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Mythes antiques: l’archéologique et le merveilleux

Paris
Palais Garnier
09/21/2011 -  et 22*, 24, 25 , 27, 28, 29 septembre, 1er, 2, 3, 4, 6 octobre 2011
Défilé du ballet (Hector Berlioz : Les Troyens: Marche)
Georges Auric : Phèdre


Marie-Agnès Gillot (Phèdre), Nicolas Le Riche (Thésée), Alice Renavand (Œnone), Karl Paquette (Hippolyte), Myriam Ould-Braham (Aricie)
Serge Lifar (action dansée), Jean Cocteau (rideau, décors et costumes), Claude Bessy (réglage de la chorégraphie)
César Franck : Psyché
Aurélie Dupont (Psyché), Stéphane Bullion (Eros), Amandine Albisson (Vénus)
Alexeï Ratmansky (chorégraphie), Karen Kilimnik (décors), Adeline André (costumes), Madjid Hakimi (lumières)
Ballet de l’Opéra national de Paris
Chœur de Radio France, Denis Comtet (direction), Orchestre national d’Ile-de-France, Koen Kessels (direction)


S. Bullion, A. Dupont (© Agathe Poupeney/Opéra national de Paris)


La saison chorégraphique de l’Opéra national de Paris s’inaugure, cette année, sous le signe de la mythologie. En subissant la faux de la Grève, la soirée de gala prévue hier a donné un énième exemple de la légendaire sismicité syndicale de la maison, reportant les lauriers de la première sur la représentation de ce soir.


L’ombre de Serge Lifar plane sur le programme. C’est lui qui, alors directeur de la danse, a réglé le Défilé du ballet, sur une adaptation de la célèbre marche finale du premier acte des Troyens de Berlioz. Cette procession est la seule pièce qui réunit l’ensemble du corps de ballet présent et à venir – avec les élèves de l’école de danse – sur la scène de l’opéra, permettant aux aficionados d’applaudir leurs idoles, et de mesurer la popularité de chacun. Koen Kessels contient le clinquant de la cuivrerie, au prix d’un certain amollissement du tempo, à la faveur du plateau.


Georges Auric a composé Phèdre dans le cadre d’une des collaborations mythiques de l’histoire de la danse. Musicien attitré de Cocteau pour ses films poétiques, il connaît les exigences de la musique fonctionnelle, et s’est comme approprié les conceptions de Lifar, pour qui «nous ne dansons pas sur la musique, mais uniquement sur le rythme qui la fonde». Sa partition se structure ainsi sur des rythmes vigoureux, portant des harmonies modales parfois sévères, qui rappellent Stravinski, mêlant hypnotisme et rhétorique. Les scènes d’ensemble sont empreintes de ce motorisme tandis que les épisodes plus intimes modèrent cette agressivité, image de la violence qui régit les conventions sociales comme les rapports entre les personnages. La carrure et la rigueur de l’écriture de la tragédie chorégraphique en un acte, créée en 1950, trouvent leur correspondance dans un décor minimal, une estrade de théâtre dont le rideau s’ouvre pour laisser voir le second plan de l’action, selon un procédé artificialiste – Hippolyte arrivant sur ses chevaux, le suicide d’Œnone, l’apparition de Neptune. Le vestiaire du spectacle s’organise en une opposition franche de couleurs crues et pastels – le jaune citron d’Hyppolite, l’orangé vif des suivantes, le noir de Phèdre, le saumon pâle d’Aricie. La gestuelle hiératique fige les expressions faciales. Nicolas Le Riche fait montre d’une technique admirable sous les traits d’un Thésée cousin germain de Fantômas, auquel ne manque que la déesse volante, office tenu peut-être par la cohorte des matelots. Alice Renavand concentre la cruauté manipulatrice de la nourrice, sous sa robe lilas. L’innocence du couple des jeunes amoureux voisine avec la niaiserie. Seule l’héroïne éponyme échappe à la lame caricaturiste de Cocteau et de Lifar. Marie-Agnès Gillot descend progressivement de sa hauteur souveraine: la reine succombe à sa passion en même temps qu’au poison. La pourpre qu’elle tenait si bien lui glisse des épaules, et la recouvre tel un linceul que Pasiphaé vient poser sur le corps de sa fille. Il ne peut être exclu que la mémoire chorégraphique de Claude Bessy ait simplifié quelque peu une tradition relevant aujourd’hui presque de l’archéologie. L’archaïsme visionnaire des années cinquante a décidément bien mal vieilli.


La création d’Alexeï Ratmansky forme un contraste certain, nous plongeant dans la féerie du conte d’Apulée. Les décors de Karen Kilimnik suivent fidèlement la succession topographique, fournissant un cadre narratif, non exempt d’une douce naïveté, où un escargot s’immobilise sur le proscenium alors qu’un hibou se tait dans des branchages peints, avant qu’un azur de chérubins ne nous signale le paradis. Le vocabulaire du chorégraphe russe puise sans rougir dans la tradition. Il ne renonce pas à la pantomime pour souligner la progression dramatique, favorisant une louable lisibilité à laquelle les conceptions intellectualistes nous ont déshabitués, et révèle une humble fidélité à la partition de César Franck. Le duo entre Psyché et Eros dans la deuxième partie est un grand pas de deux, avec portées et effusions où excelle Aurélie Dupont, évanescente de timidité avant qu’elle ne découvre de l’ivresse de l’amour. Stéphane Bullion, jugé un peu raide par certains, se révèle un partenaire sensible, à la lumineuse expressivité. Les costumes imaginés par Adeline André pour les deux héros apportent leur juste part évocatrice, elle enveloppé d’un crêpe funèbre puis vêtue d’une diaphane blancheur, lui avec son court corset de plumes. Les zéphyrs sont relégués dans des conventions moins heureuses, Pans à la chevelure glacée.


Mais c’est avant tout le trop rarement joué poème symphonique de Franck qui ressort de cet écrin visuel et chorégraphique. Psyché est écrit selon le principe d’une organicité modulatoire que l’on retrouve par exemple dans la Symphonie en ré mineur, donnant à la partition le sentiment d’une continuité et d’une cohérence immédiatement identifiables. Les paroles des chœurs empruntent à l’austérité catéchumène en vigueur à l’époque. La mise en garde «Mais Psyché, souviens-toi», déclamée à nu par les femmes, fait songer au Paradis perdu de Dubois recréé cet été. La clarté du Chœur de Radio France se trouve pénalisée par sa position en coulisses, ménageant de beaux moments de transparence qui se prolongeraient si la rondeur de la conduite de l’ensemble ne mordait sur la qualité de la diction. La direction honnête de Koen Kessels, attentive à l’écriture symphonique du compositeur belge, rend justice à cette œuvre négligée, qui trouve là une nouvelle expression scénique depuis la chorégraphie de Jean Babilée, L’Amour et son Amour, dans les décors et costumes de Jean Cocteau, créée en 1948 au Théâtre des Champs-Elysées.



Gilles Charlassier

 

 

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