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Une injustice réparée

Bruxelles
La Monnaie
10/22/2011 -  et 23*, 25, 26, 28, 29 octobre, 1er, 2, 4, 6 novembre 2011
George Enescu : Œdipe, opus 23
Dietrich Henschel/Andrew Schroeder* (Oedipe), Jan-Hendrik Rootering (Tirésias), Robert Bork (Créon), John Graham-Hall (Le Berger), Jean Teitgen (Le Grand-Prêtre), Henk Neven (Phorbas), Frédéric Caton (Le Veilleur), Nabil Suliman (Thésée), Yves Saelens (Laïos), Natascha Petrinsky (Jocaste), Marie-Nicole Lemieux*/Natascha Petrinsky (La Sphinge), Ilse Eerens (Antigone), Catherine Keen (Mérope), Kinga Borowska (Une femme thébaine), Nathalie Van de Voorde, Kinga Borowska (Deux Thébaines), John Manning, Alain-Pierre Wingelinckx, Brian Aarons, Marcel Schmitz, Pascal Macou, René Laryea (Six Thébains)
Chœurs de la Monnaie, Martino Faggiani (chef des chœurs), La Choraline, Chœur d’enfants de la Monnaie, Benoît Giaux (chef du chœur), Orchestre symphonique de la Monnaie, Leo Hussain (direction)
La Fura dels Baus (mise en scène), Alfons Flores (décors), Lluc Castells (costumes), Peter Van Praet (éclairages)




1956, première production d’Œdipe (1910-1931) d’Enescu à la Monnaie ; 2011, seconde production de l’ouvrage dans cette maison. S’agissant d’«une des cimes de l’opéra du XXe siècle» (Harry Halbreich), cinquante-cinq ans d’attente constituent une injustice enfin comblée par cette nouvelle production réunissant Leo Hussain et La Fura dels Baus, tandem gagnant d’un inoubliable Grand Macabre en 2009. Le renom de la compagnie catalane repose sur l’impact visuel de ses spectacles. De fait, le rideau se lève sur une image impressionnante : un portail géant dans les tons ocres, inspiré de celui de la cathédrale de Milan, et dans lequel il est malaisé, dans un premier temps, de distinguer les chanteurs des statues. La dernière image représente une scène vidée progressivement de ses occupants ; ne subsistent plus que des personnages en terre cuite, la plupart superposés dans les galeries latérales et du fond, d’autre enfoncés dans le sol – l’homme prisonnier de son destin, en somme.


Pour Alex Ollé, un des directeurs artistiques de la compagnie, et Alfons Flores (décors), l’argile, «analogie avec tout ce qui est biologique», symbolise «la peste à Thèbes et le véhicule de sa propagation», un rapprochement suggéré par l’écoulement accidentel d’une boue toxique et corrosive à l’ouest de Budapest l’année passée. Cette matière, omniprésente, semble imprégner les vêtements de la plupart des personnages. Autre fondement de cette production : la notion du temps. Ce mythe reste intemporel, aussi le spectacle, baigné de mystère et d’inquiétude grâce aux éclairages experts de Peter Van Praet, se situe-t-il aussi bien dans l’Antiquité que dans la période actuelle : la recherche des survivants de la catastrophe s’effectue à l’aide de lampes de chantier, la Sphinge apparaît dans un avion de la Seconde Guerre mondiale, Œdipe s’allonge sur un divan de psychanalyste, Mérope ressemble à une infirmière, mais la naissance du fils du roi Laïos, par exemple, présente un caractère biblique. Moins fulgurant et original que celui du Grand Macabre, le concept s’impose néanmoins par la clarté et la concentration de son propos. Une direction d’acteur soignée évite l’excès de monolithisme dans lequel cet opéra proche de l’oratorio serait probablement tombé s’il avait été confié entre des mains moins habiles.



(© Bernd Uhlig)


Pour l’évaluation de la prestation vocale, commençons pour une fois par les Chœurs de la Monnaie tant ils le méritent : préparés par Martino Faggiani (et Benoît Giaux pour le chœur d’enfants), ils se distinguent sur le plan dramatique et sur celui du chant, net, travaillé et à l’impact considérable. La distribution accuse le seul point faible de cette production : une prononciation de la langue française dans l’ensemble insuffisante et qui réduit la portée du livret d’Edmond Fleg. Dans cette fresque pétrifiée, les mots ne claquent pas comme ils le devraient. Réputé pour son exigence, le rôle-titre est tenu alternativement par Dietrich Henschel et Andrew Schroeder ; ce dernier, qui compose un Œdipe humain, compense l’imperfection de sa diction et la puissance moyenne de sa projection par son talent de comédien – quelle performance José Van Dam aurait-il réalisé si la Monnaie avait eu la bonne idée de s’atteler à cet opéra plus tôt ? Quelques chanteurs méritent d’être cités : Jan-Hendrik Rootering (Tirésias profond), Robert Bork (Créon puissant), John Graham-Hall (Le Berger), toujours aussi excellent, Jean Teitgen (Le Grand-Prêtre), Natascha Petrinsky (Jocaste) ou encore Marie-Nicole Lemieux, qui reçoit une ovation grâce à sa brève mais étonnante incarnation de la Sphinge – son apparition constitue un moment des plus impressionnants.


Entière satisfaction pour la prestation de l’Orchestre symphonique de la Monnaie qui, de jour en jour, ne cesse de susciter l’enthousiasme malgré l’absence d’un directeur musical depuis trop longtemps – Ludovic Morlot occupera toutefois ce poste dès janvier. Grâce à Leo Hussain, qui collabore avec eux pour la troisième fois (voir ici), les musiciens rendent justice à la sensualité, aux couleurs et à l’invention harmonique éblouissante de cette œuvre de synthèse qui aura occupé Enescu durant une vingtaine d’années : pâte sonore moirée, jeu collectif net, interventions raffinées. Malgré la puissance réclamée ponctuellement par la partition, l’orchestre dompte son énergie et dispense un fini instrumental réjouissant (finesse des bois, sombre rumeur des cordes). Encore une production réussie à l’actif de la Monnaie, fière du label « Opera house of the year » qu’Opernwelt lui a récemment décerné.


Le site de la Fura dels Baus



Sébastien Foucart

 

 

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