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Une écoute biaisée (et très cuivrée)

London
Royal Albert Hall
08/30/2000 -  
Carl Ruggles : Sun-treader
Robert Schumann : Concerto pour piano
Igor Strawinski : Le Sacre du Printemps

Martha Argerich (piano)
San Francisco Symphony, Michael Tilson Thomas (direction)

Pour un observateur étranger, il y a quelque chose de particulièrement excitant à assister à un concert du célèbre festival londonien des BBC Proms. Créés en 1895, les Proms ont pour ambition d’élargir le public de la musique classique en la rendant plus accessible financièrement. Le public s’y divise en deux groupes : d’un côté, les " Prommers " qui, chaque jour, font la queue pour accéder au concert et l’écouter debout, pour £3 (35 francs), au poulailler ou dans la partie centrale de l’orchestre (l’arène) ; de l’autre, ceux qui, munis de " Season tickets ", écoutent le concert assis, après avoir payé, pour un concert comme celui-là, leur billet entre £10 (110 francs) pour les (relativement rares) places sans visibilité du troisième balcon, et £35 (385 francs) pour toutes les places situées à l’orchestre ou dans les loges. (Naturellement, il y a également les invités, au nombre desquels on compte les journalistes.)

Très haut de plafond, le Royal Albert Hall est une immense coupole, assez jolie, conçue pour accueillir un très nombreux public, mais aussi peu faite pour écouter de la musique qu’une église. C’est dire. Son inauguration, en 1871, ré véla un énorme écho, que des générations d’acousticiens ont fini par résoudre, sans empêcher l’acoustique de demeurer très mauvaise. En outre, seuls les deux tiers du public environ sont placés dans une disposition normale de concert (c’est à dire devant l’orchestre). Nombre d’auditeurs écoutent en effet l’orchestre de côté, voire de dos (car les places des choeurs, face au chef, sont également vendues pour 250 francs). Tout cela pour dire que les Proms ne sont assurément pas des concerts pour puristes, ce qui ne les empêchent pas d’attirer les plus grands artistes du monde dans de magnifiques et exigeants programmes. Pour écouter la diva du piano, Martha Argerich, et l’un des plus grands chefs actuels, Michael Tilson Thomas (MTT), à la tête de son San Francisco Symphony, inutile de dire que le Royal Albert Hall était comble, et que son atmosphère était survoltée.

Placé à l’orchestre (presque au sens littéral !), j’était assis à gauche des musiciens, juste à côté (et parfois derrière) les instrumentistes, à quelques mètres des percussions, tout près de la harpe, à hauteur des cors, juste au dessus des clarinettes et des flûtes, derrière les violons. A la traditionnelle disposition (et projection faciale du son) s’en substituait donc une autre pour moi (et beaucoup d’autres), plus originale : à gauche, les percussions et les vents (devant : les cors, les clarinettes et les flûtes ; derrière : les trombones et trompettes, les hautbois et bassons) ; à droite, les cordes (devant : les violons, mais en sens inverse, puisque le premier violon était pour moi au dernier rang, et derrière, les altos, les violoncelles et les contrebasses). Lorsque les cors jouent fort, on n’entend presque plus les cordes, et, naturellement, dans ces conditions il est vain de vouloir entendre quelque continuité de timbre entre cordes, bois et cuivres - laquelle constitue hélas l’un des ingrédients essentiels à l’homogénéité (et la qualité) d’un orchestre. On a beau connaître les oeuvres, l’oreille corrige difficilement une telle réception du son. (Quant à ceux qui ne connaissent pas les oeuvres…) Mais s’il n’autorise sans doute pas une véritable critique musicale, cet emplacement possède également ses avantages : une vue impayable sur la direction de Michael Tison Thomas (vu de face), ainsi que sur la main gauche et le dos de Martha Argerich, et, bien sûr, la possibilité de découvrir sous un jour nouveau les chefs d’oeuvre de Schumann et de Strawinski, bien connus dans leur disposition d’orchestre habituelle. Une fois encore, les Proms ne sont de toute façon pas une affaire de puristes (qui peuvent écouter la retransmission du concert à la radio, et, dans le cas présent, en regardant simultanément leur télé !).

Introduite par MTT, qui possède autant de talent pour parler de musique que pour la diriger, la pièce de Carl Ruggles donnait à entendre une musique assez tendue, très géométrique, se caractérisant par un travail motivique très strict et marquée par de petites lignes mélodiques brisées. Toute l’oeuvre semblait essayer d’exprimer une même émotion ou idée, passant son temps à la reprendre pour trouver une expression plus juste, la commentant, la nuançant, la précisant, l’adoucissant… MTT la décrivait, non sans raison, comme une musique écrite par un yankee, faite de hurlements et de chuchotements. De l’orchestration, on ne dira rien, sinon qu’elle utilisait parfois les cors et les percussions de manière explosive.

Pour le concerto de Schumann, les effectifs de l’orchestre furent drastiquement (et très intelligemment) réduits, permettant au piano de ne pas se noyer dans les cordes et de recréer l’atmosphère de musique de chambre caractéristique de la pièce de Schumann. (Les cors et trompettes jouant très peu, et en effectif très restreint, les conditions d’écoute furent plus acceptables. Dommage que le medium du piano aille se perdre on ne sait trop quel recoin de ce vaste espace…) Comme d’habitude, le jeu de la pianiste argentine, marqué de sautes d’humeurs et d’à-coups, brûlait d’intensité et d’intériorité. Quelle sonorité magnifique (notamment dans les aigus) ! MTT sut se montrer un accompagnateur hors-pair, à l’écoute des changements de tempi et d’humeurs de la pianiste, elle même très attentive aux musiciens de l’orchestre avec qui son piano dialoguait. Après un premier mouvement extrêmement bien mené, un second mouvement d’une indicible douceur, le troisième mouvement mit le piano plus en avant. Le tempo devint plus mesuré et l’on atteignit un véritable sommet. Le concerto fut tout simplement somptueux. Rappelés cinq fois par le public, conquis d’avance il est vrai, Martha Argerich et MTT furent justement ovationnés.

L’interprétation du Sacre du Printemps sembla tout aussi extraordinaire, intense, tendue, quoique sans violence exagérée, et d’une formidable précision rythmique. Seule la toute fin de l’oeuvre aurait pu être plus courageuse, moins aérée, mais MTT semble avoir privilégié la perfection de la mise en place rythmique. L’oeuvre étant le plus souvent orchestrée par succession de groupes instrumentaux et de passages solo, on put apprécier la beauté instrumentale du San Francisco Symphony (qui a de très beaux cors et de très précises percussions...). Avec deux bis très enlevés (Prokofiev et Strawinski), MTT confirmait un sens infaillible de l’animation dans les oeuvres " dansantes ".

On pouvait alors rentrer étonné par ces auditions iconoclastes (beaucoup plus analytiques qu’une écoute frontale), mais aussi exalté par la joie d’avoir entendu la trop rare Martha Argerich et si bien vu MTT diriger. A l’évidence, il s’agissait d’un excellent concert. Même de côté, cela se sent.




Stéphan Vincent-Lancrin

 

 

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