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Sokolov en majesté

Salzburg
Grosses Festspielhaus
08/05/2011 -  
Johann Sebastian Bach : Concerto nach italienischen Gusto BWV 971 – Ouvertüre nach französischer Art BWV 831
Robert Schumann : Humoresque op. 20 – Scherzo, Gigue, Romance und Fughette op. 32

Grigory Sokolov (piano)


G. Sokolov (© Silvia Lelli)


C’est une tradition : à Salzbourg, on entend en récital les plus grands pianistes. Backhaus et Gilels, puis Argerich, Brendel, Pollini, Zimerman, etc. Mais le festival parie aussi sur la jeunesse : Blechacz, le jeune Volodos eurent les honneurs du Mozarteum. Le second joue désormais au Festpielhaus, signe de consécration pour qui s’est hissé au sommet : le 12 août, la Sonate de Liszt succédera aux Miroirs de Ravel. Star system ? Il faut bien inviter Lang Lang – le 16 août en compagnie de Vadim Repin et de Mischa Maisky quand il ne joue pas l’opus 25 de Chopin. Ce n’est pas la règle pour autant : on ne dira pas que Sokolov – ou qu’un Buchbinder naguère - cherche le feu des médias. Et les inclassables ne sont pas bannis. En 2003, l’année de ses débuts in loco, Fazil Say avait fasciné par son arrangement du Sacre du printemps pour quatre mains dont deux préenregistrées. Se produisant depuis régulièrement à Salzbourg, il le rejouera le 28 août, avant de s’attaquer aux Tableaux d’une exposition. Cela dit, le public peut compter sur ses classiques : Mitsuko Uchida inaugurait la série des récitals avec Schubert le 2 août, on attend Maurizio Pollini dans Beethoven le 24.


Grigory Sokolov a succédé à la pianiste japonaise, confirmant, s’il en était besoin, qu’il est un grand, un très grand pianiste. Par son imagination, par sa science incroyable des couleurs, la liberté qu’il met dans ses interprétations, véritables recréations des œuvres, portes ouvertes sur des mondes. Une liberté surveillée de visionnaire inspiré, à la technique infaillible – plus que celle d’un Neuhaus, auquel il fait penser : jamais il ne se laisse emporter là où il ne veut pas, il garde une impressionnante maîtrise de lui-même et de son instrument. A Salzbourg, comme souvent ces temps-ci, notamment l’avant-veille à Aix, il associe la deuxième partie de la Clavierübung Bach et deux opus de Schumann – heureuse idée, allant bien au-delà de la distinction souvent factice entre les écoles ou les périodes. Le compositeur des Kreisleriana se nourrit de Bach, à l’instar de beaucoup d’autres. Schumann sans la polyphonie, sans le contrepoint, n’est plus Schumann – les voix intermédiaires, chez lui, occupent une place privilégiée.


Le Concerto italien ouvre le concert. Pas besoin, avec Sokolov, d’imiter le clavecin, même à deux claviers, pour jouer staccato, varier l’articulation, faire saillir les voix. Le piano est là, il en convoque les ressources, toutes les ressources, sans négliger la pédale. Son Bach, d’ailleurs, n’a rien d’abstrait, il a quelque chose à nous dire, à nous raconter, dès un premier mouvement très ludique, d’une franchise moins carrée que terrienne. La dimension orchestrale du jeu se révèle pleinement dans l’Andante, dont les premières mesures, à la main gauche, installent une atmosphère impalpable, à la faveur de pianissimos à peine concevables – l’éventail des nuances de ce piano laisse pantois, avant que la main droite joue le chant comme une improvisation de rhapsode. Le Presto éclate enfin, jubilatoire mais jamais incontrôlé, avec un dialogue, des échos et des contrastes entre deux mains aussi agiles l’une que l’autre. On se situe à l’exact opposé du Bach plus cérébral d’un Anderszewski, par exemple.


Le ton est donné pour la très riche Ouverture à la française, dont le pianiste nous offre toutes les reprises. Les rythmes pointés du début du premier volet échappent à toute raideur, comme la fugue qui suit, jeu de couleurs et de nuances, pas seulement de lignes. Les Gavottes, les Passepieds osent des rubatos, des lenteurs amusées. La Sarabande ressemble moins à une danse qu’à une méditation. L’Echo final est fascinant : on croirait entendre deux claviers, ou plutôt un concerto grosso joué par un seul clavier, véritable tour de force sonore, révélant une technique, un art du toucher portés à leur perfection.


Quand on joue Bach ainsi, la transition avec Schumann se fait naturellement. L’Humoresque, pourtant, est difficile à dominer. Sans les éluder, Sokolov intègre parfaitement les contrastes, gardant une sorte d’intériorité dans les déchaînements de Florestan, ordonne la cyclothymie schumanienne, installe la Fantasie au pouvoir, faisant de la partition une sorte de journal intime à la façon des Préludes de Chopin – qu’il joue, on le sait, tout aussi magistralement. Chaque ligne semble avoir sa couleur, comme dans l’Einfach introductif, ce qu’un Debussy n’aurait pas désavoué. Tout vient peut-être d’un art consommé de pétrir les touches du clavier, de doser le poids de la main, qui permet la maîtrise totale du son.


Les pièces « mineures » qui constituent le Scherzo, Gigue, Romance et Fuguette prennent sous de tels doigts un relief particulier : elles semblent prolonger l’Humoresque, ou constituer une Humoresque en miniature – chronologiquement, elles l’annonceraient. Parce qu’elles échappent avec Sokolov à tout néoclassicisme asséché et que, à travers l’hommage à Bach, ou à un certain Mozart, moins connu, Schumann s’y révèle tout entier, ou plutôt s’y confirme, se souvenant ici ou là de ses grands cycles antérieurs.


Le pianiste a l’air austère, sourit peu, va droit à son piano, tête baissée, immergé dans la musique - on ne saurait rêver, décidément, artiste plus anti-médiatique. Il n’en donne pas moins six bis, faisant cette fois alterner Rameau – « Le Rappel des oiseaux », le « Tambourin », « L’Egyptienne », « Les Sauvages » - et Brahms – Septième et Deuxième des Fantaisies op. 116. Double clin d’œil : au Bach de l’Ouverture à la française, à Schumann en général, via son fils spirituel. Six témoignages d’une imagination jamais tarie, d’une liberté toujours renouvelée.



Didier van Moere

 

 

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