ali-Zadeh, qui, pour commencer, interprète elle-même sa Musique pour piano (1989/1997). Durant l’entracte, la salle a été évacuée, afin qu’elle puisse «préparer» elle-même le Yamaha: si la technique rappelle immanquablement les expériences de Cage, sa démarche présente un caractère radicalement différent, tant dans les moyens – quelques fines chaînes disposées sur les cordes, autant qu’il soit possible d’en juger, modifiant moins la hauteur du son que son timbre – que dans ses finalités. L’objectif est en effet de se rapprocher de la sonorité des instruments traditionnels: bien plus que chez Karaev, la dimension nationale s’exprime ouvertement dans ces sept minutes d’esprit improvisé, qui alternent courtes phrases tournant sur elles-mêmes et fracas de notes se précipitant dans le grave.


Ivan Monighetti fut l’inspirateur, le dédicataire et le créateur de Dans le style d’Habil (1979), pièce d’un seul tenant (vingt minutes) dont le titre fait référence à un musicien azéri, Habil Alijev (né en 1927), virtuose du kamânche, un instrument à cordes frottées. Réinventé, réapproprié, le traditionnel mug(h)am, variante du maqâm maghrébin et moyen-oriental, se déploie avec une liberté grisante par paliers successifs, depuis un long solo de violoncelle, méditatif et incantatoire, jusqu’à un état de transe autour d’une note répétée et tenue, ponctuée par trois clusters au piano, en passant par une danse lente en pizzicatos, un épisode chantant et une danse plus rapide. Le traitement du piano (toujours «préparé») n’a rien à envier aux recherches d’un Crumb: cordes frappées ou frottées avec une ou deux baguettes ou directement avec les mains, ou bien pincées avec des plectres, mains frappant sur le couvercle fermé du clavier – les touches ne sont quasiment pas utilisées, mais au-delà de l’évocation très précise des traditions de son pays, Ali-Zadeh construit un univers à la fois saisissant et personnel.


C’est ce que confirme Crossing II (1992/1993) pour onze instruments, avec l’Ensemble Intégral dirigé par Alexandre Grandé. D’une durée à peine moindre, le discours avance aussi de manière très progressive, d’abord sur une note au violon et à l’alto auxquels s’associe bientôt la contrebasse, à peine perturbés par le violoncelle, puis la harpe et le vibraphone. Le tutti n’intervient que dans une section aléatoire très agitée, ponctuée par le cor, avec des commentaires du basson et du trombone. Suit une danse rustique dont le tempo s’exacerbe pour laisser place, après quelques puissants accords, à une péroraison allégée et paisible, dialogue entre le violon, le hautbois et le piccolo soutenu par une figure inlassablement répétée à la harpe.


Mais le dernier mot revient à une curiosité de Chostakovitch: Alexandre Grandé se met au piano pour accompagner, avec la violoniste de l’ensemble, Christine Massetti, la soprano Isa Lagarde et la mezzo Elena Gabouri dans son adaptation de la Sérénade (1867) de Gaetano Braga (1829-1907). C’est tout ce qui reste du projet qu’il avait de mettre en musique la nouvelle Le Moine noir: Tchekhov y mentionne en effet ce duo entre une mère et sa fille, dont le climat entre romantisme et salon bourgeois tranche toutefois bizarrement avec tout le reste du programme.


Le site de l’Association internationale Dimitri Chostakovitch



Simon Corley

 

 

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