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Une véritable rareté Antwerp Vlaamse Opera 10/30/2011 - et 2, 4, 6, 8 (Gent), 16, 18, 20*, 23, 26 (Antwerpen) novembre 2011 Piotr Ilyitch Tchaïkovski : Tcharadieïka Tatiana Pavlovskaya*/Ausrine Stundyte (Nastassia), Valery Alexeev (Prince Nikita), Irina Makarova (Princesse Yevpraksia), Dmitri Polkopin*/Viktor Lutsiuk (Prince Youri), Nikolai Gassiev (Païssi), Taras Shtonda (Mamyrov), Igor Bakan (Ivan Jouran), Yevgeni Polikanin (Foka), Anneke Luyten (Poyla), Vesselin Ivanov (Balakine), Thomas Dear (Potap), Stefan Adriaens (Loukach), Thomas Mürk (Kitchiga), Bea Desmet (Nenila)
Koor van de Vlaamse Opera, Yannis Pouspourikas (chef du chœur), Symfonisch Orkest van de Vlaamse Opera, Dmitri Jurowski (direction)
Tatjana Gürbaca (mise en scène), Klaus Grünberg (décors et lumières), Marc Weeger, Silke Willrett (costumes)
(© Annemie Augustijns)
Le Vlaamse Opera programme deux raretés cette saison : Le Duc d’Albe (dans la version française) de Donizetti, du 6 au 18 mai à Anvers puis du 25 mai au 2 juin à Gand, et L’Enchanteresse de Tchaïkovski actuellement à l’affiche et probablement jamais exécutée auparavant en Belgique. Créé en 1887, entre Mazeppa (1884) et La Dame de Pique (1890), cet opéra en quatre actes repose sur un livret maladroit d’Hippolyte Chpajinski (1848-1917) et conférant peu de relief aux personnages. Pourtant, l’argument suscite l’intérêt : Nastassia, aubergiste aux mœurs dissolues, s’éprend du prince Youri, mais la mère de ce dernier, la princesse Yevpraksia, entend se venger de la belle tenancière qui use de ses charmes auprès de son mari, le prince Nikita, lequel, bien sûr, y succombe. A la fin, la princesse, déguisée, tue Nastassia tandis que Nikita assassine son rival, son fils Youri.
Une musique intense et sombre, dans la grande tradition tchaïkovskienne, épouse cette trame dramatique. De façon générale, malgré quelques brefs passages moins prenants, les pages inspirées abondent et certaines d’entre elles se distinguent par une coloration qui évoque Moussorgski. Le compositeur développe un flux ininterrompu, sans numéro, ce qui, lors de la création, a suscité le rapprochement avec Wagner – long duo entre Nastassia et Youri rappelant, toutes proportions gardées, celui de Tristan. A la tête d’un Orchestre symphonique de l’Opéra de Flandre au point et concerné, Dmitri Jurowski parcourt l’œuvre d’un seul souffle et la porte à incandescence.
Forcément, les chanteurs, dont de nombreux russophones, abordent leur rôle pour la première fois, sauf l’excellent Valery Alexeev (Nikita) et Nikolai Gassiev (Païssi), tous deux susceptibles de satisfaire les amateurs de belles voix slaves. Les personnages principaux nécessitent de solides gosiers, une exigence que rencontrent Tatiana Pavlovskaya (Nastassia), Irina Makarova (princesse Yevpraksia) et Dmitri Polkopin (Prince Youri), de véritables bêtes de scène qui ne sacrifient pas pour autant la ligne de chant. Fort sollicité dans le palpitant premier acte, qui se déroule dans l’auberge, le Chœur du Vlaamse Opera, préparé par Yannis Pouspourikas, livre comme d’habitude une bonne prestation.
Déjà invitée par le Vlaamse Opera pour Mazeppa et Eugène Onéguine, Tatjana Gürbaca signe une mise en scène inventive et maîtrisée mais pas aussi dévergondée que celle de Grandeur et décadence de la ville de Mahagonny le mois passé. Elle s’inscrit dans un dispositif scénique contrasté conçu par Klaus Grünberg qui règle également les lumières. Les différents décors, dominés par le blanc et le noir, inscrivent l’action à l’époque contemporaine : une salle confinée et remplie de casiers de bière pour représenter l’auberge, un bureau de femme d’affaires (en l’occurrence celui de la princesse) transformé en salle à manger, une petite pièce suspendue sur fond noir puis un cirque improvisé (acrobates, jongleurs, figurant déguisé en ours), glissant progressivement vers le grand macabre, voire le grotesque assumé, et qui comporte d’ailleurs – ce n’est pas si fréquent à l’opéra – un numéro de magie : Nastassia entre dans un caisson découpé en trois morceaux éparpillés ensuite sur scène. Grâce aux qualités de l’orchestre, à l’engagement des chanteurs et à une scénographie bien pensée, cette Enchanteresse constitue un événement à marquer d’une pierre blanche.
Sébastien Foucart
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