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Secondes Noces Paris Opéra Bastille 05/13/2011 - et 17, 21*, 23, 26, 28 & 31 mai, 2, 5, 7 juin 2011 Wolfgang Amadeus Mozart : Le nozze di Figaro, K. 492 Christopher Maltman (Il Conte di Almaviva), Dorothea Röschmann (La Contessa di Almaviva), Julia Kleiter (Susanna), Erwin Schrott (Figaro), Isabel Leonard (Cherubino), Ann Murray (Marcellina), Maurizio Muraro (Bartolo), Robin Leggate (Don Basilio), Antoine Normand (Don Curzio), Christian Tréguier (Antonio), Zoe Nicolaidou (Barbarina), Olivia Doray, Carol Garcia (Due Donne)
Orchestre et Chœur de l’Opéra national de Paris, Dan Ettinger (direction)
Giorgio Strehler (mise en scène et lumières, réalisées par Humbert Camerlo)
C. Maltman, J. Kleiter (© Mirco Magliocca/Opéra national de Paris)
Reprise de la reprise pour les fameuses Noces de Strehler (voir ici), avec une autre distribution : seuls reviennent l’impayable Marcelline d’Ann Murray, le Basile tête à claques de Robin Leggate, le Don Curzio d’Antoine Normand et l’Antonio de Christian Tréguier. Et comme le chef a changé lui aussi, on avait toutes les raisons de reprendre le chemin de Bastille. On ne l’a pas regretté, du moins pour l’ensemble. Le Figaro d’Erwin Schrott, en effet, même s’il a fort belle allure en rebelle insolent, ne peut se mesurer à celui de Luca Pisaroni : une belle, très belle voix de baryton-basse, mais plus occupée de montrer ses muscles que des nuances, conduite sans finesse, avec des phrasés sommaires et des récitatifs où la parole et le chant ne s’équilibrent pas. La situation s’inverse donc : Pisaroni était le meilleur, Schrott est le moins bon. Christopher Maltman, en revanche, impose d’emblée son Comte puissant et stylé, patricien séducteur, voire prédateur, qui nous offre un « Hai già vinta la causa » superbe de tenue, ne s’imposant pas moins par son jeu. Est-ce parce que Claus Guth les a tous deux dirigés en Leporello et Don Juan cet été à Salzbourg que le tandem fonctionne aussi bien, que la production semble plus vivante, plus rythmée ? Dorothea Röschmann y chantait Elvire : la voici Comtesse, effaçant vite le souvenir de la médiocre Frittoli, par la stabilité de la voix, la caractérisation de l’épouse aimante et bafouée, la lumière frémissante du timbre, la maîtrise du legato – très en progrès depuis qu’elle inaugura à Salzbourg, en 2006, la mise en scène de Claus Guth… mais ne chantant toujours pas assez piano la reprise de « Dove sono ».
Belle Suzanne de Julia Kleiter également, à la fois forte et fragile, dont la voix fraîche et limpide se projette impeccablement, jusque dans le médium, pas moins à l’aise dans un « Venite… ingiocchiatevi » coulant de source – pas évident pourtant, cet air qui n’en est pas un – que dans un « Deh vieni, non tardar » d’une émouvante pureté. Karine Deshayes avait déçu en Chérubin : Isabel Leonard nous comble, moins page folâtre qu’adolescent éperdu, aussi crédible scéniquement qu’accompli vocalement, timbre juvénile mais irisé, pas moins maître de sa ligne dans un « Non so più » haletant que dans un « Voi che sapete » au legato parfait. Le Bartolo de Maurizio Muraro, de son côté, affiche une tout autre santé vocale que celui du vétéran Robert Lloyd : l’air de vengeance, clin d’œil au seria, fait un peu penser à une parodie de Commandeur en colère. Barberine, enfin, a un autre visage : Zoe Nicolaidou, qui vient de se voir décerner le prix lyrique 2011 du Cercle Carpeaux, n’a rien à envier à Maria Virginia Sebastano, pas moins piquante mais plus mûre, par la voix et par la composition, jeune pousse déjà au fait des choses de la vie.
Remarqué à Covent Garden où il dirigea Rigoletto en octobre 2010, le chef israélien Dan Ettinger, assistant de Barenboim à Berlin, propose une autre lecture que Philippe Jordan : moins chambriste, moins cursive, moins légère, moins analytique, plus acérée, plus implacable, parfois presque violente, privilégiant davantage l’urgence théâtrale, faisant irrésistiblement avancer la folle journée. On peut donc revoir ces Noces de Strehler.
Didier van Moere
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